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wild billy childish

  • CHRONIQUES DE POURPRE 710 : KR'TNT ! 710 : RAMONES / WILD BILLY CHILDISH / CLARENCE EDWARDS / 5.6.7.8's / KELLY FINNIGAN / AEPHANEMER / FARYA FARAJI

     

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 710

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    13 / 11 / 2025

     

    RAMONES / WILD BILLY CHILDISH

    CLARENCE EDWARDS / 5.6.7.8’s.

    KELLY FINNIGAN  / AEPHANEMER

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 710

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Les Ramones la ramènent

     (Part Two)

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             Oui, c’est sûr, t’avais quelque chose dans les Ramones. Kris Needs en fait douze pages dans Record Collector, avec en double d’ouverture une image qui dit tout des Ramones : wild on stage, perfectos, jeans éclatés aux genoux, out of their minds, cheveux au vent, punk new-yorkais, un modèle éternel. Toutes les images des Ramones disent le rock. Needs parle de suburban outcasts et d’une «chemical imbalance that helped catalyse a revolution.» Tout est dit, mais t’as encore dix pages à lire. Comme si la lecture s’accommodait mal du ventre-à-terre des Ramones. One two three four !

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             Needy Needs connaît bien son métier : il fait sortir les Brudders d’un ascenseur anglais en juillet 1976 : les Ramones sont à Londres pour deux concerts, Roundhouse et Dingwalls, «the UK punk movement first real show of strength», il parle même d’un «much copied (if ever equalled) blueprint». Et, magnanime, il ajoute ça : «Two gigs considered pivotal in lightning the fuse for UK punk». Comme c’est bien dit, Needy ! Il les décrit un par un au sortir de l’ascenseur, Dee Dee et son «New York street punk demeanour», Joey qui sort de la douche avec ses cheveux mouillés - This is my Bay City Rollers look! - Tommy, qui semble être «the most normal of the four Ramones», et Johnny, «dressed for work in black leather jacket».  

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             Needy Needs plonge dans les détails biographiques, avec l’Hongrie de Tommy qui débarque à Forest Hills en 1956, puis Needy passe le Johnny de Long Island au peigne fin, fils d’un «hard-drinking Irish father» et sa vie de petit délinquant change quand il voit les Stones sur scène en 1964 à New York. Johnny hait les hippies, mais il va voir les Doors dix fois sur scène. Il voit aussi Jimi Hendrix en 1967, nous dit Needy qui a lu Commando. Et en 1969, Johnny flashe sur les Stooges, au point de se coiffer comme eux - They looked tough - Ça tombe bien, son pote Dee Dee est lui aussi fan des Stooges. Dans Lobotomy: Surviving The Ramones, Dee Dee raconte sa saison en enfer, c’est-à-dire son adolescence - a catalogue of domestic hell, substance abuse and early addiction - C’est lui, le Dee Dee, qui découvre que McCartney se fait appeler Paul Ramon dans les hôtels, alors il décide de s’appeler Dee Dee Ramone. C’est lui la cheville ouvrière des Ramones, ne l’oublions pas. Puis il voit les Stones, les Who, les Kinks et les Troggs. Une pure éducation sentimentale ! Quand sa mère quitte l’hard-drinking Irish father et s’installe à Forest Hills, Dee Dee devient dealer d’hero pour financer sa conso perso. I’m living on Chinese Rocks ! Needy Needs qualifie Dee Dee de «commited teenage degenerate». Si on cherche les formules les plus rolling et les plus rocking, les formules qui ronflent sous le capot, c’est là, chez Needy Needs, the work-out king. Et si, dit-il, Dee Dee clique avec Johnny, Joey et Tommy, c’est parce qu’ils étaient «the obvious creeps of the neighbourhood». On se croirait dans une chanson des Ramones. Cet article est un exploit de mimétisme intrinsèque.

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             Et puis voilà Joey avec ses problèmes de santé dont on se contrefout, il y va le Needy, il donne tous les détails, par contre, il se rattrape en nous rappelant que Joey est fan des Who, des girl-groups de Totor et des Herman’s Hermits. Puis c’est le Love It To Death d’Alice Cooper qui va obséder notre Joey préféré, particulièrement «The Ballad Of Dwight Prye», ce qui le conduit tout naturellement dans les bras de Bowie et de «Rock’n’Roll Suicide» en particulier. Suite à ça, il va voir les Stooges sur scène à l’Electric Circus avec son nouveau poto Dee Dee. Les Stooges sont leur nouvelle obsession, de la même façon qu’elle devint la nôtre, la même année. 

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             Et voilà le grand déclic : les Dolls en 1972 au Mercer Arts Center. Les quatre futurs Ramones y ramènent leurs fraises. Lenny Kaye dit que les Dolls plaisaient beaucoup grâce à leur «bringing back to basics». Johnny nous dit Needy voit les Dolls vingt fois. Dee Dee commence à écrire des cuts, du genre «I Don’t Wanna Go Down To The Basement» et «Now I Wanna Sniff Some Glue» - Everything I write is autobiographical and very real - Dee Dee et Johnny s’achètent des guitares chez Manny’s Music shop on 48th Street : une Danelectro pour Dee Dee et Johnny claque 54 dollars dans une blue Mosrite Ventures II. Tommy incite Johnny à monter un groupe, et Johnny finit par accepter. Joey bat le beurre. L’idée du Dee Dee d’appeler le groupe Ramones plait beaucoup aux autres. Premier concert en mars 1974. Dee Dee chante et gratte ses poux, mais c’est compliqué pour lui de tout faire à la fois. Alors Tommy propose que Joey chante, car Joey a déjà chanté dans un groupe glam et il a une vraie voix. Ils cherchent un batteur, mais n’en trouvent pas. Alors Tommy dit fuck it et décide de battre le beurre. Craig Leon : «The whole Ramones things was very much like a conceptual art piece.» Tout sort du cerveau de Tommy, comme Roxy est sorti du cerveau de Ferry boat. Tommy dit aux autres ce qu’ils doivent faire. Leur look vient de Marlon Brando dans The Wild One, mais s’inspire aussi de celui des Dictators, déjà dans le circuit, de Brian Jones et des garage bands - We concocted a unique style and sound, se vante Joey qui a raison de se vanter - Puis c’est le premier set de 15 minutes au CBGB, en 1974, en première partie du pre-Blondie incarnation, Angel & The Snake. Ils laissent un mauvais souvenir au boss du CBGB, Hilly Kristal - They’d start and they’d stop, everything was screetching. They couldn’t get through a song, they were yelling at each other onstage - Les gens se foutent de leur gueule, surtout Alan Vega. Mais il les trouve géniaux et dit que c’est ce qu’il a vu de mieux sur scène depuis les Stooges. Kristal se montre charitable envers eux : «Nobody’s gonna like you guys so I’ll have you back.» Comme quoi, le destin d’un groupe tient vraiment à peu de choses. Les Ramones nous dit Needy jouent 24 fois au CBGB en 1974. Au début, ils jouent devant 5 personnes. Six mois plus tard, devant 30 personnes. Puis Lisa Robinson flashe sur eux. L’un de leurs premiers fans n’est autre qu’Arturo Vega, qui fera le light show des Ramones jusqu’à la fin. Needy Needs indique qu’Arturo a vu les Ramones 2263 fois sur scène en 22 ans. Ce sont des chiffres qui parlent. C’est Arturo qui dessine le logo des Ramones, basé sur le sceau présidentiel américain. 

             Tommy fait une démo de 15 titres et tente de la fourguer au former New York Dolls manager Marty Thau - who didn’t want to babysit another band - mais il donne un coup de main pour le premier single, «Judy Is A Punk».

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             Le modèle des Ramones s’impose. Pas de solos. Johnny : «The chords are doing everything.» Ils enchaînent tous les cuts - We don’t do any stopping - Un set ne doit pas durer plus de 30 minutes. Comme Craig Leon est l’A&R de Sire, il parvient à convaincre Seymour Stein de signer les Ramones. Coup de pot, son épouse Linda est une fan des Ramones. Danny Fields aussi. Il va même devenir leur manager. Il les qualifie de «perfect band». Pas mal pour un mec qui a signé les Stooges et le MC5 sur Elektra.

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             Les Ramones enregistrent leur premier album en 1974 - The studio bill was an astonishing $6,400 - Needy Needs se marre comme une baleine. Il ajoute que c’est enregistré live, chacun dans une pièce, «like early Beatles records». Et puis il y a la photo de Roberta Bayley sur la pochette, où ils sont like a gang gone punk. Quand l’album arrive en Angleterre, Nick Kent s’agenouille respectueusement : «If you love hard-ass retard rock, you’ll bathe in every groove.» John Peel flashe lui aussi sur le premier album : «The songs are all the same, but they’re all different, if you know what I mean.»

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             Et quand on écoutait ce premier album en 1976, on criait tous au loup ! Whoooo-ooooh ! Ramones est l’un des albums phares du siècle passé. T’es tout de suite frappé par la fraîcheur du bombing de «Blitzkrieg Pop», t’as aussitôt de wall de Johnny et le chant perçant de Joey qui traverse les blindages. Joey est le roi du oh yeah oh-oh, ça n’a pas l’air comme ça, mais c’est capital. Tu réécoutes cet album 50 ans plus tard, et ça n’a pas pris une seule ride ! «Judy Is A Punk» sonne comme l’archétype définitif du punk-rock new-yorkais. Ça éclate le firmament. «Chainsaw» est so fast de ventre-à-terre ! Et voilà Oh Daddy-o et «I Don’t Wanna Go To The Basement», c’est la Ramona pure et dure. Dee Dee te sous-tend ça à merveille. Ils créent encore un monde avec «Loudmouth». Offensive en règle. Et toujours le wall of sound. Encore de la pression avec «Havana Affair». Quand t’écoutais cet album à l’époque, tu sentais que c’était l’album de rock parfait. One two three four ! «Listen To My Heart». Tout y est : le drive de basse et le buzz. Refrain printanier dans «53rd & 3rd», avec une prod de génie bien à ras des pâquerettes. Et ça se termine en beauté avec «Today Your Love Tomorrow The World». Fantastique élan !

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             À ce stade des opérations, il paraît essentiel de se plonger dans la lecture de Commando, l’autobio de Johnny Ramone. La première de couve est à l’image du personnage : puissante. Johnny Ramone subit un traitement graphique innervé, strié dans la matière. Il implose et dégage des rayons. Le book, en tant qu’objet, est lui aussi puissant : l’éditeur Abrams a contrecollé deux plats de couve massifs (5 mil d’épaisseur) sur la une et la quatre de couve, et brutalement massicoté l’ensemble dans la fleur de l’âge, sans débord. T’as dans les pattes un bel objet d’art moderne, à l’image des Ramones. Quel joli coup ! Ces deux plats de couve enserrent les 180 pages du book comme deux serre-livres à socles de marbre. On ne pouvait pas rendre plus bel hommage à cette force de la nature réactionnaire que fut Johnny Ramone. On était presque fier de ramasser ce book chez Smith en 2012 : l’étiquette de prix W H Smith est encore collée au dos. EUR 27.20. Cadeau !

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             Sacré Johnny. Il avoue volontiers avoir frappé Dee Dee - I had to smack him a couple of time to get him into the van - Oui, Dee Dee n’en faisait qu’à sa tête, Johnny l’aimait bien, «but I think he just liked to be difficult». Et tu ne fais pas le difficult avec Johnny Ramone. Pour Johnny, le plan est simple : une fois que les Ramones sont sur les rails, ça doit tourner. Pas question de tout faire foirer. Il prévoit d’économiser assez de dollars pour pouvoir prendre sa retraite quand l’âge de monter sur scène sera passé. L’autre tête de turc des Ramones, c’est Joey. Johnny dit qu’il a essayé de l’apprécier, de lui parler, mais ça n’a pas marché - He was a fucking pain in the ass. So I gave up -  Johnny nous explique dans l’intro qu’il était entouré de «dysfunctional people, and I was the one who ran the business end, aside from our managers. Everybody else was a mess.» L’enfer, c’était le van. T’en avais toujours un qui voulait s’arrêter, et si on s’était arrêté toutes les dix minutes, nous dit Johnny, on ne serait jamais arrivés à destination. On voit bien le topo. Mais ça valait le coup : «The Ramones were fun, and the more intense the better.»

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             Il raconte son adolescence à Forest Hills en 1964. Il fait la connaissance de Tommy à l’école. Ils sont fans des Stooges. Johnny en pince aussi pour Grand Funk et se hâte de préciser que Mark Farner n’était pas un hippie - I hated the hippies and never liked that peace and love shit - Ado, il sombre dans la petite délinquance - I was just bad, every minute of the day - Sa mère trouve de l’hero dans le tiroir de sa table de nuit. Il arrache les sacs à main des grand-mères, il tabasse des gosses pour leur barboter du blé, puis un jour il décide d’arrêter les conneries.

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             Son premier concert ? Les Rolling Stones au Carnegie Hall en juin 1964. Puis il voit les Who, les Beatles au Shea Stadium, Black Sabbath sur leur première tournée américaine, il voit les Doors dix fois, les Amboy Dukes deux fois. Il adore le MC5. Il achète le premier album des Stooges sur la seule foi de la pochette - I just liked the way they looked: tough - Et la musique le rend dingue - I was crazy for it - Il voit les Stooges à l’Electric Circus on St. Marks Place. Il voit Ron Asheton avec son nazi stuff faire un discours en allemand. Mais ceux qui jouaient plus fort que tous les autres, c’était Grand Funk, at the Stony Brook University - That was probably the loudest show I ever saw - Il les revoit au Shea Stadium avec Humble Pie en première partie. D’où l’avantage d’être américain.

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             Et bam, on tombe fatalement sur les Dolls - The New York Dolls really did it for me - Il les voit over and over, twenty times in all, depuis le Mercer Arts Center en 1972 jusqu’au Conventry Club in Queens en 1974. Il indique qu’il notait tous ces détails in little notebooks. Il voit Kiss mais ne les trouve pas cool - Kiss wasn’t cool. The New York Dolls were cool - Il trouve aussi Wayne County «too perverse» - There was this uglyness to that - Il préfère la faune des Dolls, les filles sont jolies et Johnny Thunders looked good. Il aime bien les Dolls parce qu’ils sont comme les Ramones, assez limités, «but they knew what to do with what they had». C’est là que Johnny comprend que le rock’n’roll peut être une option - I can do this too, just as good - Mais il va lui falloir deux ans pour prendre la décision de monter les Ramones avec Dee Dee.

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             Il achète sa gratte en janvier 1974 chez Manny’s, on 48th Street and Broadway. Il paye sa Mosrite 50 dollars. Pourquoi une Mosrite ? Because of The Ventures et Fred Sonic Smith. Elle est bleue. Comme il n’a pas assez pour s’acheter un étui, il la met dans un sac en plastique. Dee Dee et lui démarrent le groupe en répétant dans son appart de Forest Hills. Ils grattent tous les deux leurs grattes. Joey bat le beurre et Dee Dee chante. Ils ont un pote nommé Richie à la basse mais Johnny le vire car ça ne va pas du tout. Dee Dee prend la basse et ça devient un trio. Mais Dee Dee ne peut pas jouer et chanter en même temps. Joey fait n’importe quoi au beurre. It was bad. Johnny veut virer Joey mais Tommy dit qu’il peut chanter. Comme Johnny a confiance en Tommy, il accepte. Alors ils auditionnent des batteurs. Finalement, c’est Tommy qui s’assoit derrière les fûts - He’d never played drums before, but it was working - Et ils se mettent à répéter sérieusement. Comme ils se savent limités, leurs cuts sont simples - They had to be simple - Ils jouent pour la première fois au CBGB en août 1974. Ils torchent 6 ou 7 cuts devant 10 personnes. Johnny est encore le seul des quatre à porter le perfecto. Puis ils reviennent jouer chaque semaine et font payer un dollar à l’entrée. Ils ont en moyenne une quinzaine de personnes.

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             Puis au, fil du temps, tout le monde vient les voir jouer, à commencer par Lou Reed. Johnny ne voit qu’un seul groupe concurrent : les Heartbreakers. Mais comme ce sont des junkies, Johnny sait qu’ils ne vont pas durer longtemps. Il voit Blondie comme un «lightweight pop band». Il voit aussi les Talking Heads comme something very different - It wasn’t really rock and roll, it was something else - Comme ça au moins, les choses sont claires. Il a même une petite altercation avec Debbie Harry, quand les Ramones jouent au Mothers avec Blondie en première partie. L’Harry veut un 50/50 split à l’entrée et Johnny la recadre : «‘No one is here to see you guys. Everyone is here to see us.’ We split the door 70-30 and she was mad. I never really got along with her.» Quand ils partent en tournée européenne en avril 1977, Johnny a deux raisons de flipper : les Talking Heads jouent en première partie, et l’Europe qu’il ne supporte pas - Europe was a horrible place. I hated the hotels - Pas de téléphones dans les chambres, rien à la télé, le bouffe toute pourrie - all this boiled shit or curry - Et t’as les Talking Heads qui sont des intellos qui s’écoutent parler - Tina Weymouth was unbereable - Quand Johnny dit à son roadie d’aller chercher sa guitare, elle interpelle Johnny lui dit d’aller la chercher lui-même. De quoi elle se mêle cette conne ? Johnny ne leur adresse pas la parole. Mais c’est en Europe que ça marche le mieux pour les Ramones, aussi reviennent-ils en tournée. Ils enregistrent It’s Alive le 31 décembre 1977 au Rainbow Theater de Londres - I think that’s our greatest moment as a band - C’est vrai que ce double live est une bombe atomique qui démarre en trombe avec «Rockaway Beach». Joey lance : «Hey we’re the Ramones!» et Dee Dee fait one two three four!, et c’est parti pour un set de folie Méricourt, «Blitzkrieg Bop», l’hymne du XXe siècle, avec «I Wanna Be Well»,  les Ramones deviennent le groupe de rock par excellence, Joey ramène tout son sucre magique, l’heavy beat d’«I Don’t Care» leur va comme un gant, «Sheena Is A Punk Rocker» sonne comme the perfect Ramona, «Havana Affair» déboule pour de vrai, ils expurgent «Surfin’ Bird», et en C, ça repart de plus belle avec «Listen To My Heart», puis «California Sun» explose, toute la vie du rock est là, «Chainsaw» sonne aussi comme un hymne, leur formule est terriblement au point. Cohérence ultime encore en D avec «Judy Is A Punk». Les Ramones sont un phénomène unique, «Let’s Dance» sonne wild as punk. Tu sors de là à quatre pattes.

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             London 1977, ça ne te rappelle rien ? Oui, les punks ! En décembre 1977, Johnny voit les Pistols sur scène et quand Johnny Rotten demande à Johnny Ramone ce qu’il pense des Pistols, le Ramone lui répond qu’ils puent - I told him I thought they stunk.

             Johnny fait régner la discipline : pas de booze avant le concert. Mais «Joey always had a drinking problem, he was hanging out with everybody. Tommy was fine, he had no vices except cigarettes. Dee Dee... whatever.»

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             Rocket To Russia sort en 1977. Johnny : «This was the best Ramones album, with the classics on it. That band had reached its peak both in the studio and live. This one has one great song after another.» «Cretin Hop» ouvre le bal et boom, beat inimitable, sucre inimitable, énergie inimitable, buzzsaw inimitable. C’est là qu’on trouve la version studio de «Rockaway Beach», one two three four!, Dee Dee fidèle au poste ! Et toujours ce Tom-Tom Tommy beat à la surface ! Il faut ensuite attendre «I Don’t Care» pour sauter en l’air. Fantastique buzzsaw, suivi de «Sheena Is A Punk Rocker» qui sonne comme un hit des Beach Boys. Ils déboulent sur la plage avec exactement le même power. Et en B ça repart en mode punch in the face avec «Teenage Lobotomy», belle flambée de violence ramonesque. Personne ne bat les Ramones à la course du Lobotomy. Nouvel hommage aux Beach Boys avec «Do You Wanna Dance» - Dee-Dee Dee/ Wanna dance - Ils grimpent au sommet de la power pop avec «I Wanna Be Well» et puis boom !, voilà la version studio de «Surfin’ Bird» - Well everybody saiz/ About the bird ! - Bel hommage aux Cramps.

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             Quand ils s’apprêtent à enregistrer Road To Ruin, Tommy jette l’éponge. Johnny embauche Marc Bell qui devient Marky Ramone. On a cité les  noms de Johnny Blitz (Dead Boys) et Paul Cook - We tried one drummer, Mark, and that was it - Marc jouait dans les Voidoids. Johnny ajoute que Marc pouvait manger n’importe quoi, des boîtes de dog food et des cafards. Johnny : «The production on this is the best of all of them.» Et plus loin, il ajoute : «This was the last of the great Ramones albums until Too Tough To Die.» C’est encore Stasium et Tommy qui co-produisent cet album bardé de Johnny power. Ils sonnent comme les Heartbreakers sur «I Just Want To Have Something To Do» et sur «I Don’t Want You». T’y retrouves la cisaille des Heartbreakers. «I’m Against It» et «Go Mental» sont du pur New York City Sound. Johnny sait chaque fois ce qu’il doit faire : riffer à la vie à la mort. Quel déballage ! Ils te noient «She’s The One» de son. Les Ramones sont une vraie machine. Ils claquent la plus reluisante des power-pop, montée sur l’incroyable cisaille de Johnny. Riffer, il n’y a que ça qui l’intéresse. Le coup de génie de l’album n’est autre qu’«I Wanna Be Sedated». Ramona classique, une vraie perfection de riffalama fa fa fa et de chant sucré. Joey titille bien ses petits refrains.

             Et crack : Johnny aborde l’épisode Totor. Quand ils jouent la première fois à Los Angeles, en 1977, Totor les voit et dit qu’il veut les produire. Il voulait produire Rocket To Russia et Road To Ruin mais Tommy produisait. Par contre, Johnny préfère cent fois Daniel Rey qui va produire le dernier album des Ramones, Adios Amigos

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    ( 1995 )

             Donc Totor leur court après, mais les Ramones n’en veulent pas. En même temps, ils savent qu’ils ont besoin d’un hit. Sire monte le coup avec Totor pour enregistrer End Of The Century. Johnny sent dès le départ que c’est pas bon - Right from the start, he was abusive to everybody around him, except us - Totor insulte les gens. En plus, il est très long. Hors de question pour Johnny de passer deux mois sur un album. Il voit Toror gueuler sur Larry Levine, l’ingé-son. Totor ne dort pas. Totor ne mange rien. Johnny le suspecte de tourner à la coke. Et il n’a pas une très haute opinion de ce «little guy with lifts in his shoes, a wig on his head, four guns - two in his boots and one each side of his chest - and two bodyguards.» Johnny pense que si Totor avait dû descendre l’un des Ramones, c’était forcément Dee Dee - Dee Dee drove him crazy and Dee Dee didn’t like Phil either - Quelle ambiance ! Johnny et Dee Dee finissent par se casser et Joey reste seul avec Totor pour enregistrer «Baby I Love You». Aucun autre Ramone ne joue sur cette cover. Puis Johnny évoque la pochette et l’absence des perfectos. Le photographe piège les Ramones en leur expliquant que ce serait bien de changer un peu, mais Johnny se doutait bien qu’il ne fallait pas poser sans les perfectos. Dee Dee et Joey votent pour la pochette sans perfectos. Johnny est baisé. La majorité l’empote. Puis Dee Dee et Joey prennent l’habitude de voter contre Johnny, ce qui le stresse - They were voting against me on everything artistic - Il pense que c’est la fin des Ramones, car les choix musicaux ne lui plaisent pas - I would never have put out something like a hit song just to have a hit if it wasn’t our style - Pour Johnny, la compromission est impossible. Il dit qu’il ne pourrait même pas se regarder dans un miroir. Plus loin, il explique que les Ramones n’étaient pas contre les gens, ils étaient contre ce que devenait le rock’n’roll - We wanted to save rock’n’roll - Il croyait que les Ramones, les Pistols et les Clash allaient devenir des major bands, comme le furent les Beatles et les Stones avant eux. Mais même avec Totor, ils ne passent toujours pas à la radio.  

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             Et l’album ? Une merveille. End Of The Century est l’un des très grands albums de cette époque. Coup de génie dès «Danny Says». Totor le développe doucement, Danny says we gotta go, et ça monte admirablement en neige, et soudain il pleut du son comme vache qui pisse. Voilà l’hit impérissable des Ramones. Puis on passe au mythe avec «Chinese Rock» : Heartbreakers + Ramones + Totor, tu vois un peu le travail ? Mythe encore en B avec le «Baby I Love You» des Ronettes somptueusement contrebalancé, Joey te chante ça jusqu’à l’oss de l’ass, et ce visionnaire de Totor fait littéralement swinguer les violons ! T’as jamais entendu ailleurs. Et t’en as qui vont cracher sur l’album ! Et pour finir la B, ça part en classic Ramona avec «This Ain’t Havana», puis «Rock’nRoll High School», Totor a bien compris la logique du beat serré des Ramones, et ça file encore ventre à terre avec «All The Way». Totor sublime les Ramones.

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             Quand Leave Home est sorti en 1977, nous fûmes tous frappés par la qualité du son de Stasium. Dès «Glad To See You Go», t’as le Wall of Sound, avec la voix de Joey qui résonne dans l’écho du temps. Et ça continue en mode Wall of Sound avec «Gimme Gimme Shock Treatment», avant de passer en mode power pop avec «I Remember You». Ils enfilent les hits comme des perles.  Joey arrache tous les cuts du sol. Dans «Oh Oh I Love Her So», on entend les chœurs des Dolls. C’est puissant, très new-yorkais. «Carbona Not Glue» situe bien l’époque. On sait où on est. Quel punch ! C’est encore la foire à la saucisse du power avec «Suzy Is A Headbanger». Un vrai ras-de-marrée ! La formule est au point. Ils sont à cheval sur la candeur et le rouleau compresseur. Ils portent «Swallow My Pride» au sommet du rock américain. Tout est laminé par la machine Johnny/Dee Dee, et le beat de Tommy bat comme un cœur. Fantastique cover de «California Sun». Un vrai brasier ! Les Ramones ont un son unique, une méthode bien établie. Tu les connais par cœur et tu leur accordes tout le crédit du monde. Ils sont fabuleusement cousus de fil blanc, mais tu ne t’en lasses pas. Avec la red de Leave Home, t’as un Live au Roxy en 1976 : une vraie bombe atomique, parce que «Loudmouth», one two three four ! Dee Dee is on fire, parce que «Beat On The Brat», ooh yeah oh-oh, parce que «Blitzkrieg Pop», hey ho let’s go, parce que «Glad To See You Go», parce que le wild punk d’«Havana Affair», parce que le génie punk de «California Sun», parce que «Judy Is A Punk», parce que «Now I Wanna Sniff Some Glue». Ça n’arrête pas.

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             Côté collègues, Johnny a ses chouchous, comme Johnny Thunders. Il n’aime pas Tom Verlaine, il hait Mink DeVille. Il aime bien les Dictators, mais ne traîne pas avec eux. Il aime bien Richard Hell et les Dead Boys. Et puis les Cramps - I became friends with Lux and Ivy from the Cramps too. They’ve always stayed true to what they were doing. We’re still friends to this day - Il évoque rapidement l’épisode Richie Ramone, qui a quitté le groupe en pleine tournée. Plus jamais de nouvelles - Last I heard, he was a golf caddie - Quand Richie quitte le groupe, ils testent Clem Burke en remplacement. Il allait devenir Elvis Ramone. Il a duré deux shows, «and it was awful».

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             Puis Dee Dee en a marre de la basse. Il est crédité sur trois albums sur lesquels il ne joue pas. Il est en studio, mais il ne joue pas. Il laisse Daniel Rey et d’autres jouer à sa place - Dee Dee was getting crazier and crazier and it wasn’t just drugs - Il va quitter le groupe en 1989 pour faire du rap, «which was everything we hated». L’arrivée de C.J. en remplacement de Dee Dee rallonge la durée de vie des Ramones de 7 ans. En 1988, Johnny a déjà 200 000 dollars à la banque. Pour arrêter le groupe, il lui faut un million de dollars.

             Son point de vue sur le vie de rocker est passionnant : «Le rock’n’roll n’est pas un mode de vie très sain. On a trop de liberté. Pas de patron, on peut faire ce qu’on veut. You can play stoned. Personne ne peut avoir un real job stoned.» Il ajoute que les hauts et les bas sont tellement violents qu’on finit par se droguer pour les supporter. «I didn’t. I went back to my room with milk and cookies.» Et puis ça qui vaut son pesant d’or du Rhin : «I owe my personal success to hard work, intelligence and luck, as well as knowing how to handle that luck. There’s also a certain amount of talent that I’ve developed. But most of all, it’s the fans. The fans are the biggest reason for the band to stick together and play all those years. Tout ce que je possède, je le dois aux fans.» Johnny est un cake captivant.

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             Il atteint son objectif du million de dollars au début des années 90. En 1995, il propose aux autres d’enregistrer un dernier album et d’arrêter. «And there was no resistance. None.» Il ajoute ça qui est poilant : «I thought we were becoming dinosaurs, which is why you see the dinosaurs on the cover of Adios Amigos.» Les Ramones terminent leur dernier concert au Palace de Los Angles en 1996 avec une cover du Dave Clark Five, «Any Way You Want It» - I said nothing to the other guys. I just walked out - Fin des Ramones. I tried not to feel anything.

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             Dans son avant-dernier chapitre, il dit quand même avoir espéré une reformation - In my head it was never officially over until Joey died in april 2001. There was no more Ramones without Joey - Puis c’est Dee Dee qui casse sa pipe en bois en juin 2002 - Here’s the most influential punk rock bassist of all time - He could be a problem, but I was really thrown by his death - Johnny termine avec un chapitre sur son cancer.  

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             C’est peut-être le moment idéal de voir ou revoir End Of The Century - The Story Of The Ramones. C’est du double concentré d’émotion. Dee Dee nous rappelle vite fait qu’au départ, les Ramones sont fans des Stooges et des Dolls. Ça ancre bien un groupe. Le premier cut qu’ils pondent est «Judy Is A Punk» et Tommy trouve que c’est du brillant stuff. C’est même something completely new. One two three four ! Leur premier fan est Alan Vega. Hey daddy-o ! Puis Danny Fields devient leur manager. Les voilà qui débarquent en Angleterre en 1976. Les Clash les copient avec «White Riot». On est frappé par les plans scéniques et le dévolu de Johnny & Dee Dee : ils font de l’art total. Johnny voulait que les Ramones portent l’«uniforme», pas question de se fringuer comme les Heartbreakers ! Puis Tommy en a marre - I’m losing my mind - Alors Marc Bell devient Marky Ramone. Danny Fields va se faire virer après l’épisode Totor.

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             On en arrive aux histoires de cul : Johnny pique la copine de Joey, la fameuse Linda. C’est le split entre Joey et Johnny, mais Joey ne quitte pas le groupe. Ils restent ensemble mais ils se haïssent. D’où «The KKK Took My Baby Away». Quand Marky dit a Johnny qu’il a déconné en barbotant la poule de Joey, il se fait virer. Richie devient le nouveau batteur pour 5 ans, avant de se faire virer, pour une question de merch : Richie voulait sa part. Pas question ! Alors Marky qui a réussi à stopper la picole revient. Dee Dee veut faire du rap, alors il se barre et C.J. le remplace. C’est vrai que Joey aurait pu se barrer depuis longtemps, but he needed a fix, and the fix was the Ramones. Ils arrêtent les frais avec Adios Amigos - On a fait ça pendant 21 ans - Dernier concert en 1996 et Joey casse sa pipe en bois en 2001. Il n’a que 49 ans. Santé précaire, disent les proches. 

    Signé : Cazengler, Ramone sa fraise

    Ramones. Ramones. Sire 1976

    Ramones. Leave Home. Sire 1977

    Ramones. Rocket To Russia. Sire 1977

    Ramones. Road To Ruin. Sire 1978

    Ramones. End Of The Century. Sire 1979

    Ramones. It’s Alive. Sire 1979

    Kris Needs : The Forest Hills are alive! Record Collector # 572 - July 2025

    Commando: The Autobiography of Johnny Ramone. Abrams 2012

    End Of The Century - The Story Of The Ramones. DVD Rhino 2005

     

     

    Wizards & True Stars

     - Le rock à Billy

     (Part Nine)

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             En plus des albums enregistrés avec Sexton Ming (salués bien bas la semaine dernière) et ceux enregistrés avec Russ Wilkins dans les Milkshakes (salués encore plus bas auparavant), t’as une belle ribambelle d’albums solos et au moins deux compiles rétrospectives qui valent cent fois tout l’Or du Rhin. Et même mille fois. Le panorama reste assez vertigineux.

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             Dans les années 90, tu ramassais tout ce qui portait le nom de Childish, à commencer par  I’ve Got Everything Indeed, son premier album solo. Pochette childishienne ornée de bois gravés et du punk Big Billy, et au dos, son état civil. On apprend qu’il est né à Chatham en 1953 et que l’album est produit par Stanley Arthur Jefferson, la cover signée Guy Hamper, et l’art direction est de William Loveday, autant de pseudos qu’il va réutiliser plus tard. C’est du fait-maison à 100%. Il enregistre déjà à Rochester et l’album sort sur son label Hangman, dont le logo est le bois gravé d’une potence. En 1986, tout l’univers est déjà là. Et puis t’as l’interview du Doctor X sur le côté. Big Billy commence par accuser Elvis Costello et Bowie de faire un dishonest buck avec de la fake culture. Alors pour échapper à ça, dit-il, tu fais ton art local, «qu’on appelle le punk rock», et quand le punk rock a été corrompu, «we moved on, not upwards but sideways, like a crab, to avoid it.» Puis il dit qu’il vend ses books à son comptoir, «that’s my bisniss (sic)» et il ajoute ça qui est terrible : «I put my money where my mouth is, I’m not Pete Townshend, I don’t weedle my way into Faber and Faber.» Quand Doctor X le branche sur Morrisey et Paul Weller, Big Billy se fout en pétard : «That Morrisey bloke, I’ve seen him on his videos crawling round on his ass singing to a bunch of flowers», et il ajoute plus loin : «The angry young man of modern rock?  He’s more interested in his haircut and clothes... the same goes for Paul Weller.» Il attaque l’album avec une cover primitive d’«Oh Yeah» qu’il gratte à coups d’acou. Puis il reprend le riff d’«Oh Yeah» pour gratter son «Troubled Thoughts (Resting On My Mind)». T’as vraiment intérêt à écouter Wild Billy Childish : il sait tout faire et fait tout bien. Il tape encore une version primitive de «Bright Lights Big City» avec des clap-hands. C’est enregistré dans la cuisine. En B, il gratte les accords de Bo sur «Strange Words» et passe au proto-punk avec «Get Out Of Here Pretty Girl». Il gratte son riff raff comme un démon. Plus loin, il claque un fast boogie blues primitif, «Coming Upside Your Head». Il est dans doute l’artiste le plus complet d’Angleterre. Et le plus fascinant.

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             Belle pochette hideuse pour I Remember, mais quel primitivisme ! Il gratte tout dans sa cabane de jardin à Chatham. On croise la première version de «Why Don’t You Try My Love» qu’on retrouvera plus tard dans les autres projets. Même le killer solo de «Come Love» est primitif. Tout sent bon la cabane branlante. En B, ils gratte son «Burn & Blind Me» à l’enroulée. C’est magnifique. Au dos de la pochette, il met la photo d’un homme qu’on pend dans la rue pendant la deuxième Guerre Mondiale.

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             Il apparaît en compagnie de sa poule Tracey Enim que la pochette de The 1982 Cassettes. Et au dos, il te prévient : «You most likely won’t like this record». Il colle en plus une photo de lui avec les dents pourries et un sourire de psychopathe. Il reste dans l’ultra-primitif avec «Col’ Col’ Chillen» et il accentue bien ses accents primitifs. Il déclare au bas d’un texte tapé à la machine : «no alls ain’t gonna sit down for an hour and listen to something that’s gonna burn your soul.» Cet album est l’artefact du primitivisme. Avec «Monkey Bisniss», il tape la cover la plus primitive du Monkey Biz. En B, il fait un peu l’Hasil à l’asile avec «Todays Menu» et il trashe complètement sa cover de «Little Queenie».

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             Rien de plus punkish que la pochette de 50 Albums Great. Il a peint son costard. Il sort un son cru et on l’entend cracher dans son micro. C’est sur cet album qu’on trouve les premières versions fabuleusement raw d’«I Don’ Like The Man I Am» et «Rusty Hook» qu’il reprendra beaucoup plus tard avec The William Loveday Intention. Il s’amuse aussi avec «Miss Ludella Black» - Miss Black/ Miss Black/ I’m in love with you girl - Au dos, il explique que cet album «is something like my 50th, it is a celebration of never having a producer», et signe Jack Ketch, un pseudo qu’il reprendra sur un seul album.  

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             Joli bois gravé pour la pochette de The Sudden Fart Of Larfter. Tu ramasses ça croyant que c’est un album de garage primitif, mais c’est encore mieux : Big Billy lit ses poèmes - I’m a desperate man/ With desperate hands/ And bad teeth - Au dos, on trouve la première partie de sa bibliographie : 30 books en 10 ans, de 1981 à 1992. En plus des albums. 

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             C’est Little Billy qu’on voit sur la pochette de Made With A Passion. Il a 14 ans. Au dos, il explique qu’il enregistre des démos dans sa cuisine, «as a memory device». Il rappelle qu’il a déjà fait «80 LPs without a producer», mais ajoute-t-il, il y a toujours une manipulation going on, «a dressing up (or dressing down) of the sound, to make it more live, more raw and exciting, or as is more often the case with contemporary studios, more dull...» Il conclut en expliquant que cet album «is a personal notebook that was never intended for release, so it sets out to please no one.» Effectivement, l’album est un peu austère. Mais Sympathy For The Record Industry n’a pas hésité un seul instant à le publier.

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             Et puis t’as ce duo de rêve, Billy Childish & Holly Golightly qui enregistre en 1999 un album de rêve : In Blood. Pochette de rêve et au dos, liners de rêve. Sous le couvert de l’Hangman Bureau of Enquiry, Big Billy déclare : «Three chords are a problem. There’s just too much diversity and choice.» Il s’en explique plus loin : «This album uses one chord and it’s simple and dumb, but really it’s sophisticated beyond the wildest dreams of the poor professional.» Il vole dans les plumes de la Brit-pop et clame que le futur appartient aux glorieux amateurs - One chord, one song, one sound! - Pour illustrer ce brillant slogan, ils tapent un fabuleux boogie down, «Step Out», bien stompé au Billy Boot, avec John Gibbs à la stand-up et Bruce Brand au beurre. En écho à ce fulgurant coup de génie, tu trouves au bout de la B un autre big boogie down de Billy Boot, «Hold Me». Ils roulent-ma-poule à belle allure, bien pulsés par le bop de Gibbs. C’est quasi rockab. Avec le morceau titre, Big Billy reste sur son accord avec derrière un beurre du diable signé Bruce. Ça vire hypno avec «Let Me Know You». C’est ce qu’on appelle une volonté clairement affichée. «Let Me Know You» tape en plein dans l’œil du cyclope, avec les coups d’harp de Johnny Johnson. Et avec son tacatac incessant, Bruce vole le show sur «You Got That Thing». Ils tapent tout «Demolition Girl» sur un riff de destruction massive, pas loin de celui de «Cold Turkey». Ils reviennent aux sources du British Beat avec «You Move Me», en ouverture du bal de B, et la stand-up ramène un brin de rockab dans «It’s A Natural Fact». Early British Beat encore avec «I’m The Robber», Big Billy n’en démord pas, c’est monté sur le groove du «Mama Keep Your Big Mouth Shut» des Pretties. On se régale encore de «Move On Up». Bruce Brand est plus dans le swing, comme Charlie Watts, alors que Wolf, l’autre batteur de prédilection de Big Billy, est plus dans Moonie. Big Billy a toujours eu les meilleurs batteurs d’Angleterre.

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             Ce serait une grave erreur que de faire l’impasse sur les rétrospectives de Big Billy. 25 Years Of Being Childish va te clouer vite fait à la porte de l’église. Cette compile est un peu le royaume du proto : Milkshakes et «Pretty Baby», puis «Please Don’t Tell Me Baby» (wild as proto-fuck, il n’existe pas d’autre mot possible), Mighty Caesars et «You Make Me Die» et «Lie Detector» (proto du diable et killer solo flash convulsif), puis Thee Headcoats et «Smile Now» (Big Billy ramène toute la morve de la fuzz), sans oublier l’enfer sur la terre, c’est-à-dire la cover de «Watcha Gonna Do About It» des Pop Rivets. Ils font passer les Small Faces dans leur laminoir. Le déluge se poursuit sur le disk 2, avec une ribambelle d’hommages : à Jimi Hendrix (Buff Medways et «Fire» claqué direct au uhhhh), hommage encore à Bo (Thee Headcoat Sect et «Deer Stalking Man», Downliners ruckus, incomparable !), hommage aux Pistols (The Blackhands et «Anarchy In The UK» tapé en mode balloche), clin d’œil aux Buzzcocks aussi (Billy Childish with Armitage Shanks et «Shirts Off»), et pur jus Dylanesque (Billy Childish et «Ballad Of Nettie Brown»). Puis t’as cette avalanche de coups de génie : Thee Headcoatees avec «Wild Man» et «Davey Crockett» (Kyra y va à l’oum pah pah oum yeah !, puis ça repart sur Farmer John, what you got in your pocket), et plus loin t’as Thee Headcoats et «The Hurtin’» (fantastique dégelée aérodynamique), Thee Headcoatees et «Hurt Me» (pur génie de montée en température, summum orgasmique), puis retour des Headcoats avec «The Same Tree» (early Stonesy), et t’as une belle cerise sur le gâtö : les Buff Medways avec «Archive From 1959» et «Troubled Mind» (tu retrouves le power des Who dans les Buff, c’est in the face, tout y est : la hargne et la hargne, le chien et la chienne).

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             From Fossilised Cretaceous Seams: A Short History Of His Song And Dance Groups vient de paraître et se présente sous la forme d’un double album bien dodu avec un very early Big Billy en maillot de bain. C’est une sorte de résumé de tout ce qui fait le génie du rock anglais : les Who (Spartan Dreggs et «Headlong Fly The Archaeans», en plein dans l’œil de la cocarde), les Pistols (Musicians Of The British Empire et «Christmas 1979», Big Billy fait son Johnny Rotten avec la scansion d’Anarchy, merry fucking Christmas to you’ll), et Wild Billy Childish himself (CTMF et «Last Punk Standing», heavy proto-punk à rebours de déclaration de pâté de foi). Bon, t’as aussi les Mighty Caesars, les Buff Medways, les Milkshakes, The William Loveday Intention, Thee Headcoats, les Singing Loins, le Guy Hamper Trio avec James Taylor et son Hammond organ, et bien sûr les Delmonas qui chantent «I Feel Like Giving In» en français - J’espère que tu comprends - Et ça continue sur le disque 2, c’est un vrai manège-à-moi-c’est-toi qui te fait tourner la tête Tu retrouves un hommage aux Who avec les Spartan Dreggs et «A Shopshire Lad» (encore plus Whoish que les Who, comme si c’était possible), un hommage à Bob Dylan avec CTMF et «Failure Not Success» (quel souffle !), du Pure Brit Art avec Buff Medways et «Medway Wheelers» (belle basse pouet pouet), du proto-punk avec Thee Headcoats et «The Same Tree» (C’est le son des Pretties, on est en plein protozozo), de la politique avec The Musicians Of The British Empire et «Thatcher’s Children» (The winner can’t win/ Save your own skin/ Everyone’s a loser), et des coups de génie comme s’il en pleuvait : Thee Headcoatees et «Hurt Me» (belle montée féminine), CTMF et «A Song For Kylie Milogue» (People think they know me/ But they don’t know me/ People think they know me but what do they know?) et The Musicians Of The British Empire avec «Joe Strummer’s Grave» (le power de Big Billy n’a jamais été aussi extravagant - Cool Britannia Jesus saves/ Rupert Murdoch rules the waves/ Richard Branson doesn’t shave/ And Joe Strummer’s lying in his grave).

    Signé : Cazengler, débilly

    Billy Childish. I’ve Got Everything Indeed. Hangman Records 1987

    Billy Childish. I Remember. Hangman Records 1988

    Billy Childish. The 1982 Cassettes. Hangman Records 1988

    Billy Childish. 50 Albums Great. Hangman Records 1991  

    Billy Childish. The Sudden Fart Of Larfter. Dog Meat 1992

    Billy Childish. Made With A Passion. Sympathy For The Record Industry 1996

    Billy Childish & Holly Golightly. In Blood. Wabana One Limited 1999

    Billy Childish. 25 Years Of Being Childish. Damaged Goods 2002

    Wild Billy Childish. From Fossilised Cretaceous Seams: A Short History Of His Song And Dance Groups. Damaged Goods 2024

     

     

    Inside the goldmine

    - La prestance de Clarence

             Tu t’enorgueillissais de fréquenter Édouard Clairon. T’avais là un homme fier de ses racines bretonnes, il en avait le bleu de la mer plein les yeux et du celticisme plein la verve. Il se dressait comme un dolmen. Il jonglait avec les prophéties comme d’autres jonglent avec des quilles au cirque. Il offrait l’hallucinant spectacle du prophète en la matière, de messie des data-bases, d’oracle des mutations irrémédiables, on voyait en lui le Grand Prêtre d’un Ra techno, le prédicateur des apocalypses digitales, l’augure d’outrances galvanisantes, la Bernadette Soubirou du Blue Tooth, le canonisateur des souris sans fil, le cartomancien des cartes mères, le devin de la dématérialisation, le visionnaire d’écrans 27 pouces, le vaticinateur du raccourci-clavier vicinal, l’extrapologue de la mémoire cache, l’empêcheur de tourner en rond, le fulmineur du fire-wire, l’annonceur des futures annonces, l’instigateur d’un nouveau domaine de la lutte, le ratificateur du rut numérique, t’en finissais plus de boire les paroles lénifiantes d’Édouard Clairon, son discours coulait en toi comme une rivière de miel, mais dans les abeilles. Alors imagine-toi un instant un tout petit plus primitif que tu ne l’es déjà : nul doute que tu lui aurais léché les bottes, ou bien les Nike, pour être plus précis, mais tu te l’interdisais, car il fallait conserver un minimum de dignité, même si tu soupçonnais Édouard Clairon de n’attendre que ça, qu’on lui lèche les Nike. C’est dire la considération qu’on avait tous pour lui. Et plus il parlait, plus cette considération fermentait dans les cervelles. Comme tous les pronostiqueurs du futur, il exerçait sur les esprits faibles une fascination indiscutable. Il nous rendait vraiment fiers de nos limites.

     

             Édouard Clairon et Clarence Edwards font exactement la même chose : ils te gavent comme une oie. L’un va te gaver de vent, et l’autre de blues. Et quel blues, my friend !

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             Tony Burke raconte que Clarence a appris à gratter le blues à 12 ans, en écoutant des 78 tours de Charley Patton. Clarence a démarré tôt dans les années 50/60, puis il est tombé dans l’oubli. C’est un Anglais, un certain Steve Coleridge, qui l’a redécouvert en 1989. Coleridge s’était installé à Baton Rouge pour bosser sur Slim Harpo. C’est lui qui va sortir Swamps The Word. Coleridge qui est aussi bassman va même accompagner Clarence en tournée. Burke situe Clarence ainsi : «One of the last of the great swamp blues artists in the style of Lonesome Sundown or Lightnin’ Slim.»  

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             Swamps The Word grouille de puces, à commencer par la plus mythique des covers : «The Things I Used To Do» de Guitar Slim. Hommage dément, avec tout le poids du spirit, le drive est pur - I’m gonna send you back to your mother - Il enquille à la suite une cover aussi hot d’«Hi Heel Sneakers». Hot as hell, sur les traces de Jerry Lee. On trouve aussi un hommage fabuleux à Muddy : «Hoochie Coochie Man», la racine du rock. Son of a gun ! Pas aussi raw que Muddy, mais Clarence prend l’Hoochie Coochie à la bonne. Il a tout : le black cat bone et le mojo too. Il prend tous ses cuts d’une voix de black dude des bas-fonds. Il n’en finit plus de charger sa barcasse. Coup de génie avec avec «Rocky Mountains». Il re-sort son énergie du diable pour «Chewing Gum». Il faut le voir swinguer son swagger ! Il reste maître du jeu de gimme some. Avec «I’m Your Slave», il balaye d’un coup tout le british Blues. Laisse tomber les blancs, c’est Clarence qu’il te faut. Il fait une cover démente de «Walking The Dog». Clarence est un punk black, le plus féroce d’entre tous. Il sait encore rocker le blues comme le montre «Still A Fool», sure ‘nuff it is ! Et il plonge dans les abîmes de l’heavy blues avec l’incomparable «Lonesome Bedroom Blues». Rien d’aussi balèze ici-bas, c’est gorgé d’écho. Fantastique justesse du ton ! Encore du panache à gogo avec «Done Got Over It». Et quand t’écoutes «Let Me Love You Baby», tu comprends que le blues et le rock, ça appartient aux blackos. T’as cet incroyable balancement basse/beurre, le black swing. Et t’as la pure diction du swamp rock. Clarence est rompu à tous les lards. Sur cet album, chaque cut est un petit chef-d’œuvre de perfection. Encore de l’heavy blues de rêve avec «Born With The Blues». Clarence mouille bien ses syllabes, il chante à l’accent pur. Il passe au pur piano blues de juke-joint pour taper un sidérant «Coal Black Mare». Bravo Clarence !

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             Tu peux prendre n’importe quel album de Clarence, c’est toujours bien. Et si tu en pinces pour l’Heartbreaking Blues, alors écoute Swampin’. Il attaque avec l’heavy blues cajun de génie, «Lonely Lonely Nights», puis il va enfiler ses heavy blues comme des perles : «Tried So Hard», «Cry Like A Baby» (fantastique balancement, on est là au max des possibilités de l’heavy blues), «Born With The Blues» (I got all them down in my shoes, et ça commence early in the morning/ Sure nff to write down some), «Long Distance Call» (Please call me on the phone/ Sometime, il est infernal, Yes my phone keeps ringing/ Sounds like a long distance call) et «Rocky Mountain» (heavy as hell. Clarence est un géant - That’s a place I like to see). Et puis t’as cette version de «Spoonful» ! C’est pas celle des petits culs blancs comme Cream. C’est le vrai Spoonful joué au beat tape-dur. Il se montre digne de Muddy avec «She Moves Me». Même attaque - She moves me man ! - Et il tape une autre cover mythique, «Will The Circle Be Unbroken». Il sort du cut en vainqueur, avec les accords de la modernité.  

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             Dans le 4 pages de Louisiana Swamp Blues, t’as une fantastique petite interview de Clarence. Il dit avec vécu à Alsen, en Louisiane puis à Thomas Scrap, où il a fait du farmwork. S’il a connu Robert Pete Williams ? Oui, «he used to bring scrap there in his truck, and Slim Harpo too.» Pour une raison X, Clarence n’a jamais enregistré pour Jay Miller «in the heyday of the Crowley blues recordings.» Sur ce fantastique Louisiana Swamp Blues, tu retrouves l’heavy «Cold Black Mare». On a écrit «cold» sur le track listing, alors qu’il s’agir de «coal». Clarence shakes down une belle cover d’«Hi Heel Sneakers» et se montre d’une rare crudité avec «Don’t Play With My Mistakes». Il est à l’aise dans le limon du boogie, il chante à l’accent déviant, c’est un bonheur que d’écouter ce blackos. Nouveau coup de Jarnac avec «Free Will». Ses riffs ne trompent pas. Il est encore extrêmement primitif avec «Up’s & Down’s». Clarence est un artiste complet. Tu peux y aller les yeux fermés.

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             Juste un petit conseil comme ça, en passant : ne fais pas l’impasse sur I Looked Down That Railroad (Till My Eyes Got Red And Sore). Clarence est vieux, mais il n’a jamais été aussi bon. Il tape une heavy cover d’«Highway 61» - I give her all my money - et enchaîne avec un autre Heartbreaking Blues de choc, «Trouble Don’t Last». Il est le prince de l’heavy blues - My father was a preacher And my mother prayed for me everyday day - Il tape dans le mille à chaque fois. Encore un fantastique heavy blues de many many years avec «I’m Your Slave». L’heavy boogie blues d’«I Walked All Night Long» est imbattable - She started screaming murder - et il tape à la suite un autre coup de génie, l’«I Just Wanna Make Love To You» de Big Dix - Love to you ! - C’est balèze et bien gras. Il tape «I Miss You So» au power vocal pur et rend un bel hommage à Fatsy avec la cover du diable : «Blue Monday». Back to the wild boogie avec «When The Weather Gets Cloudy». Clarence rôde dans le beat. Ces mecs jouent en rase-motte incendiaire. Et puis t’as encore un clin d’œil à Bo avec une cover d’«I’m A Man». Clarence t’estomaque.

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             Il attaque Baton Rouge Downhome Blues au pur raw to the bone, avec «Every Night About This Time». T’as le pur gras double de Baton Rouge. Et ça continue avec «Dealin’ From The Bottom Of The Deck», pur crack du boum, et ça solote dans le limon. Il tape ensuite dans la véracité de l’heavy blues avec une sidérante cover de «Crawling King Snake». Clarence Edwards est stupéfiant de power. Il explose l’«All You Love» de Muddy à coups de proto-Baton. Il ne dépasse pas les bornes, il les explose. Il monte sur tous les coups du blues. Tu seras scié par la classe du gimmicking dans «Well I Done Got Over It». Grand retour à l’heavy blues avec «Still A Fool». C’est un heavy blues d’une profondeur extraordinaire. Il bat Wolf et Muddy à la course. Il y va au aw aw sure ‘nuff I’ll do. On reste dans les coups de génie surnaturels avec «Rocky Mountain Blues» - These rocky mountains/ That’s the place I love to see - Il ne fonctionne qu’au pouvoir absolu. Clarence ramène des clameurs froutraques qui n’existent pas dans le Chicago Blues. Il tient encore sa fournaise en laisse dans «Don’t Make Me Pay For His Mistakes». Il tape ensuite un cover ahurissante d’«Hoochie Coochie Man», il y va au ha ha have mercy, et gratte des notes à contre-courant. On n’avait encore jamais vu ça. Il reste au sommet de l’Ararat avec cet «Everybody Has Those Ups & Downs» glorieux comme pas deux. Il n’existe rien de plus heavy sur cette terre. Il passe au mythe pur avec une cover du «Things I Used To Do» de Guitar Slim. Nouvelle descente au barbu avec «Highway 61 Blues». Clarence est le roi de l’heavy doom. Il te claque un beignet vite fait - I gave all my money - Toujours la même histoire. Clarence Edwards a tout le power de Baton Rouge. Il rocke mille fois plus que les blancs, c’est important de le dire. Il cultive une sorte de power intrinsèque, un downhome des enfers.

    Signé : Cazengler, rance tout court

    Clarence Edwards. Swamps The Word. Sidetrack Records 1988

    Clarence Edwards. Swampin’. Fan Club 1991  

    Clarence Edwards. Louisiana Swamp Blues. Wolf Records 1993     

    Clarence Edwards. I Looked Down That Railroad (Till My Eyes Got Red And Sore). Last Call Records 1996 

    Clarence Edwards. Baton Rouge Downhome Blues. Wolf Records 2023

     

     

    L’avenir du rock

     - Le take five des 5.6.7.8’s

     

             L’avenir du rock ne s’attendait pas à croiser Dee Dee Ramone dans le désert. Ah ça, pour une surprise, c’est une surprise !

             — Dis donc Dee Dee, qu’est-ce tu fous là ?

             — One two three four ! I don’t wanna go down to the basement !

             — T’en fais donc pas Dee Dee, ya pas d’basement dans l’désert !

             Interloqué, Dee Dee reste muet quelques secondes, puis il lance d’une voix rauque :

             — One two three four ! I wanna be sédentaire !

             Agacé par le niveau zéro de la répartie, l’avenir du rock reste de marbre un moment puis il finit par marmonner d’un ton grinçant :

             — Ah bah dis Dee Dee, t’es en pleine surchauffe pondérale !

             Dee Dee encaisse l’insulte et lance d’une voix de fouine délinquante :

             — One two three four ! The KKK took my barda away !

             L’avenir du rock lève les bras au ciel :

             — Te fais donc pas d’bile Dee Dee, t’as pas besoin d’barda ici ! Regarde-moi, Ducon la joie, est-ce que j’ai un barda ?

             Ça laisse Dee Dee interdit. Mais créatif comme pas deux, il repart de plus belle :

             — One two three four ! Judy is a baseball bat !

             L’avenir du rock ne sait plus quoi dire. Il se sent dépassé. Pire encore, il sent qu’il perd son temps. Il déteste pisser dans un violon. Pendant ce temps, l’autre continue :

             — One two three four ! I wanna be your gaufrette !

             — Dis donc mon con joli Dee Dee, ça t’écorcherait la gueule de changer d’disque ?

             — Five six seven eight !

             — Ah bravo, c’est beaucoup mieux...

     

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             The 5.6.7.8’s est un trio de petites Japonaises qui date de Mathusalem. On les voit en effet dans Kill Bill 1 et leur premier album date de 1988, donc on peut faire le compte. Le problème c’est qu’elles sont tellement kitsch qu’on a jamais réussi à les prendre au sérieux. Grave erreur !

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             L’occasion nous est donnée de les voir sur scène en première partie de Gyasi. On arrive avec un a-priori, on renâcle, on rechigne, on renaude, on se souvient d’un son inabouti, d’un girl-group amateur, et puis dès le premier cut, «Hanky Panky», elles raflent la mise. Pourquoi ? Parce qu’elles n’ont aucune prétention. Elles jouent toutes les trois dispersées dans l’immense espace de la grande scène, ce qui équivaut à une sorte de dénuement, alors elles passent en force. Elles s’attaquent à un genre difficile qui est le gaga-kitsch, et seules des Japonaises peuvent réussir un coup pareil. Ronnie Fujiyama gratte ses poux sur une gratte vintage et sort le son clair des

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    origines du gaga-surf. Et derrière elle, t’as l’une des plus belles sections rythmiques de l’underground : Akiko qui swingue ses basslines avec une effarante maestria, et une fabuleuse batteuse de rockabilly, Sachiko, qu’on surnomme Geisha Girl Salad et qui pourrait très bien accompagner Charlie Feathers. Elles tapent à trois un set d’une heure qui ne cède rien ni à l’ennui ni à la médiocrité, c’est tout le contraire, elles subliment ce genre forcément difficile qu’on croit réservé aux dieux du stade, elles se l’approprient pour en faire du pur 5.6.7.8’s sound. Elles enfilent leurs vieux

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    hits comme des perles, «Godzilla», «Woo Hoo», Ronnie Fujuyama envoie parfois un coup de fuzz dans sa dentelle, et c’est du meilleur effet, elle est extraordinairement concentrée. Elle a ce côté vétérante de toutes les guerres qui assoit bien sa légende. Et tu vois cette diablesse d’Akiko tricoter ses lignes de basse athlétiques avec un sourire chargé de mystère. Franchement t’en reviens pas de voir un groupe défier les lois de la physique avec une telle retenue. Plus leur son paraît austère et plus tu les admires, car elles jettent toute leur énergie dans la balance et t’es rudement content d’être là, quasiment prosterné à leurs pieds.  

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             Pour entrer dans le monde magique des 5.6.7.8’s, l’idéal serait d’écouter Bomb The Rocks: Early Days Singles 1989-1996, une compile bourrée à craquer de bombes atomiques. Boom dès «Bomb The Twist», trash-punk de proto-punk, c’est même au-delà de tout proto, elles se jettent dans la bataille avec une vraie sauvagerie. Avais-tu

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    déjà vu un truc pareil ? Non. Elles tapent ensuite dans l’univers des Cramps avec «Jane In The Jungle», paradis de la reverb & du wild raunch.  Elles font encore les Cramps plus loin avec un «Jet Coaster» monté sur le modèle de «Fever». Tu veux de la délinquance juvénile ? Alors écoute «Guitar Date». Ronnie Fujiyama gratte sec. C’est une trash-punk. Elles foncent dans le mur du rock avec «Woo Hoo». Quelle bande de folles ! Leur cœur de métier est le trash, comme le montre «Continental Hop», fabuleusement arraché, ou leur version de «Long Tall Sally», trashée jusqu’à l’oss de l’ass, ou encore «Scream», allumé au scream de dingue, un summum d’insanité. Leur «Boyfriend From Outerspace» défonce les barrages et elles te cisaillent «She Was A MAu MAu» à la base : wild fuzz guitar ! Ronnie Fujiyama devient complètement dingue, elle bat tous les records de sauvagerie vocale. Elles savent aussi dealer du kitsch comme le montre «Bond Girl», elles tapent le thème de James Bond et ça sonne ! Joli shoot de gaga Jap avec «Fruit Bubble Love» et elles envoient un gros clin d’œil aux Shangri-Las avec «Motor City Go Go Go». Extraordinaire power délinquant ! Ronnie Fujiyama gratte des poux de dingue dans «The 5.6.7.8’s», un instro magnifico et tout rebascule dans le génie avec «Edie Is A Sweet Candy» qu’elles tapent à l’énergie fondamentale. Ronnie chante encore comme un monstre à la bouche gluante dans «I Was A Teenage Cave Woman», non seulement c’est hanté, mais t’entends des poux demented, t’as tout, le scream, la Jap, la démesure. Et ça repart dans le trash-bop avec «Ah-So», et du coup elles deviennent tes wild chouchoutes.

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             On retrouve la version originale de «Scream» sur le premier album sans titre des 5.6.7.8’s.  Ça hurle dans les couloirs du château d’Écosse. Whoooooh ! C’est excellent, soutenu par un gratté de poux génial, quasi rockab dans l’essence. Un vrai coup de génie, pour l’époque. Elles deviennent aussi les reines du trash avec «Oriental Rock», qu’elles trash-boom-huent, elles sont aussi pures que les Monsters, et leur version de «Long Tall Sally» en B bat tous les records de trash. Ronnie Fujiyama t’iconoclaste Sally en beauté. Elle sort ensuite sa plus belle fuzz pour «Cat Fight Run», et derrière, ça tatapoume de plus belle. Elles passent au kitschy kitschy petit bikini avec «Highschool Witch». Elles tapent ça à la finesse extrême, avec un beurre rockab. Elles font aussi deux belles covers jap : l’«Arkansas Twist» de Bobby Lee Trammell et elles allument «Tallahassie Lassie» aussi bien que les Groovies.

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             On retrouve le fameux «Scream» sur le Live At Third Man Records paru en 2013, c’mon scream yeah !, et elles tapent une version ultra-wild de «Teenage Mojo Workout». Elles sont tellement énergiques dans la dépenaille que ça devient génial. Par contre, le reste du Live n’est pas si bon. Le son est trop dépouillé, trop fête foraine. C’est même assez aléatoire. On perd la ferveur des early singles. Ça ne fonctionne pas. Elles tentent de sauver le Live avec «Bomb The Twist» et «Barracuda», mais ça se solde par un gros chou blanc.

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             On va donc se remonter le moral avec un album extraordinaire, le Teenage Mojo Workout paru en 2002. Elles te noient dans le trash dès «(I’m Sorry Mama) I’m A Wild One». Elles te jettent dans la friteuse, t’as tout, la folie, le beat, la démesure, le trash pur ! Et ça continue avec un «I’m Blue» stupéfiant de trashitude. Elles rendent un fantastique hommage à Bo avec «Road Runner». Fuzz-out ! Explosif ! Elles foncent dans la nuit avec «Typhoon Girl», un instro en forme d’incroyable déboulade pulsée par le beurre du diable. Et là tu vas tomber sur la triplette de Belleville, trois covers mythiques : «Hanky Panky» (attaqué à la fuzz, terrific), «Harlem Shuffle (elles tapent dans Bob & Earl de plein fouet, à l’arrache japonaise, elles sont héroïques, imbattables, elles atteignent leur sommet) et «Green Onions», amené à la Jap demented, elles le saturent de fuzz. Et puis voilà le morceau titre, d’une rare violence, wild as fuck, monté sur un drive de dingue, l’un des hits gaga du siècle, claqué aux pires accords Jap. Elles atteignent ensuite les somment du boogaloo-trash avec «Let’s Go Boogaloo». Elles te l’explosent dans la stratosphère.

    Signé : Cazengler, 9.10.11.12.13.14.15.16.17.18.19

    The 5.6.7.8’s. The 5.6.7.8’s. Time Bomb Records 1985        

    The 5.6.7.8’s. Live At Third Man Records. Time Bomb Records 2013   

    The 5.6.7.8’s. Teenage Mojo Workout. Time Bomb Records 2002

    The 5.6.7.8’s. Bomb The Rocks: Early Days Singles 1989-1996. Time Bomb Records 2003

     

     

    L’avenir du rock

    - Finnigan’s wake

     (Part Three)

             L’avenir du rock est fier d’appartenir au Cercle des Pouets Disparus. Il retrouve chaque mardi ces fiers barons de l’érudition rock dans un appartement de la rue de Rome dont nous tairons ne numéro pour éviter toute interférence mallarméenne. Le thème de la soirée est le Mono.

             Nick Cunt caresse son jabot et lance d’une voix cristalline de gazelle effilée :

             — Qui Monoterais-tu au radiateur, avenir du rock ?

             — Monoman, sans la moindre hésitation.

             Une rumeur admirative caresse les chevelures des convives.

             Charles Shaar d’Assaut s’écrie du haut de sa supériorité numérique :

             — Tu as toujours eu la glotte habile, avenir du rock. Ébahis-nous une fois encore : sur quel canasson Monomiseras-tu ton petit kopeck ?

             — Monochrome Set, comme je l’ai toujours fait depuis 40 ans ! Et toi Mick Tamère, quel est donc la nature de ton Monopole ?

             — Monoparental. Ma femme s’est barrée. Wouah quelle salope !

             Un vent glacial caresse les chevelures des convives.

             Philippe Panier-Garni s’élance fort héroïquement au secours de la situation :

             — Qui sauvera l’honneur du Cercle des Pouets Disparus ?

             — Il n’existe qu’un seul moyen !, s’écrie magnanimement l’avenir du rock.

             Médusée, la petite assistance attend la suite. Alors l’avenir du rock se hisse sur la table basse et lance du haut de son registre :

             — Back to Mono !

             Une rumeur de stupeur parcourt la petite assemblée. Alors pour river son clou, l’avenir du rock ajoute :

             — Back to Monophonics, bien sûr !

             — Ooooouuuhhhhhh....

     

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             Quand on voit Kelly Finnigan arriver sur scène, c’est un peu comme si on voyait revenir un vieux copain. Il ne va pas se passer grand-chose sur scène, car, fidèle à son habitude, Kelly reste assis derrière ses claviers, se contentant de pousser la chansonnette et de pointer du doigt, pour appuyer ses injonctions le plus souvent d’essence sentimentales. Il met aussi régulièrement la main sur le cœur pour nous assurer de sa bonne foi. On a presque envie de lui dire qu’on n’oserait pas la mettre en doute, mais ce sont des choses qu’on ne dit pas.

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             Alors forcément, cette Soul blanche te colle autant à la peau qu’au premier jour. Kelly est l’un des très grands chanteurs de son époque et il fait le choix de l’underground pour cultiver sa Soul en toute tranquillité, bien peinard sur la grand-mare des canards. Pas question d’aller promener son cul sur les remparts de Varsovie. Il tient trop à son intégrité. Il préfère ne vendre qu’une poignée d’albums à une poignée de fervents amateurs plutôt que d’aller faire la pute dans les émissions de télé à la mode. Et c’est pour ça qu’on le respecte. Avec Dan Penn, Kelly Finnigan est à peu près le seul Soul Brother blanc. On pourrait aussi remonter jusqu’à Eddie Hinton, Mitch Ryder, George Soule, Bobby Hatfield, et parmi les contemporains, épingler l’excellent Nick Waterhouse, ou encore Marcus King, mais Kelly se distingue des autres White Niggers par la qualité et la puissance de sa voix qu’on peut qualifier de grasse et colorée à la fois, de volatile et fruitée. Il est aussi perçant que Percy Sledge et hot qu’Otis. Il communique bien avec le public et n’a qu’un seul mot à la bouche : love. Alors love par ci et love par là. Tu sais pour l’avoir déjà vu à l’œuvre que rien ne va se passer et que tout se passe dans ta perception de la Soul,

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    dans ce que tu en attends. Il faut se souvenir de ce que Dave Godin disait de la Soul, il fallait qu’elle soit (pour lui) slow and fervent. Et passé le premier écueil, tu entrais alors dans le lagon d’argent de la Deep Soul. Kelly Finnigan ne fait que ça, de la Deep Soul slow and fervent, qui peut sembler atrocement austère au premier abord, mais qui est d’une rare qualité artistique. Une Soul d’une extrême pureté. On pourrait parler d’une Soul raffinée à l’extrême, comme ce «Promises», une Soul malade d’elle-même, une Soul huysmanienne, une Soul aux accents dépravés qui achèvent d’irriter ta cervelle ébranlée, une Soul de jazzmatose de la comatose, une Soul belle à pleurer dans ton verre de bière, une Soul fabuleusement privée de dessert, une Soul d’imprécations sur-oxygénées, comme le montre «Say You Love Me», une Soul qui brille parfois de l’éclat de topazes brûlées, la Soul d’une race à bout de sang, une Soul que Kelly colle comme un parement sur de féeriques apothéoses, une Soul charnue et molle qui sent parfois le fauve, comme ce «Warpaint» qu’on croyait pourtant bien connaître, et qui en concert, prend une autre allure. Il semble que sa voix hisse vers la cime de l’art de douloureuses imprécations aux lueurs vitreuses. Il martèle une Soul singulière et incantatoire, comme s’il cultivait le délicieux sortilège de la note rare. «Sage Motel» finit par sonner comme une Soul chimérique. La vague de Finnigan’s wake t’éveille.

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    Signé : Cazengler, Kelly Finigland

    Monophonics. Le 106. Rouen (76). 24 octobre 2025   

       

    *

     Dans notre livraison  705 du 09 / 10 / 2025, nous avons chroniqué les deux premiers titres parus en avant-première de l’album Utopie d’Aephanemer qui vient de sortir.

             La beauté est toujours énigmatique. Elle est un fruit qui ne s’offre pas de lui-même. A portée de main. Mais comme refusé. Il ne faut pas le cueillir, mais le recueillir, comme le logos heideggerien moissonne les mots, les actes, et les intentions. Ces trois attitudes, ces trois altitudes exigent une grande patience. Déjà, que signifie le nom de ce groupe : serait-ce un mot valise qui marierait l’éphémère mouvance porteuse de la grâce fanée des choses qui passent, ou alors selon une étymologie plus subtile, l’air qui resplendit lorsqu’il devient eau, en d’autres termes le symbole, le jeu incessant des métamorphoses élémentales, ailes d’un moulin qu’un vent subtilement éthernel instille dans la concrétude mouvante des choses. Des choses divines, pour reprendre le titre d’un essai aventureux de Paul Valéry.

    UTOPIE

    AEPHANEMER

    (Napalm Records / 31 Octobre 2025)

    La couve est due à Niklas Sundin, guitariste metal et graphiste, auteur de multiples pochettes metal. Il officie dans Dark Tranquility et Laethora. Le non du premier de ces deux groupes définit à merveille son monde intérieur.  Dans son Traité des Couleurs, le grand Goethe, créateur de Méphistophélès, n’explique-t-il pas que tout autant que la lumière, l’obscurité est au fondement de la couleur. Il s’agit de savoir voir.

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    A première vue la pochette de l’album n’offense pas le regard. Un orange lumineux et un vert clair, pas celui de la verte prairie, plutôt l’amandine de la peau de nos lézards qui se chauffent au soleil sur le mur de nos maisons. Peut-être existe-t-il au premier plan des traces de civilisations davantage rugueuses que cette tour élancée, à l‘assaut du ciel, dont nous subodorons qu’elle symbolise, la ville utopique de nos fierté hominiennes. L’illustration se poursuit sur le CD, même ambiance sereine, toutefois la tour semble s’être éloignée et sur notre droite n’est-ce pas un effrayant vortex dans lequel il vaudrait mieux ne pas s’engager…

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    Marion Bascoul : vocal, lyrics / Martin Hamiche : bass, guitars, orchestrations / Mickael Bonnevialle : Drums.

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     Echos d’un monde perdu : comme un point de tristesse qui fond du fond de l’espace-temps, il se déploie symphoniquement jusqu’à embrasser l’embrasure d’une plénitude surprenante, roulement, écroulement,  silence, s’élève alors l’écho perdu d’un monde disparu, une vague lointaine et cristalline, comme une plainte qui s’évanouit et disparaît, semble-t-il à tout jamais. Le cimetière marin : un voile qui se déploie, ce ne sont pas les civilisations qui sont mortelles, ce sont les hommes enfouis sous sous les sols qui les emportent avec eux, la voix de Marion Lascoul fouille la terre arable du songe des morts qui poursuivent leurs chemins intérieurs, égorgera-t-on une brebis noire sur leur tombe pour qu’ils reviennent à eux-mêmes se gorger de leurs souvenirs reviviscents, ne nous égarons pas, ce n’est pas parce que la musique l’emporte par amples stases mouvantes sur le vocal qu’il ne faille point tenter de vivre, si la bouche d’un mort s’accroche à l’humus, la morsure des combats qui nous guettent nous presse de vivre. Que seraient les morts si les poëtes ne les inscrivaient pas dans le marbre de leurs vers épars.  La règle du jeu : le vocal embrase l’élan

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    musical, c’est la vie qui se débat avec les morts dont nous sommes les héritiers, les vivants dont nous sommes les commensaux, même si souvent nous renversons la table, une basse funèbre, n’oublions pas que ce mot se partage entre le ‘’fun’’ de de la vie et les ténèbres tapies dans l’ombre mentale qui nous envahissent, ne soyons pas joyeux, sachons en rire, les lumières de la vie ne sont-elles pas un théâtre de décombres, décors et désordres de nos existences entremêlées. Tout cela a-t-il un sens, ou seulement une importance… Par-delà le mur des siècles : une introduction d’une légèreté quasi mozartienne, pour évoquer la vie au-delà de tout destin individuel, de tout hasard personnel, la voix ne chante plus, elle vitupère, se mêlant à l’orchestration comme le venin à la brûlure de la vipère. Que fais-tu de la Hache majuscule de l’Histoire, le spectre sanglant du progrès ne se cache-t-il pas derrière le fer dégoulinant. La batterie taille du petit bois pour le feu du matin suivant, presque un menuet en intermède, même si la flamme sombre d’une guitare nous rappelle que tout drame n’est peut-être qu’une comédie qui tourne, malgré toutes ses arabesques enivrantes, en farce grotesque. Parfois vous avez l’impression que la musique rigole

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    ( Photo : Daniela Adelfinger )

    en douce. Chimère : celle-ci n’est point nervalienne, elle ne traverse qu’une fois l’Achéron car le voyage s’avère sans retour, la trame rythmique est comme concassée, ce sont les remous de l’Histoire qui clapotent sans trop de bruit dans le marais des illusions perdues, la leçon est sans appel, la guerre même victorieuse n’est qu’une défaite, tout rêve de grandeur s’avèrera équivoque voire univoque, il court à sa perte et est appelé à basculer dans le néant informe.  Contrepoint : à quoi ? Au nihilisme du morceau précédent qui nous dit que tout se vaut et que rien ne vaut rien, nous voici place Maubert à Paris en 1646 sur laquelle fut exécuté sur ordre inquisitorial, l’imprimeur et écrivain, jamais nommé, Etienne Dolet, qui fut grand lecteur et intercesseur de Cicéron, le canal romain par qui fut transmis en France le vocabulaire de la philosophie grecque, le morceau pétille, parfois il semble se fondre dans la noirceur des cendres mais il reprend vie et force, une plainte noire émerge, mais elle est comme l’étamine de la pensée libre. La rivière souterraine : long flamboiement instrumental, ce n’est pas un moment de repos, mais la course sans fin

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    ( Photo : Polypycture Vanessa Housieaux )

     de l’Histoire qui coule au travers des siècles… au milieu du morceau s’élève le thème introductif de l’écho du monde perdu qui n’est peut-être pas aussi perdu que l’on pourrait l’accroire, il semblerait qu’en cette rivière se distingue un courant d’eau  plus pure que le limon habituel qu’elle charrie… une cascade pianotique de notes terminales nous laisse entendre que quelque chose fait sens. Utopie (Partie 1) : tristesse absolue de l’orchestration qui prend de l’ampleur telle la voile d’un navire que le vent enfle, le voyage n’est pas sans danger, la musique se ralentit dans les immondes sargasses de l’impuissance… lorsque enfin surgit non pas un allant triomphateur mais la sensation que le navire n’est pas livré au hasard, certes les écueils sont nombreux, les naufrages à tout instant à portée de coques, mais l’on discerne un ruisseau obstiné qui subsiste au milieu des tourbillons, qui se fraie un chemin, par deux fois la piste ténue du son semble s’arrêter, mais la marche reprend, doucement hésitante, la voix de Marion Bascoul grimpe dans la mâture, elle prend alors le commandement, elle discerne et édicte  le chemin parmi les obstacles accumulés, tout semble se terminer sur un beau générique de fin / Solitude, récif, étoile / A n’importe ce qui valut / Le blanc souci de notre toile / dixit le grand Mallarmé, car les eaux du rêve se mêlent à l’hideuse réalité. Utopie (Partie 2) : c’est alors qu’apparaît au loin le mirage de la cité d’or, la merde humaine repose dans les pots de chambre auréifiés, le voyage n'est pas terminé, l’Atlantide des songes s’éloigne au fur et à mesure que l’on s’en approche, toutefois, la musique se fait alors conquérante, le vent qui se lève cingle les voiles, tout paraît si proche que l’enthousiasme nous emporte, ce qui n’empêche point les retombées mortuaires, les eaux mortes qui nous attirent, les mains des morts étreignent la coque et tentent de nous ramener à eux. La voix de Marion Bascoul nous arrache au marasme, à ces infâmes reptilations, elle ne  cache rien, elle crache nos découragements, elle  se marie si bien au rythme porteur de cette rivière clandestine qui ne s’arrête que pour mieux aller de l’avant, désormais nous avons pour guide inaltérable cette aiguille fine et altière qui s’est implantée dans la membrane de notre idée fixe, de minuscules notes pures nous font signe, nous ne craignons ni tempêtes, ni naufrages.

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    ( Photo : Polypycture Vanessa Houseaux )

             This the end beautiful friends. Pas du tout. Pas encore. Tout recommence Aephanemer nous offre la suite orchestrale de son opus.  Etrange démarche murmureront certains. Les neuf pistes d’Utopie se suffisent à elles-mêmes. Le groupe n’a pas voulu retrancher, il a simplement dissocié la poésie de la musique. Etrange démarche orphique. Songeons à Valéry qui s’était opposé à une lecture d’Un Coup De Dés Jamais N’abolira Le Hasard accompagnée de musique. Toutefois Valéry donnera un Amphion, que nous qualifierons de drame lyrique, avec un récitant, le texte n’est pas chanté, chœurs et orchestre. La partition est d’Arthur Honegger… L’œuvre restera ce que l’on appelle une curiosité. L’idée initiale de Valéry était une œuvre totale (chant, danse, décors, musique) inspirée de Wagner. Elle ne sera écrite et réalisée que quarante ans plus tard. Toutes ces références pour montrer que les radicelles de la démarche aephanérienne possède des racines beaucoup plus profondes qu’il n’y paraîtrait de prime abord. Ne surtout pas la prendre comme un caprice surdimensionné d’Amin Hamiche qui est le compositeur de l’album.

    UTOPIE / AEPHANEMER

    Echos  d’un monde perdu, Le cimetière marin, La règle du jeu, Par-delà le mur des siècles, Chimère, Contrepoint, Utopie (Partie 1), Utopie (Partie 2

    Certes l’aspect rugueux du chant de Marion a disparu, il était un parfait contrepoint à la longue suite mélodique qui par un retournement logique pouvait en être perçu comme le contre-chant. Le sens véhiculé par les paroles, rappelons qu’elles sont en français, est-il lui aussi supprimé ? N’écoute-t-on pas Tristan et Isolde de Wagner sans comprendre le livret. N’en est-il pas de même pour le Tommy des Who. Nous avons toutefois des points d’appuis plus ou moins flous, des connaissances fragmentaires ‘’ du quoi que ça cause’’ qui permettent de se frayer un chemin. Pensons aussi à Mallarmé mécontent d’apprendre que Debussy s’est attelé à un poème musical inspiré par son poème  L’après-midi d’un faune. Je croyais déjà l’avoir mis en musique laissera-t-il échapper. Les méditations sont ouvertes.

    Ce qui est sûr c’est que cette suite orchestrale n’est pas ennuyeuse, l’on se laisse facilement emporter. J’en ai même oublié le motif de l’œuvre, me perdant en d’autres thèmes. Bizarrement l’orchestration de La Rivière souterraine m’a paru beaucoup plus rock que lors de la version chantée…

    Si je devais résumer mon écoute en un seul mot, ce n’est ni le thème de la mort ni celui de l’utopie qui me viendrait à l’esprit. C’est le terme de ‘’romantique’’. Ce qui n’est pas étonnant, la musique rock sous ces différentes et multiples formes m’a toujours paru être le dernier avatar du mouvement romantique né à la fin du dix-huitième siècle en Europe.

     Si cet opus d’Aephanemer était seulement un bon disque ce serait déjà très bien. Mais il y a la qualité sans égale  des textes de Marion Bascoul qui puisent aux grandes orgues de la lyrique française sans en être prisonnière. Et puis cet album peut être qualifié de projet. (Au sens Joycien) de ce mot. De projection d’une borne référentielle. En le sens où il me semble être un point de bascule dans la production metal française. Un point de ralliement ou de rejet, il y aura certainement un avant et un après Utopie.

    Damie Chad.

    A DREAM OF WIIDERNESS

    AEPHANEMER

    (Napalm Records / 2021)

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    La pochette de Niklas Sundin est un pur chef d’oeuvre. Non pas par l’habileté du dessin qu’elle a nécessitée, mais parce que par la seule force d’un seul dessin l’artiste est parvenu à rendre une idée. L’on parle du mythe de la caverne de Platon, l’on emploie aussi l’expression ‘’l’image de la caverne’’. L’on pourrait gloser à l’infini sur la signification du mythe platonicien de la caverne, mais une autre tâche tout aussi difficile nous attend : que signifie le terme ‘’ Dream of wilderness’’. Un rêve de sauvagerie tendrait à signifier que l’Homme se doit d’être brutal, sauvage, cruel, rétif à toute pitié, à toute faiblesse… Struggle for life, tout est permis pourvu que l’on survive. Pour ma part par la vitre d’un train j’ai eu la terrible  vision d’une scène lamentable : un cercle d’une vingtaine de chasseurs le fusil pointé sur un sanglier. S’est imposé à moi la célèbre scène de l’Odyssée où la vieille nourrice reconnaît en l’étranger Ulysse grâce à l’ancienne blessure à la jambe causée par la défense d’un sanglier… Les Grecs connaissaient la force brute de la bête. Mais l’homme se devait de l’affronter seul à seul. Un épieu à la main. Niklas Sundin nous raconte cela : la bête dans toute sa puissance mais encadrée de chaque côté par les silhouettes des deux arbres. Destruction et protection entremêlées.  Jeremiah Johnson de Sydney Pollack nous conte la même histoire. A sa manière, selon une autre mythologie, avec des images mouvantes d’une autre époque. Ne nous faisons aucune illusion : nous sommes pétris de cette sauvagerie sans limite, nous sommes des êtres de démesure, l’hybris est consubstantielle à notre sang, mais c’est parce que nous sommes imprégnés de cette force kaotique et élémentale, que nous savons que tout comme le sanglier dans sa bauge protectrice, nous  sommes partie prenante de cette nature naturante en constant devenir, sans cesse remis en cause et mus par le rêve d’une certaine équité que nous qualifions d’olympienne. Car nous sommes les fils de nos propres pensées plus grandes que nous. Qui en même temps préservent notre rêve, et nous recyclent ad infinitum. Durabilité grecque. Sauvagerine et ballerine.

    Marion Bascoul : vocal, lyrics / Martin Hamiche : bass, guitars, orchestrations / Mickael Bonnevialle : Drums / Lucie Woaye Hune : bass.

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     Land of hope : prélude et crépuscules, celui matutinal, celui entre chiens et loups, aurore ou entrée dans la nuit, heures claires ou heures sombres, soleil rayonnant ou lune blafarde, intense gravité et lueur d’espoir.  Antigone : surprenant changement de ton, avec l’intro précédente mais surtout avec ce à quoi l’auditeur s’attend, cris et désespoirs, drames sanglants, le drame d’Antigone est porteur de redoutables noirceurs, rythme enjoué, Maion Bascoul prodigieuse dans son vocal, elle vous hache le parmentier de la situation tragique avec un tel allant, une telle morgue d’analyste méthodique sans âme que l’on est surpris, le rouge pourpre sang des Atrides se teinte de rose printanier enjoué, el la musique se dandine dans cette joyeuse danse des morts, d’autant plus forte que rehaussée d’envolées violoniques et de chœurs féminins virevoltant, ne nous trompons pas ce n’est pas la mort d’une âme pure que l’on pleure, c’est l’acte de refus et de résistance d’une jeune fille que l’on fête, la mort peut-être un pied de nez exemplaire à la barbarie des lois. Ce morceau à rebrousse-poil de souventes lectures pleurnichardes est prodigieux. Un véritable appel à l’insurrection individuelle.  Of volition : les philosophies de la volonté sont souvent employées pour promulguer l’injustice politique coercitive. Le siècle précédent en est un parfait exemple. Celui dans lequel nous vivons fera-t-il mieux ? Une intro d’une gravité dramatique qui jure avec la fin du précédent, la batterie se charge de nous remettre les idées en place, c’est parti pour une charge à la cosaque, Marion Bascoul ne fait pas de prisonniers, elle mène le train à la tête de son vocal à la hussarde, c’est d’autant plus méritoire que le texte qu’elle énonce au grand galop s’apparente à une démonstration philosophique maîtrisée, en trois points : position : notre action  sur le monde ne serait-elle pas guidée par nos passions : ante-position : ne vaudrait-il pas mieux nous abstenir d’agir pour ne pas déclencher par notre native impétuosité éléphantesque un désordre encore plus grand que celui que nous comptions juguler : déposition : aucune possibilité de réaliser une synthèse, heureusement les sophistes nous ont aidé à entrevoir une manière d’agir, il s’agit de compter sur ses propres forces individuelles garantes de notre liberté mais aussi de la situation politique collective en développant notre action au bon moment, ce qui demande une juste analyse des situations. Cette méthode peut aussi être utilisée par nos ennemis mais c’est à nous à être plus adroits qu’eux, de chevaucher la tempête pour atteindre nos buts.  Le radeau de la Méduse : changerions-nous d’époque, non l’homme est de toutes les époques, toujours aussi lâche et égoïste, nous voici embarqués sur le radeau de Méduse, franchement nous n’échangerions notre place avec personne, c’est trop fort, trop puissant, trop excitant, trop rock’n’roll, Marion se transforme en grande prêtresse menant des milliers de fidèles à une mort honnie, le reste se de l’équipage se déchaîne et souque ferme, ce morceau est une épopée hugolienne, nous sommes embarqués pour le pire, mer tempétueuses, bassesses éhontées, fringale de cannibale, rien ne nous est épargnée même pas une salvation miraculeuse. A vous faire annuler vote dernière croisière sur paquebot de loisir touristique déniché sur un prospectus alléchant. Crudité humaine au menu. Roots and leaves : magnifique entrée oratorienne, si vous pensez vous reposer des émotions précédentes pas de chance Aephanemer ne vous procure jamais plus que trente secondes de repos, c’est reparti comme en quatorze, nous voici emportés dans un tourbillon. Modérez votre impatience, certes ça tangue violemment mais nous voici plongés non pas au cœur de l’action mais dans un maelström de réflexion, moins théorique que celles de Of volitions, disons que le groupe vous jette dans la concrétude des situations. Autrement dit les infames compromissions avec les réalités. Les conséquences de nos actes nous dépassent. Nous pensons bien faire, nous produisons une catastrophe. Et si nous réussissons, si dans l’humus des feuilles mortes, petite 

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     graine sans défense nous devenons un arbre majestueux, le pouvoir ne nous transformera-t-il pas en tyran prodigieux. Pensée terriblement incapacitante. A tel point qu’Aephanemer nous ménage une pause belle comme un oratorio classique, mais le ver vainqueur de la réflexion s’attelle à notre détresse et nous incite à l’humilité, perce même le désir d’une vie terne et sans éclat en accord avec la sagesse chrétienne…  Vague à l’âme : instant de rémission, serait-ce un interlude, hélas un manteau de tristesse nous tombe sur les épaules, nous n’en avons pas encore fini avec le poids de nos pensées et la déréliction de notre existence. Strider : lente entrée comme une bête de somme, cheval fourbu n’avance point à la halte, Marion Bascoul conte une histoire exemplaire non pas parce qu’elle est exemplaire et servira de modèle à tout un chacun, mais parce que tout un chacun s’y reconnaîtra, le vocal ne court pas, il galope lourdement surchargé de trop de souffrance, un intermède qui s’abat à terre, certes le vent ondoie la crinière, le conte reprend, celui qui se croyait libre n’est qu’un esclave soumis à une volonté qui n’est pas la sienne, même mort son corps ne lui appartiendra pas davantage, ses atomes seront dissociés et dispersés dans le renouvellement inconscient du recyclage naturel… Ainsi toute vie court à son terme.  Terrible loi du destin existentiel.  Panta Rhei : quel que soit notre destin individuel nous sommes tous voués à la même mort, la voix pourrait se transformer en morne complainte mais la musique est vive et le chant reste impétueux, comment se défaire du carcan de notre disparition, nous ne sommes pas loin de l’hymne à la joie, la solution est individuelle, chacun progresse à pas de pas grand-chose dans sa conscience, mais les petits ruisseaux forment les grandes rivières qui se fondront dans le grand fleuve de la vie, en le champ de l’espèce humaine dont chacun de nous n’est qu’une infime parcelle, mais aussi une cellule agissante. A plusieurs reprises le chant se tait pour nous permettre d’accéder à cette vision qui nous transcende. A dream of wilderness : Et maintenant ? comment répondre à cette question d’une façon positive, Marion Bascoul prend le vocal comme un cheval fou s’empare de son mors, elle résume l’Histoire depuis le début, la symbiose entre les hommes et les Dieux, l’émerveillement devant l’opulence de la nature offerte, le savoir fut le couteau des lois qui divisèrent le monde des hommes en maîtres et serviteurs, maîtres et esclaves, de la justice naquit l’injustice, la religion divisa hommes plus qu’elle ne les relia, c’est alors que certains commencèrent à se séparer des institutions humaines, ils s’en retournèrent, du moins dans leur tête, à l’état de nature, une marche en avant certes mais qui débouche sur des rêveries en totale contradiction avec le monde réel. L’heure est grave, retroussez vos manches, par deux fois le monde a débouché sur des échecs, mais si tout ce qui fut perdu est perdu à jamais, le moment d’exigence d’un nouveau chemin à parcourir est devant nous.

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             Ce dernier morceau est la conclusion de la problématique traitée dans l’album. Qui n’est pas tout à fait terminé. Pour deux raisons. La première est constituée de deux titres. En A nous avons : Old french song : ( Pyotr Ilych Tchaikovsky cover) : toutefois il s’inscrit si bien dans la structure de :  A  dream of Wilderness qu’il pourrait  être considéré comme  le final orchestral de l’album. Pour le compositeur russe il s’agissait d’une œuvre spécialement écrite pour de jeunes pianistes. Tchaikovsky n’a jamais caché qu’en cette démarche propédeutique il s’inscrivait dans la suite initiée par Robert Schumann. La filiation rockmantique d’Aephanemer se confirme. En B : version française de : Le radeau de la Méduse : par patriotisme éhonté je dirais que je préfère la version française, maintenant ce que je retrouve remarquable c’est que Marion Bascoul se débrouille aussi bien en français qu’en anglais, quelle facilité, quelle aisance, quelle chanteuse !

    WILDERNESS / PISTE MUSICALE

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    Antigone, Of volition, Le radeau de la Méduse, Roots and leaves, Strider, Panta Rhei, A dream of widderness :

             C’est donc une volonté affirmée d’Aephanemer d’attirer l’attention sur la partie instrumentale de leur création. Presque une inspiration cubiste du groupe de présenter une même œuvre selon deux aspects différents. La différence entre les deux pistes me paraît ici nettement plus marquée que pour Utopie.  Elle semble dans cet opus davantage légère, plus entraînante, l’on aurait envie de dire plus brillante, davantage virtuose. Davantage détachée du thème de l’album. Pour Utopie nous avons évoqué le rapport poésie et musique, entre chant et musique. Ici, ce n’est pas que la poésie en soit absente, c’est que le discours philosophique se taille la part du lion. Les rapports entre philosophie  et musique de prime abord sont moins évidents, c’est oublier qu’un des textes fondateurs de la philosophie grecque reste le Poème de Parménide. A l’autre bout du spectre l’on pensera à Nietzsche et à son rapport à la notion d’art, qualifions-le de wagnérien pour faire vite, et aux commentaires d’Heidegger sur les poèmes d’Hölderlin par exemple…

             N’empêche qu’avec A Dream of  Wilderness, Aephanemer semble s’assurer une des premières, si ce n’est la première, places dans la une nouvelle catégorie de rock que nous pourrions qualifier de philosophique. Si cet adjectif vous semble trop pompeux employons l’expression méditative, selon l’acception cartésienne de ce mot.

             A l’écoute de cet album nous comprenons mieux Utopie. Aephanemer poursuit une route musicale comme beaucoup de groupes, mais sa démarche épouse aussi un chemin de pensée.

             Un grand groupe.

    Damie Chad.

     

     

     *

    Me faudrait pas grand-chose. Juste un petit truc. Trois fois rien. Non je ne suis pas énervé. Je suis déçu. Cent soixante kilomètres pour voir le plus mauvais concert de ma vie. Oui je suis en rogne. Oui je grogne. Tout à l’heure en rentrant à la maison j’ai cru avoir trouvé la solution. L’était trois heures du mat, j’ai ouvert la fenêtre, et me suis emparé de mon Rafalos. L’idée était simple. J’abats sans sommation tout individu, à peine une douzaine, qui passera sur le trottoir d’en face. Des innocents, pour démontrer à la face du monde que je n’ai rien contre d’inoffensifs passants. Et puis, vous pouvez me croire, ça soulage. Manque de chance : personne. Pas un chat, même pas celui du voisin. Au bout d’une heure, totalement gelé j’ai refermé la fenêtre.

    Je me suis assis sur le divan et me suis perdu en amères réflexions. J’avais tout prévu. Je rentre du concert, j’écris la chro et le matin je poste la 610. C’était réglé comme sur du papier à musique. Oui mais comment infliger à nos lecteurs chéris le récit d’un tel désastre !  Les idées noires ont envahi mon cerveau. Ah, si seulement j’étais un homme pouvoir, il m’aurait suffi d’un bouton pour détruire la moitié de l’Humanité !

    Bon n’exagérons rien, tiens par exemple si seulement j’avais la puissance d’un Empereur Romain, un simple mot à un serviteur fidèle et hop  je n’y penserais plus. Hélas je ne suis pas un Romanus Imperator !

    C’est alors qu’une petite voix, celle de la conscience, a parlé :

    _ Voyons Damie reprends-toi !

    _ J’aimerais te voir à ma place, qu’est-ce que tu ferais toi !

    _ Moi je ferais comme l’Empereur Auguste, tout simplement !

    _ Et qu’est-ce qu’il ferait l’Empereur Auguste à ma place ?

    _ Il enverrait une légion traiter le problème !

    _ Oui mais moi je n’ai pas de légion romaine à disposition !

    _ Damie, si j’étais toi, au lieu de faire la tête, je réfléchirais un peu. Pense à Aristote qui a dit que quand on avait un problème c’est que l’on possédait nécessairement la solution, seulement on l’a oubliée.

    Alors, j’ai réfléchi et je me suis souvenu. Bien sûr tout comme Auguste j’avais une légion. Et l’idée d’une nouvelle chronique !

    LEGIO 5 MACEDONICA

    EPIC ROMAN MUSIC

    FARYA  FARAJI

    (Bandcamp / YT / 2025)

             Farya Faraji d’origine persane vit actuellement à Laval près de Montreal. Quebec. Il est passionné de musique antique et compose des musiques inspirées de l’Antiquité. De l’orbe méditerranéen, sans exclusive, ni époque précise. Grèce, Empire Romain, Byzance, il se joue des siècles et tout comme Alexandre le Grand il pousse jusqu’à l’Inde et comme Alix il ne dédaigne pas la Chine… Sa démarche semblera à certains un tantinet bâtarde, il restitue, il s’inspire, il compose, bref il crée. Il connaît plusieurs langues et manie de nombreux instruments traditionnels.

             Sur le morceau qui nous préoccupe le multi-instrumentiste grec Dimitrios Dallas, résidant à Chicago, joue de la mantoura, flûte grecque assez proche de l’aulos antique. Tambours, cymbales, lyre complètent l’orchestration. Stefanos Krasopoulis, sur lequel je n’ai réussi qu’à récupérer que de très maigres renseignements est un compositeur de musique lui aussi multi-instrumentiste.

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             La cinquième Macedonica participa aux guerres civiles menées par Auguste, elle fut cantonnée fut d’abord en Macédoine, patrie d’Alexandre le Grand. Elle bénéficie donc d’une appellation prestigieuse. Elle servit tout le long du limes romain. Elle fut notamment employée par Trajan en Dacie   et permit à Aurélien de raffermir l’Empire en luttant contre les troupes de Zénobie.  A la fin de l’Empire romain d’Occident elle fut versée dans l’Armée de l’Empire d’Orient. L’on dit qu’elle combattait encore lors des invasions musulmanes…

             Legio 5 Macedonica se présente comme l’hymne de cette légion. Le texte chanté est composé en latin par Guiseppe Regimbeau. L’écoute est surprenante, on aurait tendance à l’accuser de manquer de virilité. Le ton n’est guère martial, le chant passe en revue les campagnes accumulées durant des siècles. Aucun triomphalisme, aucune exaltation guerrière. Faut écouter à plusieurs reprises pour percevoir les variations orchestrales et rythmiques. Aucun instrument ne prend vraiment le dessus sur les autres, nous avons droit à une subtile combinaison d’éléments qui se fondent les uns dans les autres. On a plutôt l’impression d’un chant de marche martelé sans rapidité, mais l’on sent, gare aux centurions, qu’il n’est pas question de lambiner.

             Farya Faraji s’est aussi intéressé aux : Legio 6 Ferrata / Legio 12 Fulminata / Legio 15 Apollinaris. Enfin il a composé un titre générique Hymn  Of The Legio avec utilisation de cuivres qui confèrent à ce morceau l’aspect d’un générique de péplum des années cinquante.  Quand on regarde l’ensemble des morceaux de Faraji, on s’aperçoit qu’il n’a rien d’un idéologue ou d’un va-t-en-guerre. L’étude, extrêmement complexe des légions romaines, est un des chemins les plus instructifs et des plus éloquents pour comprendre le comment (hasard) et le pourquoi (nécessité) de la construction de l’Imperium…

             _ Damie, ce n’est pas tout à fait rock ta cinquième légion !

             _ En effet, mais c’est du folk !

             _ Vu sous cet angle lointain, en effet…

             _ En musique, comme en tout, la question des origines est primordiale, en plus j’ai ma légion, quoique, entre nous soit dit, je préfère la Legio I Adjutrix !

    Damie Chad.

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 702 : KR'TNT ! 702 : FIN DEL MUNDO / BEATLES / SHARP PINS / WILD BILLY CHILDISH / FEELIES / THRAEDS / DRONTE / BRONZE AGE VISIONS / GENE VINCENT+ JACK NEAL

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 702

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    18 / 09 / 2025

     

     

    FIN DEL MUNDO /  BEATLES

    SHARP PINS / WILD BILLY CHILDISH

    FEELIES  / THRAEDS

       DRONTE / BRONZE AGE VISIONS

        GENE VINCENT + JACK NEAL

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 702

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

     - Fin Del Mundo n’est pas la fin du monde

             À force d’errer dans le désert, l’avenir du rock a parfois l’impression d’être arrivé au bout du chemin. Et chaque fois que cette idée effleure sa pensée, il constate que le chemin continue. Soit il s’en agace, soit il s’en désole, ça dépend des jours. Alors il reprend son petit bonhomme de chemin, convaincu qu’un beau jour, il arrivera au bout du chemin. Car enfin, tout chemin a sa fin, se dit-il. Comme le jour ou comme la vie ! Il développe l’idée dans sa tête surchauffée et aboutit au concept de fin en soi. Ah ça lui plaît ! Ça le rassure. Ça lui met du baume au cœur. S’il ne trouve pas le bout du chemin, au moins il a ce beau concept en compensation : la fin en soi. Ça pourrait presque calmer sa soif d’aboutissement. Et donc, chaque fois qu’il croise un erreur, il se vante de chercher une fin en soi. Les autres erreurs ne comprennent pas forcément, mais sous ces latitudes, les finesses dialectiques perdent facilement leur importance. Les déserts ne sont pas des salons où l’on glose. On se contente généralement du strict minimum. Intrigué par cette idée de fin en soi, l’avenir du rock continue de réfléchir. Ça tombe bien, à part marcher, il n’a que ça à faire : réfléchir. Au moins, il ne perd pas son temps. Il se concentre sur les fins. Il décide de les collectionner. Chaque fois qu’il croise un erreur, il lui demande quelle est sa fin et lui propose de l’échanger contre l’une des siennes. Alors pour en avoir en double, il se met à fabriquer des tas de fins. Un jour, au pied d’une dune, il tombe sur un mourant et lui propose une fin qu’il a en double : «La fin justifie les moyens». Alors, dans un dernier râle, le mourant lui cède la sienne : «La fin des haricots». L’avenir du rock repart tout guilleret. Deux jours plus tard, il croise Lawrence d’Arabie. L’avenir du rock essaye de lui refourguer l’une de ses fins en soi, et du haut de son chameau, Lawrence éclate d’un gigantesque rire cristallin : «Le suicide n’est pas une fin en soi. C’est la fin de soi !» Vexé, l’avenir du rock rétorque d’un air mauvais : «Ah ! La fin Del Mundo n’est pas encore pour demain !» 

      

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             L’avenir du rock parle bien sûr de Fin Del Mundo. Elles arrivent d’Argentine. Elles sont quatre. Pas de mec sur scène, donc c’est le groupe parfait. Elles sont très jeunes. Sur les 4, 3 sont tatouées. Elles sortent à peine du collège. Vu les tatouages et des Doc Martens, tu t’attends à du punk latino. Le punk des labyrinthes de Jorge Luis Borges. Tu fantasmes un peu, c’est normal, on ne voit jamais d’Argentines

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    tatouées dans le coin. Formation classique : deux grattes, basse et beurre. Ça commence mal, la petite chanteuse n’a vraiment pas de voix et son cut sonne gnan-gnan. On se croirait à la MJC de Buenos Aires. En plus, elles n’ont pas de son. La petite chanteuse s’appelle Lucia. T’avales ta déconvenue et, philosophiquement, tu te dis que ça va forcément s’arranger. Dans ces cas-là, il faut toujours trouver un moyen de se remonter le moral, car avec l’âge, on s’aperçoit que le moral prend la vilaine habitude de descendre vite fait dans les godasses. Comme tu ne connais pas les cuts, tu fais confiance à tes oreilles. Et voilà que cut après cut, elles font honneur à

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    ta confiance, car elles se mettent à chauffer la cave qui est déjà surchauffée, et ça devient vite extraordinaire, d’autant que la petite vingtaine d’happy few exulte, et l’ambiance devient géniale, alors les Argentines montent d’un cran et on assiste à un phénomène assez rare qui est celui de l’élévation d’un groupe inconnu. Elles s’élèvent toutes les quatre du sol et claquent une pop excitante, révélatoire, même pas exotique, une pop fine et racée, bourrée d’énergie, éclatée par de trop rares harmonies vocales, celles qu’on entend dans Le Temps Des Gitans, les poux prennent du volume, t’en reviens pas de les voir régner sans partage sur cette cave qui en a déjà vu des vertes et des pas mures. La petite guitariste qui est devant toi s’appelle

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     Julieta. Elle porte des lunettes et mine de rien, elle ramène énormément de son. La bassiste Yanina est la plus tatouée des quatre. Et derrière ses fûts t’as une autre Julieta qui lance tous les cuts au tac tac tac. Elles sont tout simplement sidérantes de fraîcheur saumonique, t’as l’impression que cette pop s’adresse directement à toi, cette pop fait de toi le bec fin de service, t’en goûtes chaque seconde avec une délectation dégoulinante de sueur, et si le dieu de l’underground existait, t’irais lui serrer la pince pour le remercier d’avoir mis ensemble dans la cave ces deux groupes géniaux que sont Zement et Fin Del Mundo.   

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             Comme elles n’ont pas de merch, tu réunis le soir même un conseil restreint pour voter les crédits de rapatriement superfétatoire, car cette pop t’intrigue et quand une pop t’intrigue, il faut la tirer au clair. Elles ont deux albums à leur petit

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    palmarès argentin, Hicimos Crecer Un Bosque (qui veut dire en français ‘Nous Avons Fait Pousser Une Forêt’) et une compile, Todo Va Hacia El Mar (qui veut dire ‘Tout Va À La Mer’). Et au vu de la setlist, on constate que ces petites coquines jouent sur scène un mix des deux albums. Le conseil restreint chougne un peu mais finit par voter le budget. 

             Alors attention : avec Hicimos Crecer Un Bosque, t’as un pot-aux-roses. Ces petites coquines d’Argentine ont du son, rien à voir avec celui de la cave. Sur l’album, elles sonnent comme les Pixies, aussitôt «Una Temporada En El Invierno». C’est plein d’élan et plein de vie. Te voilà transfixé. S’ensuit une autre fontaine de jouvence, «Vivimos Lejos». Non seulement les poux sont précis mais voilà qu’elles font les chœurs magiques du Temps Des Gitans, ceux qu’on entend dans la scène des funérailles sur le fleuve. Et ça plonge dans l’inferno du vivid, c’est hot as elles, la plongée est en fait une montée au firmament, elles cultivent leurs harmonies vocales juvéniles et c’est une aubaine pour tes vieilles oreilles, une aubaine fouettée par des vents de poux, t’en reviens pas de tant de maîtrise. Elles grattent des petits poux lumineux, chaque cut est exaltant. T’as un joli Wall of Sound dans ce «Refugio» puissant et comme illuminé de l’intérieur. Elles créent bien leur monde et savent mettre le paquet quand il faut. T’es frappé par la grosse attaque de «Devenir Paisaje». Elles développent des chevaux vapeur, elles déroulent du continuum, elles sabrent les goulots de leurs cuts avec des accords inconnus, elles fourbissent des résonances mystérieuses, tu crois entendre un instro, mais elles arrivent au chant quand tu ne t’y attends plus et ça devient génial. Cut après cut, t’as l’impression de monter dans les échelons, elles se fondent dans «El Dia De Las Flores», elles sonnent quasiment comme les Breeders, tant de power t’éberlue, elles se montrent vertigineuses d’ambition sonique, leurs abysses ressemblent à s’y méprendre à celles des Pixies. Elles regagnent la sortie avec «Vendra La Calma» et se barrent en mode heavy pop. Elles te drivent ça sec, avec des coups d’acou, c’est puissant, et même sur-puissant, saturé de power féminin et de clameurs argentines. Tu les adores.

             Une seule déconvenue : le Todo Va Hacia El Mar commandé en Espagne n’est jamais arrivé. Ainsi va la vie.

    Signé : Cazengler, fan del Mundo

    Fin Del Mundo. Le Trois Pièces. Rouen (76). 5 août 2025

    Fin Del Mundo. Hicimos Crecer Un Bosque. Spinda Records 2024

    Concert Braincrushing

     

     

    Wizards & True Stars

     - Sale petite Beatlemanie (Part One)

     

             — Tu traînes cette sale petite Beatlemanie depuis combien de temps ?

             — Soixante ans...

             — Pourquoi ne tu vas-tu pas te faire soigner ?

             — Certainement pas.

             Les Beatles, c’est comme Elvis : ils sont le tenant de l’aboutissant. Ce sont eux qui ont inventé les hits, qui ont enchanté les radios et par conséquent nos vies de jeunes coqs. On a tous aimé à la folie Lady Madonna et pris la main que John nous tendait pour aller faire un tour dans Strawberry Fields, c’est lui qui t’a expliqué que rien n’était réel - nothing’s real - et que la vie est easy quand tu fermes les yeux. On a vérifié : c’est vrai.

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             Les Beatles ? Zéro défaut et toutes les qualités. Lorsque tu entends des gens cracher sur les Beatles, tu les plains secrètement, non pas pour leur manque de curiosité, mais pour ce sectarisme qui est hélas l’une des formes «culturelles» de l’extrême vulgarité. Et souvent, les qualificatifs sont à l’avenant. Un jour, dans la voiture, alors qu’on roulait avec Janvuc vers un patelin normand, nous échangions nos points de vue sur nos vieux coups de foudre. Après les Zombies, les Small Faces et Syd Barrett, vint le tour des Beatles :

             — Que penses-tu de l’Album Blanc ?

             Avant de répondre, Janvuc prit une profonde inspiration, puis il lâcha avec tout le dégoût dont il était capable :

             — C’est de la merde !

             Au moins les choses étaient claires. Et ce fut la fin de nos échanges «culturels». Nous parlâmes ensuite de la pluie et du beau temps. Puis, tout naturellement, nous nous perdîmes de vue.

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             Ce que cet abruti de Janvuc n’avait pas compris, c’est que le White Album est l’un des albums parfaits de l’histoire du rock. C’est en tous les cas ce que nous ré-explique Opher Goodwin dans son minuscule mini-book : Rock Classics: The Beatles White Album. Il plafonne à 80 pages dans le format qui rentre dans toutes les poches, et t’es bien content de lire sa prose, car il te redit tout ce que tu sais déjà, mais avec la passion dévorante d’un fan resté en phase.

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             L’idéal est de coupler cette lecture avec l’écoute de la box White Album - 50th Anniversary, qui propose les fameuses ‘Esher Demos’. T’es pas surpris de constater que le White Album n’a pas pris une seule ride, que toute sa diversité a gardé sa fraîcheur et que John, aussi bien que Paul, restent des interprètes exceptionnels. La Beatlemanie n’a jamais été une vue de l’esprit.

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             Goodwin commence bien sûr par rappeler le contexte révolutionnaire de 1967 : l’émergence de la psychedelia (The Piper At The Gates of Town, Are You Experienced, Mr. Fantasy et Disraeli Gears), puis l’arrivée de l’acid rock de la West Coast («the strange days of the Doors, Captain Beefheart dropping pout, Frank Zappa freaking out, The Byrds being notorious, Love forever changing, Country Joe & The Fish applying electric music for the mind, and Jefferson Airplane taking off.»). Il rappelle aussi l’évolution spectaculaire des Beatles, à partir de «the folkie essence of Beatles For Sale», suivi du harder pop-rock de la B.O. d’Help, puis Rubber Soul «qui vit the beginning of a new type of songwriting ultimately exploding into full ferocity on Revolver.» Et comme Syd Barrett, Jimi Hendrix et le West Coast acid rock avaient ouvert les portes en grand, la counterculure «was in full swing» et quelques-uns des «vieux groupes», nous dit Goodwin, s’étaient eux aussi engouffrés dans ce full swing : les Rolling Stones, les Who, les Yardbirds et les Pretties. Et bien sûr, les Beatles naviguaient au sommet du full swing avec Sgt. Pepper - They never disappointed lyrically, poetically, thematically, and musically. The Beatles remained right at the forefront of wathever was happening - Sgt Pepper étant alors considéré comme le sommet de 1967, le problème des Beatles était alors d’enregistrer le sommet suivant, celui de 1968. Entre les deux sommets, et contraints par leur contrat, ils allaient enregistrer cinq singles qu’il faut bien qualifier de magiques : «Strawberry Fields Forever»/«Penny Lane», «All You Need Is Love»/«Baby You’re A Rich Man», «Hello Goodbye»/«I’m The Walrus», «Lady Madonna»/«The Inner Light», «Hey Jude»/«Revolution». Pardonnez du peu. 

             C’est aussi à ce moment qu’ils montent Apple Records et qu’ils signent une palanquée de cracks, James Taylor, Jackie Lomax, Mary Hopkins, Doris Troy, Badfinger et Billy Preston. C’est leur vision de full swing. Le full swing bat son plein.

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             Si on a eu la chance de vivre le full swing des sixties en direct, on a le souvenir d’un vertige. La radio déversait son lot quotidien d’hits tous plus magiques les uns que les autres. Et par la force des choses, tu devenais une sorte de pirate en herbe, puisque tu jetais ton grappin sur tous les bateaux, tous les oiseaux, tous les singles, tous les EPs et tous les LPs qui traînaient dans les parages.

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             Pendant ce temps, les Beatles étaient aux Indes, chez le Maharishi. Ils ont profité de ce séjour pour composer une quarantaine de chansons, dont le fameux «Sexie Sadie» qui concerne la libido galopante du Maharishi. Ils bidouillaient des chansons avec leurs copains Donovan et Mike Love qui étaient aussi du voyage. Rentrés en Angleterre, ils sont allés chez le roi George enregistrer 28 demos. Ce sont les fameuses Esher Demos.

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             C’est le CD3 de la box. Et l’un des plus beaux jours de ta vie, quand tu l’écoutes. Ça démarre sur une version grattée à coups d’acou de «Back In The USSR». T’entends un truc unique au monde. Ils formatent ton esprit, ils chantent cette merveille à deux voix et font les cons à la fin. Ils vont pondre leurs démos une à une, comme des œufs d’or. Cot cot ! Les Beatles, amigo. T’as la version démo de «While My Guitar Gently Weeps», sans Clapton (le ton c’est bon). Tout repose sur la qualité des harmonies vocales. Heavy druggy John tape l’«Happiness Is A Warm Gun» au Mother Superior/ Jump the gun et il part en délire de Yoko Ono/ Yoko Oh yes. C’est un peu comme les démos du Parachute des Pretties : tout est déjà là. Encore une belle démo de wanna die avec «Yer Blues» - If I’m dead already/ Girl you know the reason why - Et tu retrouves l’early frénésie d’«Everybody’s Got Something To Hide Except Me And My Monkey», c’mon c’mon such a joy ! T’as aussi le «Revolution» gratté à coups d’acou. Très haut niveau, ils font les chœurs d’you know it’s gonna be, et Lennon ajoute «alrite !». Puis on attaque les inédits avec le «Sour Milk Sea» du roi George, qu’a enregistré par la suite Jackie Lomax. Pure magie vocale, c’est chanté à la petite arrache congénitale, le roi George fait sortir sa voix du virage. Encore une fantastique dérive Beatlemaniaque avec «Child Of Nature». Retour en force du roi George avec «Not Guilty». Ces finesses mélodiques et harmoniques n’existent pas ailleurs. Ils te swinguent ça à coups d’acou et au chant. La cerise sur le gâtö Esher s’appelle «What’s The New Mary Jane». Toute la magie des Beatles tombe du ciel. T’as le fondu des voix d’espolette, une qualité d’osmose de big time de what a shame ! C’est chanté dans l’or de l’âge d’or, dans l’immense torpeur du génie Beatlemaniaque - What a shame Mary Jane/ Had a pain at the party.

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             Nouveau rebondissement dans la vie des Beatles : leur père adoptif Brian Epstein casse sa pipe en bois en août 1967. À partir de là, les Beatles vont dysfonctionner et le White Album  sera l’une des conséquences de ce dysfonctionnement. Le groupe se casse littéralement en deux : d’un côté John et George, de l’autre Paul et Ringo. Et puis t’as Yoko qui entre dans la danse. Impossible pour John et Yoko de rester séparés plus d’une minute. La voilà donc dans les pattes  du White Album. Comme le dit si diplomatiquement Goodwin, Yoko allait amener une nouvelle dynamique et abîmer les relations qui n’étaient pas en très bon état. 

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             Fin mai 1968, ils attaquent l’enregistrement du White Album. Il devait s’appeler A Doll’s House mais le titre fut abandonné car Family venait de sortir Music In A Doll’s House. Pour les Beatles, Richard Hamilton pond le concept d’anti-pochette. Il ne voulait rien sur la pochette, histoire de créer un contraste avec celle de Sgt. Pepper. 

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    au centre : George Emerick

             Pendant les sessions, la tension est palpable. Il y a des engueulades et des portes claquées. L’atmosphère est tellement lourde que George Martin part en vacances et confie les Beatles aux bons soins de l’ingé-son Geoff Emerick. Une chanson du roi George disparaît du track-listing : «Not Guilty». Cut compliqué. 101 takes, nous dit ce brave Goodwin. Les Beatles décident de virer «Not Guilty» du track-listing pendant que le roi George est à New York. Lennon dit aussi que les sessions furent bizarres : «It’s like me and a backing group and Paul and a backing group. I enjoyed it, but we broke up there.» Quand on écoutait le White Album à l’époque on avait le sentiment d’un accomplissement, alors qu’en fait l’album scellait le destin du groupe. Qui l’eût cru ?

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             Puis Goodwin va décortiquer les cuts un par un et nous apprendre une foule de petits détails intéressants. L’influence de Mike Love sur «Back In The USSR» est flagrante. On y retrouve en effet des échos de «California Girls». C’est le cut d’ouverture de balda. T’as là toute la magie plastique des Beatles. Tout swingue, même l’honey disconnect the phone ! C’est l’hymne intemporel que tu vas chanter toute ta vie, You don’t kow how lucky you are boy ! S’ensuit «Dear Prudence» : John Lennon at his melodic best. La Prudence en question est Prudence Farrow, la sœur de Mia - The sun is up/ The sky is blue - Cette magie est effarante de clarté. Tu te re-repais de «Glass Onion», tout y passe : la fabuleuse attaque, le big beat, Strawberry Fields et The Walrus. «Wild Honey Pie» est un cut solo de Paul. Il joue tous les instruments. C’est ce qui se passait lorsqu’on laissait Paul tout seul une heure ou deux dans un studio : il bricolait un hit. Dans «While My Guitar Gently Weeps», la voix du roi George est saturée de chagrin. Il fait pleurer l’I look at you all/ See the love that’s sleepy et l’I don’t know why nobody told you.  

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             «Happiness Is A Warm Gun» est une chanson sexuelle - My finger on your trigger - John surnomme Yoko ‘Mother Superior’. Il rappelle qu’au début, leur relation était extrêmement sexuelle - When we weren’t in the studio, we were in bed - La fuzz qu’on entend est celle du roi George sur sa Bartell fretless. John répète qu’il need a fix because I’m going down, singing in a mournful, desperate voice spanning two octaves. «Piggies» s’inspire de l’Animal Farm de George Orwell. Le roi George ne cachait pas son dégoût de la cupidité des décideurs et du business side du showbiz : il les voit comme «des greedy pigs dressed in their immaculate white shirts», se roulant dans la boue «while stabbing each other in the back.» Paul et Ringo enregistrent «Why Don’t We Do It In The Road». John aurait bien aimé participer à ce festin. Paul voyait que John et George étaient occupés dans leur coin, alors il dit à Ringo «Let’s go and do this». Même chose avec «Revolution 9».

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    Chris Thomas

             C’est «Birthday» qui ouvre la bal de la C. Chris Thomas produit en l’absence de George Martin. Le groupe déboule un soir après avoir vu Little Richard dans The Girl Can’t Help It - Paul was the first in and began thumping out a riff. He was joined by the rest and they improvised the song, delivering it as a wild rocker in the Little Richard style. T’entend bien l’heavy bassmatic de Paul. Il n’existe rien de plus rock‘n’roll que les Beatles dans «Birthday». S’ensuit «Yer Blues». John aimait tellement son «Yer Blues» qu’il a choisi de le jouer dans le Rolling Stones Rock And Roll Circus, accompagné par le Dirty Mac Band (Mitch Mitchell, Keith Richards et Clapton - le ton c’est bon). Nouveau shoot de big rock out avec «Everybody’s Got Something To Hide Except Me And My Monkey» : référence évidente à l’hero, dont John décrochera, comme il en témoigne dans «Cold Turkey». Les Beatles rockent le boat comme nul autre groupe. Tu tombes ensuite sur l’inégalable beauté purpurine de «Sexy Sadie». Ton sens de la beauté vient peut-être de là, ou alors d’un poème d’Apollinaire, tu ne sais plus. En tous les cas, ces vers te hantent encore - Sexy Sadie, you broke the rules/ You laid it down for all to see - Et aussitôt après, t’as le plus gros smash de l’histoire du rock (avec «Sister Ray») : «Helter Skelter». Quand Paul voit que Pete Townshend se vante d’avoir écrit «the raunchiest, loudest, most ridiculous rock’n’roll record you’ve ever heard», il dit aux autres Beatles : «We should do a song like that, something really wild. And I wrote ‘Helter Skelter’.» Goodwin ajoute que de soir-là les Beatles étaient out of their minds. Goodwin dit encore que Paul sonne comme un Little Richard on amphetamines - It’s relentless, crazy, fast and dangerous. Saturé de violence définitive. Macca y va au yeah yeah yeah. Helter Skelter résonne encore dans tes os.

             Puisqu’on est en pleine crise, continuons.

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             Qu’est-ce qu’une compile idéale ? C’est une compile qui propose des chansons parfaites.  Et juste au-dessus, t’as la compile supra-idéale : celle qui propose des chansons parfaites interprétées par des artistes bénis des dieux. Ace en propose trois : Come Together - Black America Sings Lennon & McCartney, Let It Be - Black America Sings Lennon McCartney & Harrison et Here And There And Everywhere - Black America Sings Lennon McCartney & Harrison.

             Des chansons parfaites, ça veut dire quoi ? Les Beatles, bien sûr. Les interprètes bénis des dieux, ça veut dire quoi ? Les blackos, évidemment. Ace ne s’est donc pas trop cassé la nénette. Te voilà avec trois CDs magiques dans les pattes. Ma-gi-ques ! Non seulement tu voyages dans le temps, c’est-à-dire que tu remontes aux sources, mais en plus t’entends tous ces Soul Brothers et toutes ces Soul Sisters sublimer la magie des Beatles. T’es bien obligé de parler de magie. Tu ne peux pas faire autrement.

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             Quand en 2011 est paru Come Together - Black America Sings Lennon & McCartney, on criait déjà au loup. Eh oui, comment peux-tu résister à la cover que fait le grand Chubby Checker  de «Back In The USSR» ? Toute la niaque des Kremlin girls est là, ça te replonge aussi sec dans la grandeur fiévreuse du White Album, t’en revenais déjà pas à l’époque de toute cette classe Beatlemaniaque, mais là c’est encore pire. Plus loin, t’as Fatsy qui tape l’excellent «Everybody’s Got Something To Hide Except Me & My Monkey» et il te rocke bien le boat du Monkey, comme le fait aussi Jim Jones sur scène - Your outside is in & your inside is out/ Make it easy ! - T’es effaré par la classe invraisemblable du cut, mais tu l’es encore plus par ce qu’en fait ce démon de Fatsy. Et puis voilà Wee Willie Walker avec une version à la dynamite de «Ticket To Ride». Il t’explose ça vite fait et te laisse comme deux ronds de flan. Roy Redmond tape une version heavy de «Good Day Sunshine» et tiens-toi bien, le bassmatic vibre entre tes reins. Plus loin, les anges du paradis arrivent avec «And I Love Her» : ce sont les Vibrations, bien sûr, ils hissent la Beatlemania au sommet de la grâce et ça chante à la glotte de lumière. T’es au sommet d’un art qui s’appelle le rock, amigo. Ace t’emmène ensuite à Chicago retrouver les mighty Chairmen Of The Board et leur cover de «Come Together» qu’ils bouffent toute crue. General Johnson et ses Chairmen tapent ça au chant d’esclaves africains, ils groovent dans le dur de la condition. Avec «Drive My Car», les Black Heat ramènent tout le swagger black, il faut les voir groover leur c’mon baby you can drive my car. t’as le groove des black dudes et des chœurs de blackettes. Tu ne peux décemment pas espérer mieux. Dans la foulée arrive un autre magicien, Junior Parker avec «Lady Madonna» et Linda Jones tartine «Yesterday», elle s’en va groover ça là-haut sur la montagne. Il n’existe rien de plus raw qu’Otis et sa cover de «Day Tripper». Il sonne comme un coup fatal d’I found out, personne n’enfonce un clou dans la paume du beat comme Otis. Et lui, là, le Lowell Fulsom, il amène sa cover de «Why Don’t We Do It In The Road» au proto-black de do it in the road. Tu retrouves l’extraordinaire poids de la Soul dans la cover de «The Long & Winding Road» des New Birth. Le blackos chante à la voix extrêmement fêlée. Et ça se termine en apothéose avec Al Green («I Want To Hold Your Hand», il sonne comme le génie suprême, il fait danser les Beatles sur ses genoux) et pour finir Aretha («Let It Be»). T’as plus rien au-dessus d’elle. C’est l’universalisme des Beatles magnifié par la plus grande chanteuse de tous les temps.   

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             Une fois que t’as retrouvé ton souffle, tu peux attaquer Let It Be - Black America Sings Lennon McCartney & Harrison. Cette fois, Aretha ouvre le bal avec «Eleanor Rigby». Elle tape ça à l’attaque directe de where do you come from, elle a des petits chœurs de Soul Sisters et ça swingue. Elle reste the Queen of Soul. Tu restes au sommet du genre avec Earth Wind & Fire et leur cover de «Got To Get You Into My Life». C’est imbattable. Mary Wells est incroyablement sensuelle avec «Do You Want To Know A Secret». Elle se frotte contre la braguette de John Lennon. Fatsy cloue les Beatles à la porte de l’église avec «Lovely Rita» et Nina Simone bascule dans le surnaturel avec «Here Comes The Sun», elle t’emmène au little darling. Retour de cet effarant groover qu’est Junior Parker avec un «Tomorrow Never Knows» qui préfigure le Prophète Isaac. Il plombe le beat. Pur genius. La fascinante Randy Crawford tape «Don’t Let Me Down» au beat élastique primitif, et The Undisputed Truth rivalisent de grandeur marmoréenne avec Joe Cocker sur «With A Little Help From My friends». Le mec fait de son mieux pour le scream. Gary Us Bonds explose «It’s Only Love», il va le chercher à la force du poignet. Et puis t’as bien d’autres choses : Dionne la lionne, Screamin’ Jay Hawkins, Ella Fitzgerald, et pour finir l’excellent Bill Withers avec un «Let It Be» groové à l’orgue. 

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             La troisième compile Ace vient de sortir : Here And There And Everywhere - Black America Sings Lennon McCartney & Harrison. Fais gaffe à l’overdose. Natalie Cole tape un fantastique «Lucy In The Sky With Diamonds» et le prend très perché. Tu retrouves bien sûr ce démon de Junior Parker avec «Taxman». Il te groove ça dans la couenne du lard et fait de la Soul psychédélique. On passe au petit sucre de Motown avec les Supremes et «You Can’t Do That». Quel punch ! Ça joue derrière la Ross. Le bassmatic du paradis ! T’as tout le son du monde. Carmen McRae te jazze la Beatlemania («Here & There & Everywhere») et Randy Crawford donne une chance au «Give Peace A Chance». Nouveau coup de Jarnac sensuel avec Mary Wells et «He Loves You», elle te feule ça vite fait et te jazze le beat. Les Drifters chantent «Everynight» à la pointe du génie et Margie Joseph nous fait son tour de magie avec «My Love». Elle te le tortille et tu fonds dans sa main. On remonte plus loin au sommet avec les Chiffons et «My Sweet Lord», elles te plongent en plein rêve. Hallelujah ! Elles t’explosent tout au really want to see you Lawd. Pur black power ! Marvin Gaye monte là-haut sur la montagne pour rajouter du doux au doux de «Yesterday». Et cette compile invraisemblable de qualité se termine avec sans doute l’une des covers les plus mytiques de l’histoire du rock, pesons bien les mots : Esther Phillips et «And I Love Her». Elle te fend le cœur à coups d’I gave him/ All my love, fabuleuse Esther Phillips, elle presse le jus des syllabes et elle t’abreuve de magie.  

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             Tant qu’on y est, on peut aussi sauter sur une belle petite box qui date de 2020 :  Looking Through A Glass Onion - The Beatles Psychedelic Songbook 1966-1972. Pareil : trois CDs bourrés de chansons parfaites, mais cette fois, les interprètes sont des petits culs blancs. On n’est pas tout à fait au même niveau. Il n’empêche que ça se laisse écouter. Et qu’on se régale car les chansons sont là. T’as des groupes qui font leur petite sauce (Deep Purple avec «Help» et Yes avec «Every Little Thing»). Bon t’as la chanson et ce que les gens en font. Ils font comme ils peuvent, won’t you pleeeease. Souvent, il vaut mieux écouter les Beatles. On le sait, les Hollies sont presque plus balèzes que les Beatles, et la compile commence à prendre de la hauteur avec The Mirage et un joli «Tomorrow Never Knows». Ça se confirme à la hausse avec Kippington Lodge et «In My Life», c’est à la fois overdosé et intéressant, avec une prod tenace, c’est poignant et bardé de barda à outrance. Nouvelle révélation avec Episode Six et «Here & There & Everywhere». C’est la cover d’une Beautiful Song de rêve. Il n’existe rien de plus parfait sur cette terre. Et ça continue d’atteindre des sommets avec Cliff Bennett & The Rebel Rousers et «Got To Get You Into My Life». En plein dans l’œil du cyclope, wild as Cliff ! Le «Fixing A Hole» de Duffy Power ne passe pas, car trop écorché vif, mais par contre, les Tremoloes passent comme une lettre à la poste avec «Good Day Sunshine», les Trem savent mettre le paquet. C’est la plus belle cover du disk 1. Puis t’as Infinity qui tape un «Taxman» de rêve. Ils taillent un beau costard au Taxman !

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             Le disk 2 est nettement plus dense. Spooky Tooth donne le La avec «I’m The Walrus». Version d’apothéose comme on sait avec un Luther qui vrille sa chique et un Mike de choc au mic. Énorme cover d’«Hey Bulldog» des Gods, le groupe pré-Uriah Heep de l’excellent Ken Hensley. Don Fardon fait son white nigger sur «Day Tripper» et Andy Ellison tape «You Can’t Do That» à l’insidieuse cacochyme. Il dispose des gros moyens du cabaret. On retrouve bien sûr l’excellent Cliff Bennett avec un smash, «Back In The USSR», il a tout le power des réacteurs. Franchement, là t’as tout : le raw, le killer solo et le souffle de l’aéroport. Encore un flash avec The Majority et «Hard Day’s Night», car ils te tapent ça aux harmonies vocales. Magique, car chanté à la traînasse de la rascasse. Retour en fanfare du wild as fuck avec Bo-Street Runners et «Drive My Car», and baby I love you/ Beep Beep/ Aw Beep Beep yeah ! Maggie Bell (et Stone The Crows) fait de la charpie avec «The Fool On The Hill». Elle chante ça à la glotte ensanglantée. En fait, Maggie Bell chante exactement comme Rod The Mod. Et cette belle aventure se termine avec Lol Coxhill et sa version Dada d’«I’m The Walrus». Lol fait chanter des gosses et essaye de détruire le groove en pianotant à l’envers et en pétant.

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             Le disk 3 est nettement moins dense. On ne sauve que trois covers : le «Strawberry Fields Forever» de Tomorrow, le «Taxman» de Loose Ends et l’«I Will» de Real McCoy. La cover de Tomorrow est forcément psyché, Steve Howe y fait des miracles. Loose Ends tape son Taxman en mode fat r’n’b, avec des percus. Et Real McCoy restitue bien la magie des Beatles. Bon t’as d’autres choses, comme par exemple le «Good Day Sunshine» des Eyes et l’«Ob-la-di Ob-la-da» de The Spectrum. Même ça c’est beau. C’est Vera Lynn qui referme la marche avec le «Good Night» qui refermait jadis la marche du White Album.  

    Signé : Cazengler, Beatlemaniaque

    Beatles. White Album. 50th Anniversary. Apple Corps 2018

    Opher Goodwin. Rock Classics: The Beatles White Album. Sonicbond Publishing 2024

    Come Together. Black America Sings Lennon & McCartney. Ace Records 2011

    Let It Be. Black America Sings Lennon McCartney & Harrison. Ace Records 2016

    Here And There And Everywhere. Black America Sings Lennon McCartney & Harrison. Ace Records 2024

    Looking Through A Glass Onion. The Beatles Psychedelic Songbook 1966-1972. Grapefruit Records 2020

     

     

    L’avenir du rock

     - (Sharp) Pins up

             — Bon les gars, je vais vous parler de Sharp Pins !

             Boule et Bill s’interloquent. Leurs quatre sourcils s’arquent de concert.

             — De charp qui ?

             — Sharp Pins !

             Boule et Bill éclatent de rire. Bon, ce n’est pas un rire très fin, c’est le rire gras des rades de banlieue.

             — Wouaf wouaf wouaf !

             — Pourquoi vous rigolez comme des bossus ?

             — Wouaf wouaf wouaf !

             Ils sont pris d’un fou rire. À travers leurs larmes, ils aperçoivent l’air ahuri de l’avenir du rock. Alors ça repart de plus belle !

             — Wouaf wouaf wouaf ! Wouaf wouaf wouaf !

             Boule lance d’une voix hystérique :

             — Arrêtez vos conneriiiiies, les gars, j’vais piiiisser dans mon froc ! Wouaf wouaf wouaf !

             Ils en hurlent de rire. Et plus ils hurlent de rire, plus l’avenir du rock s’ahurit, et plus la crise de fou rire s’aggrave. C’est automatique. Rien de tel qu’une tête de merlan frit pour aggraver les choses. Boule réussit à reprendre le contrôle de ses zygomatiques :

             — Comment qu’y s’appelle déjà ton groupe ?

             Avant que l’avenir du rock n’ait eu le temps de répondre, Bill lance d’une voix stridente :

             — Sharp Piiiiiiiiiiiiiiiiiiine d’alouette ! Wouaf wouaf wouaf !

             — Sharp Piiiiiiiiiiiiiiiiiiine de s’rein ! Wouaf wouaf wouaf !

     

             Chaque fois que la situation dégénère, l’avenir du rock préfère se barrer. De toute façon, il n’y a rien a faire, avec des cons pareils.

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             Sharp Pins, c’est pas de la tarte. L’avenir du rock en sait quelque chose. Eh oui, rien de plus vitalement futuristic que Sharp Pins, c’est-à-dire Kai Slater, un petit mec de Chicago qui reprend tout à zéro, fermement ancré dans un passé trié sur le volet. Dans Shindig!, Tess Carge le coince pour lui faire avouer des noms. Alors il

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    parle : «I tried to do The Ronettes drum sound on it («You Don’t Live Here Anymore»), so I flipped the snare drum upside down and hit it like that.» Oui car c’est lui qui joue tous les instrus sur son Radio DDR qui vient de paraître. Voilà donc le nouveau Todd Rundgren.

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             Côté références, Carge cite aussi Guided By Voices, le Paisley Underground, les Soft Boys et les Mods. Mais ça va beaucoup plus loin. «You Don’t Live Here Anymore» sonne comme du Lennon intimiste. Sur Radio DDR, le Kai fait de la big British pop. Il se lance sur les traces de Syd Barrett avec «Lorelei». T’as tout l’éclat du Swinging London et le jingle jangle des Byrds. «If I Was Ever Lonely» sent bon la Ricken. D’ailleurs, t’en vois une au dos de la pochette. Quel brillant coco ! Il n’en finit plus de prendre de la hauteur avec «Circle All The Dots», il fait une early pop anglaise avec un jingle jangle à la Television Personalities. Nouvel élan pop avec «You Have A way», surgi de nulle part et soudain énorme. Ça sonne comme un hit, pas la peine de tourner autour du pot. En B, impérieux comme pas deux, «Is It Better» est tendu à se rompre, et c’est bardé de tortillettes vénéneuses. Puis ça atteint encore des sommets avec ce «Race For The Audience» allumé par un fantastique battage d’accords et des harmonies vocales qui feraient pâlir les Who d’envie. «I Can’t Stop» sonne comme une pop incroyablement carrée et inspirée. La pop du Kai a le même éclat que celle de Big Star, une pop stupéfiante de clarté harmonique et allumée par des guitares scintillantes.

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             Dans un autre numéro de Shindig!, Jon Mojo Mills a la chance de le voir sur scène à Londres. Le Kai est accompagné par Joe Bass (bass) et Peter Cimbalo (beurre). Mills est flabbergasted - And bam, they’re straight into the buzzsaw pop - Il les décrit sur scène avec leurs pantalons à rayures et leurs casquettes de marins grecs, et il redit sa fascination, lui qui a pourtant du métier, pour ces newcomers : «The audience is transfixed. He (Kai) processes the kind of rock’n’roll frontman star quality that you rarely witness outside of a Lemon Twigs or Daniel Romano gig.» Voilà donc les vraies références. Mills affirme au passage que Radio DDR est un brillant album. Il compare encore Peter Cimbalo à Jody Stephens et à Keith Moon, c’est dire s’il en bave d’admiration - These kids have it - Il dit encore que les harmonies vocales à trois voix captent «an early Beatles-meet-Rubinoos sensibility». Il les a dans le baba. Il parle de «collision of early Fabs, The Who and Television personalities». C’est une évidence qui crève les yeux.

    Signé : Cazengler, Sharp pain rassis

    Sharp Pins. Radio DDR. Perennial 2025

    John Mojo Mills : Live. Shindig! # 165 - July 2025

    Tess Carge : Circle all the dots. Shindig! # 164 - June 2025

     

     

    Wizards & True Stars

     - Le rock à Billy

     (Part Eight)

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             Toujours avide de nouvelles aventures, notre héros Wild Billy Childish monte en 1998 Billy Childish & The Blackhands et pond Play Capt’n Calypso’s Hoodoo Party. Comme il a un trompettiste et un mec à l’accordéon, Billyl opte pour l’exotica

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    de New Orleans («Rum’n Coca Cola»), l’exotica de Ludella («Underneath The Mango Tree» et «Three Blind Mice»), l’exotica de Screamin’ Jay («I Love Paris»), et l’exotica du zydéco (punk-zydéco avec «Long Tall Shorty», banjo, trompette et hard beat, seul Billy peut sortir un tel son). Puis il tape dans l’Americana avec «Sen’ Me To The ‘Lectric Chair», judge ! My judge ! Et puis en B, il transforme l’«Anarchy In The UK» des Pistols en exotica de banjo, d’accordéon et de beat foutraque. Les Blackhands ont encore la main lourde sur le beat foutraque de «Yella Skinned baby» et Billy t’explose le vieux «Tequila» des Champs, oun, dès, très, quatro, booom !     

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             Les Blackhands re-sévissent en 1992 avec The Original Chatham Jack et sa pochette néo-moderniste signée Billy. Ils restent dans l’exotica de fake Americana, c’est-à-dire un mélange de jazz New Orleans, de zydéco, on entend bien l’accordéon dans «Chatham Jack», et avec «Millionaire, ils font même le chain gang, et là c’est pas terrible, car on ne joue pas avec ça. En B, Billy gratte «Crying Blud» au banjo et chante à la bonne arrache de don’t let me be misunderstood. On entend le slap du tea-chest bass dans «Broken Stone» et il nous surprend encore une fois encore avec cette resucée de «Louis Louie» qui s’appelle «Louis Riel», mais qu’il tape en mode Augie Meyers avec de l’accordéon. En bout de B, il rend hommage à Linky Link avec un petit coup de «Rumble».

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             On retrouve Bruce Brand dans les Blackhands pour une tournée hollandaise et donc le Live In The Netherlands. Un joli bois gravé de Billy orne la pochette. Sur ce live, on croise fatalement les cuts des deux albums précédents, le «Chatham Jack» tapé en mode zydéco, le «Yellow Skinned Baby» tapé en mode fast boogie de ventre à terre, avec un incroyable débraillé énergétique. Belle cover du «Black Girl» de Lead Belly et fantastique apologie du débraillé avec «She’s Fine She’s Mine». En B, t’as le grand retour de «Louis Riel», puis «Lambreth Walk» bascule dans le bal du 14 juillet, c’est absurde et joyeux à la fois, et on en arrive à la viande avec l’«Alabama Song» de Kurt Weil. Billy en fait une version plus joyeuse que celle de Jimbo, il crée les conditions du Bal des Naze et tout cela se termine en apothéose avec l’«Anarchy» des Pistols tapé en mode heavy barroom bash, c’est une version demented, tu crois entendre Augie Meyers & The Sex Pistols, avec un pont à la trompette New Orleans et le beat de la frontière, du côté d’El Paso.

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             En 1993, Wild Billy Cildish monte un nouveau projet de dark gothic country avec Arf Allen et Bob Shepherd, Billy Childish & The Singing Loins. La pochette d’At The Bridge s’orne d’un beau painting post-moderniste de Billy, coiffé de son canotier, comme sur la pochette de The Original Chatham Jack. Bon, c’est pas l’album du siècle. Au dos tu peux lire : «Folk variations and new songs.» Billy explore le folk anglais et on s’ennuie comme un rat mort. On croise Pocahontas dans «Pocahontas Was Her Name.» On la connaît bien, elle, on l’a vue dans Le Nouveau Monde de Terrence Malik. Avec «I Don’t Like The Man I Am», Billy va plus sur le Dylanex. On retrouvera d’ailleurs ce cut dans l’un des albums de The William Loveday Intention - I don’t like you/ Cause I don’t like the man/ I am

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             Le deuxième album de Billy Childish & The Singing Loins paraît dix ans plus tard et s’appelle The Fighting Temeraire, le Temeraire étant un vaisseau. C’est pourquoi les trois Loins portent des chapeaux de marine marqués «Téméraire» et fument des pipes de marin en os de baleine. Sur la pochette, ils sont vieux et ils sont armés, avec l’air de vouloir dire : «On est pas là pour rigoler.» Il faut continuer de comprendre que l’œuvre de Wild Billy Childish est d’essence littéraire. Afin de ne pas tourner en rond, il monte des projets pour styliser à outrance, il est même devenu au fil du temps un virtuose de l’Exercice de Style, une sorte de Raymond Queneau du rock moderne. Il est même d’ailleurs le seul au monde à réussir un tel exploit. Tu écoutes Wild Billy Childish comme tu lis Queneau, car c’est en écoutant qu’on devient liseron, de la même façon qu’on devient écouton en lisant. Et ce Fighting Temeraire est un prodigieux pastiche de Sea Shanty, il faut le voir, le Billy, chanter «A La Mort Subite» à la traînasse de bave et d’édentée, avec derrière l’harp de John Riley qu’on entend aussi avec The William Loveday Intention. Billy the sailor fait aussi de l’early Dylan avec «I Don’t Like The Man That I Am», suivi par un violon mélancolique. Tu savoures chaque seconde de cet exercice de style, tu goûtes au privilège d’écouter l’un des plus beaux artistes de ton époque. Dans «White Whale Blues», il recycle son vieux «to sing the blues, man, you gotta be true», déjà entendu dans The William Loveday Intention. Il sonne encore comme l’early Dylan avec «The Broken & The Lost Of The Old Long Bar», et te mixe ça avec du Sea Shanty à la chantilly, c’est une âpre chanson de taverne, pas loin des Pogues. En B, il recycle encore un vieux coucou du William Loveday Intention, «A Rusty Stain» - Somewhere in the distance/ I hear her calling my name - et on retombe sur ce final devenu légendaire chez les fans de big Billy, ce kiss this rusty stain fabuleusement dylanesque. Plus loin, il fait son McGowan by the factory wall dans «The Walls Of Red Wing», à coups de by the wall of the gas factory. Et puis tu as cette fantastique chanson de marin, «The Jutland Sea», c’mon you sailors ! Don’t you wanna go ! Chaque fois, big Billy t’envoie au tapis.  

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             Pour l’anecdote : vient de sortir un nouvel album des Singing Loins, Twelve, mais sans Big Billy. Bizarrement, l’album est bien meilleur que ceux auxquels a participé Big Billy. T’as là un bel album de folk-pop, tu te régales du joli, frais et vivant «House In The Woods» et de l’excellent «God Bless The Whores Of Rochester». La seule trace de Big Billy est la cover qu’ils font d’«I Don’t Like The Man» qui est en fait l’«I Don’t Like The Man That I Am». «Where’s My Machine Gun» est plus rocky roady, et ils terminent avec un brillant «Angel Of The Medway».

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             Comme il garde la nostalgie du James Taylor Quartet, Big Billy monte en 2022 The Guy Hamper Trio et invite James Taylor sur All The Poisons In the Mud. Derrière Billy, on retrouve Juju Hamper et Wolf, ses deux bras droits de CTMF. T’adores l’orgue Hammond et le James Taylor Quartet ? Alors tu vas tomber de ta chaise dès «All The Poisons In The Mud» qui ouvre le balda au heavy shuffle d’orgue, ça chauffe comme au temps du Spencer Davis Group. Power maximal ! On reste dans l’heavy gaga d’orgue des Prisoners avec «Come Into My Life», c’est l’instro du pouvoir totalitaire aux semelles de plomb. Deux cuts et te voilà déjà gavé. C’est l’apanage du big Billy. Il te prend pour une oie. Il te cale un shuffle comme s’il t’enfonçait un entonnoir dans la gorge. Et il envoie la purée. Encore du lourd de la main lourde avec «Moon of The Popping Trees». Quel tour de force ! Il ressort ensuite un vieux «Girl From 62» du CTMF et big Billy chante «Full Eclipse Of The Sun», un brûlot sournois que les trois autres swinguent jusqu’à plus soif. Le «Step Out» qu’on trouve en B sonne exactement comme un hit de Booker T. & The MGs. Et le «Polygraph Test» qui suit est encore plus rampant que Booker T. Juju joue devant dans le mix, comme Duck Dunn à Memphis. Chez les Hamper, on respecte l’étiquette. Et comme coup du lapin, voilà une version instro de «Fire», ce démon de Billy tape encore une fois dans l’hendrixité des choses, James Taylor fait le can’t stand by your fire au shuffle, et Wolf bat comme une brute. Quel que soit le genre, chaque album de Wild Billy Childish est passionnant.

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             Retour cette année du Guy Hamper Trio avec Dog Jaw Woman. C’est un album d’instros, dans la tradition de ceux du James Taylor Quartet. James Taylor sort le grand jeu, accompagné par Juju Hamper et Guy Hamper. Big Billy raffole des pseudos. Tout ici est tapé au big instro d’anticipation allègre et vindicative. «Young & Able» est monté sur le riff que joue Brian Jones dans «King Bee». Bien vu, très Swingin’ London.

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             Toujours en trio avec Wolf et Juju, big Billy lance en 2005 un nouveau projet : Wild Billy Childish & The Chatham Singers. Avec sa belle pochette primitive, Heavens Journey signe le grand retour au primitif et à Bo. Absolute beginner to begin with, «The Man With The Gallow Eyes», avec Bludy Jim on harp. Big Billy tape ensuite un duo d’enfer avec Juju sur le morceau titre et on bascule dans l’énormité primitive avec «Gods Rain» et là, oui, tu reprends ta carte au parti. Wolf vole le show dans «Ballad Of A Lost Man». Pur Diddley beat ! En B, Billy lit ses poèmes avec une diction de punk. Textes fantastiques, tu te gorges d’échos, dans «I Am A Angry Man» il claque ça : «angry enough to have twelve bad teeth/ Angry enough to say nothing» et dans «I’m Bathed In Forgiveness», il te claque ça : «Walking from God/ I’m walking to God/ I’m kissing your lips» et plus loin, il clame qu’il hait les galeries d’art et les éditeurs. Wild Billy Childish forever ! 

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             Juju et un crâne ornent la pochette de Juju Claudius, deuxième album des Chatham Singers. Au bout du balda, tu vas tomber sur le plus bel hommage qui soit ici bas à Slim Harpo : «Queen Bee». Quelle violente cover, baby ! Big Billy tape ça dans les meilleures formes du lard, avec le buzz dans le son. Nouveau coup de génie en B avec «Demolition Man» gratté au riff pernicieux, Juju te chante ça à la desperate de la rate et ils terminent avec un gros clin d’œil à Jimmy Reed et «Baby What’s Wrong». Big Billy adore torcher ça au I shaid baby/ What’s wrong with you honey.      

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             Pour leur troisième album, Kings Of The Medway Delta, Wild Billy Childish & The Chatham Singers se payent une pochette fantastique. Tu sais tout de suit à quoi t’en tenir. Ils attaquent avec «The Good Times Are Killing Me», un wild blues qu’ils tapent au raw du wouahhhh ! Cette fois, big Billy opte pour l’early Stonesy, car il tape une prestigieuse cover de «Got Love If You Want It» et retrouve le spirit des early Stones de Brian Jones, il est en plein dedans, avec Jim Riley à l’harp. On retrouve tout le côté mystérieux et sauvage des early Stones. Même chose avec le «Wiley Coyote» d’ouverture de bal de B, un heavy blues de type Queen Bee. On croise plus loin un fantastique boogaloo sentimental, «Why Did I Destroy Our Love», gratté aux poux fantômes.

             Et en 2007, le trio Billy/Wolf/Juju se lance dans une nouvelle aventure : Wild Billy Childish & The Musicians Of The British Empire, et trois albums, Punk Rock At The British Legion Hall, suivi de Christmas 1979 et de Tatcher’s Children.

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             Ils attaquent Punk Rock At The British Legion Hall avec «Joe Strummer’s Grave», du Clash en real deal d’heavy punk, mais avec de accords de proto-punk. Pur sonic hell ! Au-dessus de ce truc-là, t’as rien en Angleterre. Le ton est donné : c’est un album explosif. Big Billy ne tient pas en place, il fonce dans le tas avec «Dandylion Clock» et claque les accords de Dave Davies sur «Date With Doug», pendant que Nurse Juju t’emmène en enfer. Nouveau coup de Jarnac avec «Bugger The Buffs», this is the story of the Buff Medways, amené au heavy blues d’early Stonesy. Ils bouclent leur balda avec le wild gaga craze de «Walking Off The Map». Tout est bardé de power à ras-bord. Ça repart de plus belle en B avec ce vrai chef-d’œuvre s’anticipation qu’est «Snack Crack», emmené ventre à terre sur un thème efflanqué et t’as à la suite ce «Comb Over Mod» amené au dialogue de dingues et au riff à Billy, repris par l’heavy beat de Wolf. Et cette folle aventure se termine avec le morceau titre monté sur le beat de «The Final Solution». Ah comme big Billy a bon goût !

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             Big Billy & The Musicians Of The British Empire savent aussi dézinguer un Christmas Album, comme le montre Christmas 1979. Woah, comme dirait Bo In The Garage ! 11 bombes sur 12 cuts, pas mal non ? Ça t’éclate à la gueule (désolé, il n’y a pas d’autre mot pour ça) dès «Santa Claus», Hello little girl/ What would you like for Christmas ?, fait Big Billy d’une grosse voix délirante de Santa Claus, et Nurse Juju répond d’une voix d’ingénue libertine en rut qu’elle veut les Sonics. Wouaahhhhhh, alors ça duette dans le garage des dingues au killer kill kill et au yeah yeah yeah. Nurse Juju est la pire de toutes ! Ils sont sur «Farmer John». Et ça continue avec «Christmas Lights» et l’attaque mortelle de big Billy, ça punche à outrance. Tu prends tout en pleine gueule. Tu les vois enfiler les bombes comme des perles, «Knick Knack Daddywach (Chuck In The Bin)», ça bascule dans le gaga-protozozo, big Billy rocks out son «Downland Christmas» sur l’air d’Anarchy In The UK. Guitar ! Guitar ! Guitar ! Clin d’œil à Pete Townshend avec «A Quick One (Pete Townshend’s Christmas)», big Billy tape en plein dans la cocarde des Who, il recrée toute l’effervescence, t’en reviens pas de voir tout ce bordel remonter à la surface et Nurse Juju lui fait les chœurs de Shepherd’s Bush. Compréhension totale des Who, et bien sûr, final explosif. Il fait un pastiche des Ramones avec «Mistleto», oh-oh !, il est en plein dedans et Nurse Juju te claque ensuite «Dear Santa Claus» au sucre avarié. Méchant clin d’œil à Linky Link avec «Comanche (Link Wray’s Christmas)» et plus loin, t’as ce «Christmas Bell» drivé à l’harp du diable. Tu vois big Billy entrer là-dedans un lance-flamme. Pour finir, il amène son morceau titre au cockney de Chrrristmas seventy nâïne, il fait son Rotten. On retrouve là toute la tension des Pistols et la cocote fatale, c’est le rythme d’Anarchy - Merry fucking Christmas to you all – Ah ! il adore le merry fucking !

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             Le troisième album de Wild Billy Childish & The Musicians Of The British Empire est un album politique, puisqu’il s’appelle Thatcher’s Children, et ça démarre sur des chapeaux de roues avec le morceau titre, everyone’s a loser !  C’est du protest à la big Billy. Puis ils vont faire de l’heavy pop extrêmement chargée de la barcasse («Little Miss Contrary» et «An Image Of You») et basculer dans les Who avec l’explosif «Rosie Jones». Exactement le même power que celui des early Who ! Juju reprend la main en B avec «Coffee Date», «He’s Making A Tape» et «I’m Depressed». Elle est encore plus wild que les Headcoatees. Elle est effroyablement bonne. Big Billy revient faire corps avec sa matière dans «I Fill All Of Your Dreams», et cette folle virée se termine avec un «Back Amongst The Medway Losers» monté sur le riff de «Summertime Blues». Juju te jacte ça en mode Medway punk, pendant que Big Billy claque son riff et passe vite fait bien fait le plus wild des killer solos flash.

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             Au hasard des autres projets, on croise d’autres albums extrêmement intéressants, comme par exemple le Poets Of England des Vermin Poets, qui sont en fait les Spartan Dreggs dont on va reparler ailleurs. Pochette faramineuse de ce quatuor monté autour de Neil Hereward Palmer, avec Wolf, Big Billy et Nurse Juju. Ils cultivent tous les quatre une esthétique de la bohème anglaise. Wolf et Juju se partagent le beurre et big Billy bassmatique. Neil Hereward Palmer chante et gratte ses poux. C’est d’ailleurs le cut d’ouverture de balda, «Spartan Dregg», qui donne naissance au projet suivant. Autant le dire tout de suite : Poets Of England est un fantastique hommage aux early Who. Ça s’entend dès «He’s Taken His Eye Off The Sparrow». T’as encore quatre hits whoish à la suite, «Like Poets Often Do» (avec un chant à la limite de la rupture), «Baby Booming Bastards» (chargé de cocote lourde comme au temps des Who, et une mélodie chant en surface), «Grandfathering» (power chords à la Townshend et chœurs de folles), et en B, «Vermin Poets» qui rappelle «Can’t Explain». Exactement la même volonté d’en découdre. Whoish pur encore avec «A Cup Of Deadly Cheer». Ça gicle dans tous les coins ! 

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             En 1988, big Billy prend le maquis avec Jack Ketch & The Crowmen et un horrible album punk, Brimfull Of Hate. Au dos, tu vois une illustration gravée de pendaison, avec un bourreau qui tire le pendu par les jambes. L’album sort sur le label de big Billy, Hangman Records. Tu ne perds pas ton temps à l’écouter, car big Billy règle ses comptes avec le punk-rock. Il gratte ses cuts à la cocote sourde et vénéneuse. Il fait du Fall de Medway avec «I’ve Been Wrong», il tape dans le sommet du genre, il se paye ce genre de luxe intérieur. Il gratte la grosse fournaise de «Brimfull Of Hate» à la dure et envoie des coups de wah. Il est enragé, notre Jack Ketch. Encore une fantastique volée de bois vert avec «You Shouldn’t Do That» en B. Punk at its max ! Wild Billy Childish ne peut faire que du wild punk. Mais le pire est à venir et là t’es content d’avoir chopé cet album. Billy Ketch termine avec une cover du «Boredom» des Buzzcocks. Hommage définitif. Mythe pur. Il jette toute sa niaque dans se smash d’early punk et ça t’explose sous le nez, boredom ! Il fait bien le budum budum et le solo sur deux notes, il y jette toute la Méricourt dont il est capable. Wild punk définitif. Budum budum !

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             En 2006, big Billy produit l’album des Buffets. Saucy Jack. Il s’agit d’un trio monté autour de Sister Tiffany Lee Linnes «who flew from Seattle», avec Nurse Juju et Matron Bongo des Headcoatees au beurre. Tiffany Lee Linnes joue dans les Stuck

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    Ups. Elles attaquant avec «Misty Water» qui sonne exactement comme un early cut des Buzzcocks, même si c’est une cover de Ray Davies. Elles tapent ensuite dans le «Troubled Mind» de big Billy et en font une version wild as fucking fuck. Elle est bonne la Tiffany, elle sait claquer des killer solos flash. Matron Bongo vole le show dans «I’m A Lie Detector» et dans «Archive From 1959». On croit vraiment entendre Wolf, mais non, c’est elle. En B, on se régale encore de l’heavy gaga d’«Unable To See The Good». C’est excellent, bien pulsé par le team Juju/Bongo. Grosse tension encore dans «Just 15» et Sister Tiffany Lee Linnes passe un killer solo flash d’étranglement contigu. Elles terminent cet album solide avec une cover de l’«Ivor» de Pete Townshend. C’est donc très Whoish, battu à la diable de Moony par Bongo, et ça devient parfaitement exubérant, avec bien sûr tous les glorieux développements qu’implique ce genre de démarche, t’as même les bouquets de chœurs magiques.    

    Signé : Cazengler, Billy Chaudepisse

    Billy Childish & The Blackhands. Play Capt’n Calypso’s Hoodoo Party. Hangman Records 1988       

    Billy Childish & The Blackhands. The Original Chatham Jack. Sub Pop 1992

    Billy Childish & The Blackhands. Live In The Netherlands. Hangman Records 1993

    Billy Childish & The Singing Loins. At The Bridge. Hangman’s Daughter 1993

    Billy Childish & The Singing Loins. The Fighting Temeraire. Damaged Goods 2022

    The Singing Loins. Twelve. Damaged Goods 2024

    The Guy Hamper Trio. Featuring James Taylor. Hangman Records 2023

    The Guy Hamper Trio. Dog Jaw Woman. Damaged Goods 2024

    The Buffets. Saucy Jack. Damaged Goods 2006 

    Wild Billy Childish & The Chatham Singers. Heavens Journey. Damaged Goods 2005

    Chatham Singers. Juju Claudius. Damaged Goods 2009       

    Wild Billy Childish & The Chatham Singers. Kings Of The Medway Delta. Damaged Goods 2020

    Wild Billy Childish & The Musicians Of The British Empire. Punk Rock At The British Legion Hall. Damaged Goods 2007

    Wild Billy Childish & The Musicians Of The British Empire. Christmas 1979. Damaged Goods 2007

    Wild Billy Childish & The Musicians Of The British Empire. Tatcher’s Children. Damaged Goods 2008

    The Vermin Poets. Poets Of England. Damaged Goods 2010

    Jack Ketch &  The Crowmen. Brimfull Of Hate. Hangman Records 1988

     

     

    Inside the goldmine

     - Feelies all right

             Philip porte des lunettes. Comme autre signe distinctif, il dispose d’une intelligence supérieure. On l’écoute très attentivement lorsqu’il prend la parole. Son discours frise souvent la prophétie. Et quand on bosse dans un domaine aussi sensible que celui de l’e-learning et de ses applications digitales, on tend l’oreille lorsqu’un mec de son acabit énonce un postulat. Il faut toujours essayer de garder une distance avec les gens qu’on admire. Mais ce n’est pas toujours facile, surtout quand on bosse en tandem. Ça crée de relations de proximité extrêmement tendues, au bon sens du terme. Les interactions agissent parfois comme des électrochocs, et ceux qui y sont passés savent de quoi il s’agit. Pour être plus clair, il faut savoir se montrer en permanence à la hauteur, et intellectuellement parlant, c’est aussi épuisant qu’une séance d’électrochocs, surtout quand, dans la conversation, arrive un petit leitmotiv du genre «Tu vois ce que le veux dire ?», ou pire encore, «Tu me suis ?». Philip a pour habitude de jeter les bases d’un dossier par écrit, mais de le retravailler oralement, en direct, afin de tester la faisabilité. Le concept de base est toujours bon - que dis-je, flamboyant ! - mais il doit trouver chaussure à son pied pour devenir un outil pédagogique, et la chaussure se bricole à deux, on la teste, aïe, ça ne marche pas, on la modifie, ou on change de cap, on part dans l’autre sens, plein Sud ? Non, plein Nord ! Petit format ? Non grand format ! Et tout à coup ça devient une nouvelle possibilité excitante, alors on l’explore, et Philip adapte son contenu en conséquence, l’échange monte en température, ça monte ! Ça monte encore ! Il exprime des doutes, «T’es sûr sur ça va marcher ?» et pour garder sa confiance, il faut surtout répondre avec une formule hasardo-mallarméenne à base de coups de dés, ce qui le fait toujours bien rire. Il adore rire ! Soudain le processus créatif nous échappe et devient une sorte de golem destiné à terroriser les réactionnaires pédagogiques, et d’un commun accord, nous décidons de le lâcher dans la nature.

     

             Comme Philip, les Feelies portent des lunettes. Et comme Philip, ils lâchent dans la nature des golems destinés à terroriser les réactionnaires du rock.

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             C’est grâce ou à cause de Garnier qu’on écoute les Feelies. Il en faisait une petite apologie dans Les Coins Coupés. Pourtant, on a longtemps reculé. La pochette de Crazy Rhythms ne faisait pas envie. Les binoclards n’inspiraient pas confiance. C’est une vieille histoire. Il avait tout de même fallu un bon coup de «Reminiscing» et de «Rock A-Bye Rock» pour tomber dans les bras de Buddy Holly. T’avais aussi des binoclards chez les Zombies et Manfred Mann. Pour surmonter les a-priori, tu devais écouter les disks. Puis, de la même façon qu’avec Buddy, tu tombais carrément des nues. Comment de tels binoclards pouvaient-ils être aussi bons ?

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             On la voyait partout cette pochette bleue des binoclards d’Haledon, New Jersey. Ce qui frappe le plus à la première écoute de Crazy Rhythms, c’est l’immédiateté du son. Il apparaît clairement qu’immédiateté et crédibilité non seulement vont de pair, mais sont en plus les deux mamelles des Feelies. T’as de l’énergie dès «The Boy With The Perpetual Nervousness» et «Fa Ce La». Et surtout un beurre de fou. Il s’appelle Anton Fier et vient de Cleveland. Et bien sûr, il a joué avec Electric Eels et Pere Ubu. Anton Fier se trouve à gauche, sur la pochette de Crazy Rhythms. Les principales influences des Feelies sont les Beatles et le Velvet. D’où la cover d’«Everybody’s Got Something To Hide Except Me And My Monkey», qui a forcément tapé dans l’œil de Jim Jones qui la reprend aujourd’hui sur scène. La mouture des Feelies tape en plein dans l’œil du cyclope à coups de take it easy. Fantastique ! Le Velvet apparaît dans «Forces At Work», un cut très axé sur le drone. Le beurre, toujours le beurre ! Très hypno, très bienvenu très clairvoyant. Il faut dire que Glenn Mercer et Bill Million le binoclard grattent des poux de clairette subliminale. On se gave aussi de cet «Original Love» sur-vitaminé et gratté à ce qu’on imagine être deux Teles, et qui ne sont peut-être que des Stratos. On détecte une volonté de clameur dans «Moscow Nights» et un horizon génétiquement complet dans «Raised Eyebrows». Le chant arrive tard et ça monte en petite neige du New Jersey. 

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             Garnier recommandait deux autres albums des Feelies, The Good Earth et Time For A Witness. Alors tu dis «Merci Garnier !». T’es frappé par la présence indéniable d’«On The Roof». Et par le beurre ! Mais ce n’est plus Anton Fier qui est parti rejoindre les Jesus Lizards, mais Stan Demeski. Il te bat ça si sec ! On reste sur une impression très favorable avec «The High Road». Leur fonds de commerce est la tension. Ils ultra-jouent. Ils naviguent très haut avec des grattes Velvet. On les entend dans «Slippin’ (Into Something)». C’est gratté sur les accords de «Gloria», mais ça tourne à la belle virée impérieuse. Ils trafiquent une sorte d’artefact minimaliste sur de beaux accords de clairette. Quel fantastique album ! Idée que vient encore conforter «When Company Comes». Avec «Let’s Go» et sa petite énergie Velvet, ça marche à tous les coups. Le mec Demeski est un cake du beurre. Il te monte «Two Rooms» en neige du New Jersey vite fait. Ils sont aussi denses que Yo La Tengo. Ils adorent monter en neige. «Slow Down» sonne comme du pur Yo La Tengo. On se croirait sur Electropura. Ils ont exactement le même schéma directeur.

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             Time For A Witness est un album encore plus dense. Trois gros points de repère : Dylan, le Velvet et les Stooges ! Stooges avec une cover de «Real Cool Time». Rien de plus véracitaire que cette intro de poux grattés à la sauvage - Can I come over/ Tonite - Belle tentative de stoogerie, même si ça manque cruellement d’Iggy touch. Glenn Mercer fait bien son Ron Asheton, il arrose dans tous les coins et le batteur demented te cloue ça vite fait à la porte de l’église. Velvet avec «Decide», où le filet de Tele croise bien le bassmatic. On trouve aussi du Velvet dans les arpèges lancinants de «Find A Way». Dylan avec le morceau titre, c’est du «Maggie’s Farm» sous amphètes. Pure ecstasy de neige. C’est énorme ! Et les Feelies allument encore avec «Sooner Or Later», puis plus loin avec «Invitation», pulsé à l’outrance de la jouissance. Leur outrecuidance danse entre tes cuisses. Et puis t’as ce «For Now» fin et sournois, bien drivé du bikini.

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             Only Life n’est pas leur meilleur album, loin de là. Ils pompent adroitement le riff d’«Alabama Bound» dans leur morceau titre, mais ils tapent ça avec un léger parfum Velvetien. Puis ils enchaînent une série de cuts à la fois plan-plan, pisse-froid et passe-partout. Tu n’apprendras rien de neuf, inutile d’espérer. Ils peuvent même devenir incroyablement conventionnels. Ils savent très bien tourner en rond. Ça fout un peu la trouille de les voir errer ainsi. Ils se veulent denses, incompressibles, mais ils ne sont pas sexy du tout. Toujours ce beat rapide, un peu âpre, parfois gentillet et sautillé. Leur plan est de faire du post-Velvet. Il faut attendre «Too Far Gone» pour frémir d’une oreille. Belle ferveur des deux grattes, la clairette d’accords d’un côté, et la fuzz tête chercheuse de l’autre. Fast et frais. Tout droit, avec un joli solo introspectif. Ça te rattrape à la course. Ces mecs ont un bon fond, ils s’y entendent, oh-oh yeah ! Ils passent enfin en mode Velvet avec un «Away» bien fouetté au sang, en plein dans l’esprit du drive Velvetien, joué au fouette-cocher de Times Square. Et ils terminent en beauté avec une cover de «What Goes On», amenée au tire-bouchon de disto et reprise au petit chant de what goes on. Ils te grattent ça à la clairette de Die, ils zyvont au zyva, ça file droit sur l’horizon du mythe hypno.

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             Eh oui ! Encore un big album : Here Before. Et même un very big album. On y retrouve le Velvet dans un «On & On» bien enveloppé d’accords ondoyants, c’est une démarche purement velvétienne, ça décolle au nah nah nah et ça vire vite hypno. Le yeah n’a aucun secret pour eux. Coup de génie avec «Change Your Mind», cut joyeux, hit merveilleux, bien en main, Glenn Mercer chante un peu comme Lou Reed, il sait peser de tout son poids. Mais c’est Brenda Sauter qui vole le show avec son bassmatic sur «Nobody Knows», un mid-tempo monté sur un fast drive de clairette. Le bassmatic chatoyant prend vite le dessus. Elle va partout, avec une allégresse qui laisse rêveur. On la retrouve sur «Way Down», un cut encore porté par un bassmatic revigorant et les poux gracieux et bien secs de Glenn Mercer. Mais c’est Brenda Sauter qui vole le show à force de grâce chorégraphique. «Should Be Gone» sonne comme une Beautiful Song. Les Feelies sont un groupe idéal, warm et attentionné. Même chose pour «So Far», avec son thème de guitare qui te fait rêver. Ils troussent encore «When You Know» à la hussarde. Ils ne traînent jamais en chemin. C’est dru et fast, avec un solo liquide en fin de course. Ils savent bien tirer les marrons du feu.

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             Bel album que cet In Between de 2017. Ça sonne Velvet dès le morceau titre d’ouverture de bal. Glenn Mercer et Bill Million sont toujours là, bien rivés dans leur tatapoum à la Moe Tucker. Ils n’ont rien perdu de leur vieux cachet Velvétien. On les retrouve encore plus allumés dans «In Between (Reprise)». Ça repart en mode Sister Ray. En plein dans l’œil de bœuf, avec un départ en bassmatic comme dans le Velvet de Calimero. Ils poussent la mécanique du Velvet encore plus loin avec une vraie architecture de bassmatic. L’In Between s’étend quasiment à l’infini, c’est bardé de départs en vrille et de motifs géométriques de bassmatic vitupérant à la Calimero. On assiste ici à une fantastique réinvention du mythe Velvet. Très beau «Flag Days» aussi, bien amené au hey now/ Hey now, c’est un hit, le claqué est beau comme un cœur et ça monte comme la marée. Avec «Been Replaced», ils revisitent le vieil adage du raw Velvetien. Quelle fantastique assise ! Les grattés de poux restent implicitement délétères. Ils montent leur «Gone Gone Gone» sur un fast beat à la Lou Reed, vite rejoint par une petite fuzz du New Jersey. Et on retrouve avec «Time Will Tell» cette belle ambiance de chant chaud et les poux de clairette. Ils ont l’air contents du résultat. Et voilà une Beautiful Song : «Make It Clean», superbe et lumineuse.

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             Avec Some Kinda Love (Performing The Music Of The Velvet Underground), t’as le meilleur tribute au Velvet. Ça rivalise de power velvetien avec tout ce que font les Subsonics. Ce double album live des Feelies est même un véritable chef-d’œuvre. Ils alignent tous les hits un par un, «Sunday Morning» (en plein dans l’œil du real deal), «Who Loves The Sun» (moins connu, mais vibrant de velvetude, c’est gratté à l’ongle sec, avec une réelle ampleur), et puis ça s’emballe avec «There She Goes Again» (claqué à la clairette flamboyante), «What Goes On», et son évasion fiscale d’accords vers la frontière, «Sweet Jane» (trop classique pour être honnête, mais Glenn Mercer est dessus au chant, un vrai clone), et puis t’as l’«Head Held High» bien dévastateur et attention, tu vas tomber de ta chaise avec «Waiting For The Man» et le bassmatic de Brenda Sauter en roue libre. C’est une cover endiablée. On reste dans l’hot as hell avec les sur-puissantes moutures de «White Light White Heat» et «I Heard Her Call My Name» (les Feelies plongent dans la folie du Velvet. Pur génie interprétatif, c’est saturé de fuzz distoïque, c’est même l’un des sommets du genre), puis ça va se calmer avec «That’s The Story Of My Life» et «All Tomorrow’s Parties» que chante Brenda Sauter, avec en prime un divin bassmatic. Elle part bien en vrille sur la fin de «Rock & Roll» et les Feelies replongent dans la folie avec «We’re Gonna Have A Real Good Time Together», fast one on fire, et Brenda devient folle ! Pur génie sonique ! Tu croises rarement des tribute albums d’un tel niveau). Le «Run Run Run» qui suit est encore plus allumé, avec un solo trash d’extrême onction. Trash définitif ! Ils enfoncent terriblement le clou avec «I Can’t Stand It» et Brenda Sauter chante «After Hours». Magie pure. T’as pas idée. Concert enregistré en 2018, au White Eagle Hall in Jersey City.  Dans les liners, Howard Wuelfing cite Lou Reed qui avait pris les Feelies en première partie d’une tournée : «They remind me of myself, only five times faster.» Wuelfing qualifie aussi le son de Mercer et Million de «suitably scrappy guitar swagger» et salue le «fiercely corrosive lead guitar from Mercer.» Tu sors de cet album complètement ahuri, comme lorsque tu as écouté pour la première fois The Velvet Underground & Nico.

    Signé : Cazengler, Filou

    Feelies. Crazy Rhythms. Stiff America 1980

    Feelies. The Good Earth. Coyote Records 1986

    Feelies. Only Life. A&M Records 1988

    Feelies. Time For A Witness. A&M Records 1991

    Feelies. Here Before. Bar/None Records 2011

    Feelies. In Between. Bar/None Records 2017

    Feelies. Some Kinda Love (Performing The Music Of The Velvet Underground). Bar/None Records 2023

     

    *

             En ce mois d’août, regard sur les nouveautés, pas grand-chose, enfin si, beaucoup de gros riffs sans âme à la chaîne sur thématiques éculées, après maintes recherches mon attention est attirée par un drôle de titre, le genre de mot qui promet le pire comme le meilleur, à première oreille pas de mon goût mais il faut savoir prendre son risque dans ce monde mouvant qui nous entoure…

    IMPERMANENCE

    THRÆDS

    (Bandcamp /Juin 2025)

             Un peu torturé, beaucoup tortueux, normal le projet initial est d’Angelos  Tzamtzis, originaire de Thessalonique, or en règle générale les grecs font preuve d’une intelligence subtile et abstraite qu’ils adaptent à l’esprit de l’époque dans laquelle ils vivent. Tzamtis s’est installé en Allemagne, à Berlin, pour réaliser son projet. Qu’il voulait solo. La chose s’est transformée, Thraeds se présente aujourd’hui comme un groupe à part entière et Impermanence comme leur premier album. Le groupe continuera-t-il sur sa lancée, je ne le certifierai pas car peut-être vous en êtes-vous rendu compte en ce bas monde tout change…

    Thread signifie fil. Ne pas comprendre le fil à couper le beurre qui dénoue en un clin d’œil une situation a priori peu compliquée, avec Threads ce serait plutôt les fils entremêlés de la bobine de la réalité sur lesquels il faut tirer pour tenter, en pure perte, de déceler dans l’inextricable pelote de notre implication personnelle dans le monde ne serait-ce qu’un semblant de signifiance.

             La pochette n’est guère engageante, une silhouette humaine déambulant sans but dans le monde post-industriel de notre modernité aux teintes grises et glauques.

    Celso Borralho : vocals /Angelos Tzamtzis : guitars, synths / Tim Crawford : guitars, backing vocals / Felipe Melo Villarroel : drums / Barnabás Mihály : bass :

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    Timeless : incertitudes sonores, émerge un doux clapotement, la voix ne parle pas, elle chuchote avant de s’allonger comme si elle passait sous un laminoir, elle est comme le titre, elle décrit une temporalité dont on ne sait s’il faut profiter de sa durée illimitée ou  la regretter, car si ce qui a eu lieu n’existe plus, son existence n’est-elle pas encore accessible, directement ne nous pouvons-nous nous y reporter par la force de l’esprit, ne pouvons-nous accéder à ces instants de bonheur suprême où nous avons eu l’impression d’échapper aux serres voraces du temps, est-ce pour cela que la batterie se précipite et que le vocal donne l’impression  d’embrasser le ciel, mais nous voici arpentant sans désir notre société de consommation, prisonniers de notre solitude, hantés par l’immarcessible émerveillement de de notre échec à nous fondre dans le soleil communautaire de l’être. Reflections : musique brillante, ne pensons-plus à la splendeur du soleil mais à des braises rougeoyantes dont nous devinons qu’elles déclinent doucement, scintillements de guitares, vocal éjaculé puis s’étendant en longues ombres, la batterie concasse le gravier de nos rêves, c’est un drame mais d’une telle splendeur qu’il n’est pas encore mort, qu’il se débat, qu’il crie comme une salamandre qui agoniserait dans le feu qui lui fut jadis protecteur, ce n’est pas l’extérieur du monde qui se meurt, mais notre monde intérieur qui s’éteint en beauté  pour disparaître à jamais, nous abandonnant au vide de l’univers.  Nothing Good to Say : pourquoi cette intro si douce alors que nous cheminons dans l’hostilité du monde et de notre vécu, peut-être parce qu’il existe une solution, un autre abandon, la voix gémit et se fait amadouante, il existe un autre monde, une autre réalité, une autre histoire, une autre épopée qui n’est accessible que si on se laisse emporter par le tumulte de l’ultime tentation, quand on n’a plus rien à dire ne reste-il pas autre chose à vivre, un autre appel, colère et angoisse, les vagues de la mer, une nacelle à enjamber pour rejoindre l’autre rive… Clockworks :

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    cliquètements, juste pour se raccrocher aux petites branches qui n’ont pas su nous retenir, les aiguilles de l’horloge avancent doucement nous offrant le cadeau de la beauté des choses, toutes les merveilles que les générations humaines nous ont léguées, ces instants de beauté qui sont comme les supports de notre seule transcendance, et cette leçon des choses de la vie et de la nature, toute cette sagesse d’être au monde dans notre propre émerveillement.  Sole Survivor : petites cascades de notes, se faire à l’idée que l’on est le seul à survivre à son propre anéantissement, hurlements, la mort et la vie ne se ressemblent-elles pas si fort qu’elles soient identiques, une seule et même chose, un espoir et un désespoir absolus, quelques accords de basse jugulent la crise, il suffit d’entrer dans l’acceptance des choses, un jour  ou l’autre la nature   décidera quelle que soit la stase existentielle de notre état de notre égocité. Devolve : background un peu chaotique, à qui déléguer sa propre vie, la proposition mérite qu’on s’y arrête, le vocal scande et puis s’apaise, plus exactement la réflexion mûrit lentement sur sa branche dont est n’est qu’une efflorescence arbitraire, se donner, s’abandonner à la vie ou au contraire s’y soustraire, mettre illico un point final, qui a raison, qui se défend avec davantage d’acharnement, des pensées diffuses s’entrechoquent, il est temps de choisir. Vaut-il mieux être mort ou vivant ?  Einsten Rosen Bridge : vous conviendrez que la question mérite une réponse. A moins que vous ne soyez le chat de Schrödinger. Mais laissons-là ce satané matou. Elaguons, le morceau est très court, très beau, très poétique, très lyrique mais il ne répond qu’imparfaitement à la question : que dans la mort, l’âme se débrouille comme dans la vie ! D’ailleurs Thraeds appelle la cavalerie en renfort, en l’occurrence une curieuse idée : en effet s’il est facile d’imaginer la distance entre un point A et un point B, il existe sûrement ne serait-ce que dans le monde du possible hypothétique un autre chemin plus court, c’est ce raccourci que Albert Einstein et Nathan Rosen  ont baptisé bridge, une espèce de pont qui permet cette liaison rapide. Exemple si le point A et le point B situés sur une pomme sont diamétralement opposés, pour se rendre de A à B il est plus simple de passer par le trou qu’un ver aurait creusé à l’intérieur de la pomme, bien sûr en physique la pomme représente l’univers (n’oubliez point la courbure de l’espace-temps chère à Einstein père de la théorie de la relativité)  et le souterrain créé par le ver d’identifie aux fameux trous noirs dont tout le monde parle sans en avoir jamais vu un… Laissons mathématiciens et physiciens discuter doctement dans leur coin, Thraeds applique cette théorie à leur propre thématique nettement plus métaphysique.  : si le point A représente la vie et le point B la mort, si vous voulez parcourir le chemin qui les sépare plus rapidement achetez-vous un revolver.  Si cette réponse vous apparaît comme trop risquée ou trop radicale voici une autre solution : si vous trouvez un chemin encore plus court, si court que les points A et B se touchent presque, peut-être-mêmes sont-ils si proches  qu’ils sont juste à côté l’un de l’autre et pourquoi n’auraient-ils pas un côté commun, voire aucune séparation qui les différencierait… Et si vous-même cher lecteur étiez déjà en même temps  mort et vivant, voilà de quoi alimenter le fil de la conversation lors de votre prochain

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     petit déjeuner familial… Merci Thraeds ! Story in Reserve : il est une autre façon de lire cet album, non pas le vertige métaphysique d’un individu oscillant entre la vie et la mort, il suffit de comprendre que la mort c’est celle de l’autre, pas de n’importe qui, de l’être aimé. Scénario de secours bien plus romantique ! Mais si l’Un est vivant et l’autre morte, quel étrange paradoxe puisque tous deux sont morts et vivants en mêmes temps, incompréhensible gymnastique positionnelle que d’être séparés dans un même lieu. Et si cette survivance de l’un et cette mort de l’autre n’étaient pas la mort de l’autre mais la mort de l’amour. Comment l’amour peut-il être mort alors qu’il vit encore dans deux êtres séparés qui n’en forment qu’un. Curieux quand on y réfléchit : la physique moderne donnerait-elle raison au mythe de l’Androgyne initial. Etrange embrouille ! Que l’amour meure alors qu’il vit encore ! Le morceau précédent était celui où les contraires s’annulent, un point paradisiaque spirituel ancré dans la science, d’où cette musique rayonnante, mais nous voici revenu dans la vie concrète, dans la chair humaine confrontée à son insuffisance pragmatique, il est une barrière infranchissable entre les choses de l’esprit et l’engoncement strictement existentiel, il suffit de franchir la porte fermée à double-tour dont on possède la clef magique, la musique s’arrête, hésitation ultime, rugissements et apaisements. Définitifs. Dans le Coup de dés de Mallarmé les dés ne sont pas en une suprême hésitation lancés il n’empêche que l’univers salue d’un signe cette possibilité de l’impossible qui n’est que l’autre face de l’impossibilité du possible… ici notre héros refuse de pousser la porte de l’amour, que vous préfériez le Rêve de l’Action à l’Action du Rêve, n’est-ce pas dans les deux cas se confronter à sa propre vie, à sa propre mort… autant dire la mort  de l’Action et la mort du Rêve…

             Attention cet album ne s’écoute pas, il se médite. Vous pensez que vous allez entrer dans un sujet bateau, par exemple l’impermanence de tout ce qui est. Toute chose n’est-elle pas en train de devenir ce qu’elle n’est pas… Encore convient-il de nommer la chose telle qu’elle n’est plus.

             Rock métaphysique. Soyons subtil.

    Damie Chad.

            

     

    *

             Ce n’est pas que je sois particulièrement nationaliste mais ce matin je me suis levé en ayant envie de kroniquer un groupe français. Qui cherche trouve, j’ai découvert la perle rare, un tintouin tordu, un bathyscaphe bizarroïde, un truc qui normalement ne devrait pas exister, ne se présente-t-il pas lui-même comme un groupe de post-metal acoustique. J’avoue que je n’aurais pas dû, mais d’instinct je m’étais entiché d’explorer le catalogue de P.O.G.O Records. Voici quelques mois j’avais jeté mon dévolu sur un objet phoniquement assez redoutable (numéroté : 185) à savoir Ghost : Whale – imaginez le raffut que ferait Moby Dick dans votre bocal à poisson rouge – chez P.O.G.O. vous n’êtes jamais déçu, je n’ai pas eu à farfouiller longtemps, juste la case 184 ! Jugez-en par vous-mêmes !

    LA BÊTE

    DRONTE

    (P.O.G.O. Records  184 / Octobre 2024)

    Z’ont déjà commis deux opus : en premier Quelque part entre la guerre et la lâcheté : magnifique titre, l’on pourrait croire qu’il s’agit d’une description de la situation politique de ces derniers mois mais il est sorti en 2019, suivi en 2023 d’un split avec Thomas Augier intitulé Dés - Astres, titre qui fleure bon Mallarmé.

    Le dronte n’existe pas. Je ne parle pas du groupe mais de ces oiseaux trop gros pour voler, communément appelé dodos sur l’île Maurice qui ont été dévorés par les chiens introduits par le capitalisme colonisateur. Si vous croyez que j’exagère reportez-vous aux titres de l’Ep.

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    Toute une tribu : Benoît Bédrossian : contrebasse / Camille Segouin : vibraphone, percussions / Frédéric Braut : chant, shruti, bâton de pluie / Gregory Tranchant : guitares / Lucas de Geyler : batterie / Nicolas Aubert : guitares. Devaient se sentir seuls puisqu’ils ont demandé la collaboration de Raoul Sinier : clavier. Producteur, musicien, graphiste, écrivain, artiviste, Raoul Sinier mériterait une chronique à lui tout seul.

    Le shruti est un instrument indien bourdonnant, attention certains shrutis se prêtent mieux aux voix féminines et d’autres, carrément masculinistes, aux gosiers virils.

    La couve est de Benoît Bédrossian. Encore un artiviste, dessinateur réalisateur de films et de dessin animés. Nous avons dû rencontrer son nom voici quelques années aux temps heureux de la Comedia à Montreuil puisqu’il a publié dans Kronik, fanzine BD que nous avons kroniké à plusieurs reprises.  Au début l’on n’y voit que du jaune, notez la structure diagonalique de la composition qui répartit  équitablement tout en les séparant la face claire du monde et son  côté obscur. Quant à la bête, être mal dégrossi dont on n’aperçoit que la tête, elle fait sûrement partie de l’espèce la plus dangereuse qui peuple  notre planète. Si vous ne vous êtes pas reconnu c’est que vous êtes un incurable optimiste.

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    Perspective : attention piégeux, un départ coolos et cette voix qui se met à parler, l’on se croirait dans un début de chanson française, et puis c’est insidieux le rythme se met à jazzifier, les voix se croisent, l’on ne comprend pas très bien de quoi ils causent, on se croirait dans un fumoir chez des gens bien, maintenant on lève le pied, le moment où les musicos se la coulent doucereux, z’ouvrent une boîte à sourdine,  du coup tout le monde se tait et l’angoisse fond sur vous, ça djente à mort, font de la parodie metal, c’est au tour de la cavalerie de foncer, galop de générique de film d’aventure, et l’on repart à pas lents et lourds, du coup le mec prend sa voix philosophique de vieux sage, du gars  qui a tout vécu puisqu’il s’est contenté de se complaire en lui-même. N’en déplaise au titre l’on a l’impression que les perspectives sont bouchées, que l’on n’est pas encore sorti de l’auberge. Soyons franc, on se demande si en fait on y est déjà entré. Révolution : ( Feat Raoul Sinier) : quelle est cette note de guitare qui insiste pour se répéter tout en fluctuant sur elle-même, le zigue reprend la parole, quand il se tait l’on peut goûter la beauté de l’accompagnement quand il n’accompagne pas, la plaine est envahie, il vous le répète une vingtaine de fois de plus en plus rapidement, l’on s’attend au pire, c’est le meilleur qui survient, un long passage musical, même sans fermer les yeux vous sentez qu’une engin interplanétaire cherche à se poser sur la terre, évidemment vous pouvez imaginer tout autre scénario, c’est un peu dramatique, et multo intriguant, la musique s’éloigne, le poëte reprend la parole, on l’a échappé belle puisque l’humanité a survécu, auprès de ma blonde qu’il fait bon vivre… Soyons sans crainte : la bête reviendra. Perspective : ne faites pas les malins, vous n’avez rien compris au film, normal c’est juste un disque, alors pour que vous intuitiez mieux, ils vous repassent le premier morceau, à l’identique, enfin presque z’ont coupé la piste du microphone, désormais micraphone, oui c’est juste l’instrumental, ce n’est pas que c’est mieux parce l’on peut apprécier la fluidité de la zique, en fait la musique toute seule nous permet de comprendre que le chanteur, non il ne chantait pas puisqu’il parlait, ne faisait que nous communiquer son angoisse à déblatérer sur son malaise à paraître sur la scène du monde. Révolution : (Feat Raoul Sinier) : donc la reprise instrumentale du deuxième morceau. Bien sûr on déguste la partoche, sans toutes ces bavardages bavassant, mais là n’est pas le problème, vous avez cinq minutes et quelques secondes, pas une de plus, pour résoudre la problématique. Non la perspective ne débouche pas sur la révolution, c’est la révolution qui tourne sur elle-même pour vous renvoyer à votre perspective, vous avez cru accéder au nirvana de l’amour, ben non la bête de l’angoisse est en vous, c’est vous la bête, c’est vous le bête, à peine avez-vous trouvé le bonheur que vous sortez de vous-même afin de mieux vous retrouver en vous-même au cœur de votre angoisse. Terrible incomplétude humaine.

             L’opus est composé de deux miroirs qui se réfléchissent l’un dans l’autre. Bien sûr votre image qui est dans l’un des deux miroirs n’est pas dans l’autre, car cela signifierait que vous auriez atteint à une certaine complétude humaine, mais puisque vous n’y êtes pas c’est que vous n’y êtes pas, vous êtes juste à côté, comme un crottin de cheval sur un chemin vicinal dont la pluie  dissoudra jusqu’au souvenir...

             Cela ressemble à cette littérature fort en vogue dans les années soixante-dix, on n’écrivait pas un livre, on disait que l’on était en train d’écrire un livre. Que le lecteur aurait peut-être le malheur ou le bonheur de tenir un jour entre les mains.

             Curieuse expérience concepto-auditive.

    Damie Chad.

     

    *

             Je reconnais que les deux kronics précédentes peuvent désarçonner la stabilité granitique  des esprits sensés, je m’étais donc juré de présenter un groupe bourré de riffs électriques dévastateurs, j’avais un candidat redoutable sous la main, hélas les Dieux ne l’ont pas voulu. Evidemment je parle des Dieux grecs. Je plaide non coupable car qui pourrait résister à l’appel de Ganymède. Pas moi. Comment vous non ! Quelle folie ! Quelle inconséquence !  C’est votre droit le plus absolu. Par contre je m’interroge sur la nécessité de votre existence sur cette planète.

    Bref encore une embardée musicale hors-norme. Doublement sidérante. Je pensais me trouver face à un groupe grec. Pas du tout. Sont domiciliés à Budapest. Capitale de la Hongrie.

    THE GANYMEDE’S CALLING

    BRONZE AGE VISIONS

    (Bandcamp / 2024)

    Pour les malheureux qui n’auraient pas eu accès à des visions provenant  de l’âge de bronze voici quelques rudiments historiaux. L’âge de Bronze succède à la période néolithique, elle débute au troisième millénaire avant notre ère, se poursuit durant la Proto-histoire et débouche dans l’Histoire. Si le néolithique s’apparente à l’essor de la l’agriculture, si l’Histoire débute par l’invention de l’écriture, l’âge de bronze est celui de l’émergence de la métallurgie, bref une époque tumultueuse et guerrière…

    Ganymède, de sang royal issu de cette lignée qui fondera Troie, fut tout jeune réputé pour sa beauté. Zeus, se métamorphosant en aigle, l’enleva et l’emporta dans les demeures de l’Olympe. Pour remercier son nouvel amant Zeus lui offrit le poste d’échanson des Dieux, chargé de distribuer lors des banquets divins le nectar nécessaire à leur immortalité… Jalouse, Héra somma Zeus de se débarrasser de ce rival insurpassable… Zeus lui conféra l’immortalité en le plaçant dans la voûte céleste. Aujourd’hui il forme la constellation du Verseau. Ce personnage qui partagea le quotidien des Dieux retint l’attention des Grecs, on le retrouve aussi bien chez Homère que chez Platon…

    Kaszas: guitar / A. Marias: bass / B. Bodis : drums / E kaszas-Kosa : vocals.

    La couve représente ce qui doit être un détail d’un tableau de Frans Franken dont le titre serait : La sorcière. Nous sommes loin de Ganymède, mais quand nous ne comprenons pas il faut instinctivement savoir faire confiance et attendre que les visions qui nous semblent floues prennent netteté et consistance.Nous remarquons que l'appel de Ganymède passe par l'intelligence, le livre et le savoir...

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    Come with me : le titre est paru en 2023 sur Bandcamp accompagné d’une couve empruntée à Frans Franken (1581- 1642), le tableau n’est pas représenté en entier, seulement une petite portion sise dans le coin gauche supérieur. Un détail sans importance : un morceau de fenêtre, une applique architecturale, une étagère. Le choix est d’autant plus surprenant que la gravure intitulée La Mort et l’Avare représente notre riche bourgeois endormi et le squelette de la Mort interprétant sur son violon une danse

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    guillerette. Guitare morbide, par bonheur le chant survient, ce n’est pas exactement l’envoûtement de sirènes, mais dans ce bourdonnement riffique nous parlerions plutôt d’un répit salvateur, la voix quoique voilée s’avère douce et mélodique, même lorsqu’elle se change en plainte et que le ronronnement de la guitare reprend sa place, toutefois l’appel indistinct revient pour notre plus grand soulagement, bruit de scie égoïne découpant un cercueil ou un cadavre, l’on ne sait pas mais il faut l’avouer on succombe à la beauté de ce vrombissement d’élytres funéraires. Même si vers la fin on a l’impression de déboucher en un drôle d’endroit. Listen to the Thetis Ocean : beaux accords de guitare, est-ce en l’honneur de Thétys l’ancienne maîtresse des Océans, aussi mère d’Achilles, la batterie exsude le rythme régulier du battement des vagues monotones de la mer, en catimini une guitare aigre rappelle que le sel de la mer est amer, un long solo tortueux étend la monstruosité de ses tentacules de pieuvre, celle que sa propre noirceur efface au regard des hommes, qui n’ont plus droit de cité dans les antres abyssaux qu’éclaire le soleil rayonnant des cymbales. Chalices : une résonnance de conque marine, serait-ce l’adieu définitif des vaisseaux qui ne sont jamais revenus de Troie ou un thrène funéraire en l’honneur d’Achilles mort au combat, ou simplement le regret de ces coupes, de ces calices dans lesquels Ganymède n’a encore versé aucun breuvage revigorant, béance symbolique de l’inhumanité humaine. The Ganymede’s calling : présence du son, le chant mélodieux se glisse sous la guitare tandis que la batterie impavide trace son lourd sillon impavide, ce n’est pas la voix de Ganymède qui appelle mais celle de Io, la douce voix cosmique qui se languit de Zeus, son amant, la guitare se fait lyrique, la voix de Zeus n’apaise-t-elle pas n’importe quelle souffrance, n’importe quel mal, tant pis si la mer se gonfle, le flot impétueux n’emportera-t-il pas sa victime jusqu’en Egypte, terre de rut et d’assomption, l’on entend le mufle de la vache qui mugit de plaisir et se perd en un long râle définitif. Le groupe a joint à ce titre une Official Vidéo dont le déroulement risque de laisser le spectateur dans la plus grande perplexité. Elle semble n’avoir aucun lien avec Ganymède. Les esprits subtils comprendront qu’il s’agit d’une image métaphorique de l’histoire de Zeus bâtie sur le double féminin de notre échanson, Io et Ganymède tous deux amants de Zeus, et si c’étaient eux qui avaient appelé et ravi Zeus par leur seule beauté, la vidéo nous montre deux personnages féminins, affublées du nom de Sorcière, peut-être pour se mettre au diapason des baroques tableaux de Frans Francken, peut-être pour marquer l’évidence d’une relation avec le mouvement féministe actuel qui souvent revendique le pour la femme le titre de sorcière, donc deux femmes l’une en robe indigo et l’autre en robe cramoisi jouée par la même actrice, normal puisque toutes deux incarnent le même personnage, mais chacune des deux à un degré d’initiation désirante différente, l’une plus haut que l’autre, l’indigo qui correspond au noir alchimique et le rouge à la complétude philosophale, je vous laisse non pas regarder mais contempler. Pour ceux qui n’y verraient que du vert naturel, saisissez-vous de la baguette magique des sorcières exhaussé en bâton phallique de grand-papa Freud pour essayer de mettre en place les pièces du puzzle. Other wordly Exhaling : résonnances multiples, les instruments sont fatigués, ils reprennent leur souffle, comme des membres rompus aux plus doux combats qui perdent leur tension et se reposent en leur satisfaction de ce qu’ils viennent de commettre. De connaître aussi. Car il est des actes qui n’ont de sens que s’ils sont pénétrés de leur propre conscience. Repos. Onde berceuse.

             A première vue l’ensemble semble disparate, composé de bric et de broc. Il n’en est rien, il fonctionne par déplacements quasiment poétiques, refusant le verbiage explicite, négligeant les structurations causales.  Des visions de temps anciens et homériques, ayant traversé bien des époques, mais gardant par-delà les représentations culturo-circonstantielles l’actualité primordiale et constitutionelle de notre hominisation.

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              Pour ceux qui veulent en savoir plus Bronze Age Visions a sorti ce 25 août 2025 un EP enregistré en public intitulé … And The Io Too ( Live At Dopamine). A Bucarest.   

    Damie Chad.

     

    *

    Jumpin’ Jack Neal fut le contrebassiste des Blue Caps. Il fit partie des Virginians qui devinrent le groupe de Gene. La carrière américaine de Gene est vite partie à vau l’eau, Capitol ne les a pas pris en main… Peut-être ces amateurs de génie n’étaient-ils guère malléables, en même temps trop jeunes et trop âgés…

             La lecture des propos de Jack Neal n’est guère facile. A l’intérieur d’une même phrase  il change facilement de sujet. Il semble que le montage de la vidéo n’aide pas à s’y retrouver… Quoi qu’il en soit, ce témoignage nous dresse un beau portrait de Gene.

             Il est évident que Jack Neal n’a pas réalisé l’importance de l’aventure qu’il a traversée.

    The Gene Vincent Files #6: Interview with Jack Neal,

    first bass player for Gene and the Blue Caps.

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    Eh bien pour commencer, ils avaient un groupe de studio et ils s’appelaient les Viriginians, et donc nous y sommes allés et tous ceux qui voulaient passer une audition nous les avons accompagnés. Il y avait Dickie, nous : Willie William et Cliff Gallup et moi-même. Je n’ai jamais connu Gene Vincent avant que ce truc maigre n’entre par la porte d’entrée et que je dise que cette maigre brindille devait être Gene Vincent, mais il s’est vite révélé, c’était un bon chanteur, et WCMS l’aimait et c’est comme ça que tout a commencé avec WCMS pour autant que je me souvienne, ils, Gene et le Sheriff Tex Davis, ce dernier  était notre propre manager, ont écrit Be Bop A Lula, donc pour essayer de faire avancer les choses ils ont envoyé la cassette à Capitol Records à Nelson et immédiatement Nelson l’a aimée et donc il a voulu que nous venions l’enregistrer au studio Owen Bradley qui n’existe même plus, et je pense que c’est de là que le bruit a couru que Nelson ne nous voulait pas, ou un truc du même genre, ce n’est pas vrai. Mais pour obtenir ce que Gene voulait faire il nous a mis à part et nous a séparés de Gene, il était comme derrière une porte fermée, mais bien sûr nous pouvions l’entendre, mais c’est comme ça que nous avons enregistré

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    tout ça, c’est-à-dire Race with the Devil, Blue Jean Bop et Up a lazy River. mais avant cela nous avons fait tous nos concerts à Norfolk, nous avons fait le Wilkin Show sur Military Highway, le Old Commodore Theater à Portsmouth, et quel était le nom du Grand dans le Sud, oui le Grand Hotel dans le sud de Norfolk, puis nous sommes allés au  Nags Head Casino. Ensuite nous avons pris la route, nous avons fait le spectacle pour le Perry Como Show. Le groupe était au complet, et quelqu’un vous a-t-il raconté comment cela s’est passé quand nous avons pris la route nous n’étions pas des romanichels.  Nous avions  une Ford, seulement c’était une de ces longues limousines, une sorte de limousine avec un porte-bagages sur le toit, nous avons mis nos affaires sur la galerie, et en avant. Plus tard nous avons changé   le  véhicule contre une Cadillac.  Lorsque nous avons eu  la Cadillac, nous sommes allés de Las Vegas à Nevada.  Je tiens à dire qu’en voiture de chez moi à Las Vegas dans le Nevada c’était alors une véritable aventure mon Dieu ! J’étais vraiment  heureux quand j’en eus terminé avec cette épreuve !  C’est un interminable chemin, nous sommes crevés, l’habitacle sent mauvais, les gars mangent là-dedans et ils font un ramdam du diable, Dickie est devenu fou, Seigneur aie pitié de nous ! il ne voulait même pas s’asseoir sur son siège la plupart du temps, et il est devenu tellement cinglé qu’il a déchiré le fond de son pantalon. Une fois à Los Angeles j’ai cassé le cheviller sur ma basse, ce n’était pas ma basse, elle appartenait à l’endroit où nous jouions et le Sheriff Tex Davis n’aimait pas beaucoup ce genre d’ennui, Gene s’en fichait, eh bien dis-leur

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    comment tu faisais, oh je l’ai juste levée au-dessus de moi et quand je l’ai redescendue et qu’elle a heurté le sol  le cheviller s’est cassé en-dessous, et a brisé l’un des ressorts, les cordes et le chevalet sont tombés en-dessous, et le sheriff Tex Davis n’a pas du tout aimé mais Gene raffolait de cela, il était à fond pour ce genre de truc, mec il devenait totalement dingue chaque fois que nous allions faire un spectacle, il nous disait toujours de ne pas rester immobiles, pour bouger il n’était pas le dernier, il était souvent là, mais la plupart du temps c’était juste parce que l’on aimait la musique. Vous savez il fallait bouger quand on l’aimait. Vous ne pouviez vous empêcher de sauter partout. Gene était quelqu’un de bien, un homme pour qui il était agréable de travailler. Il ne s’est jamais fâché contre l’un de nous. Il était toujours dans le mouve. Il venait toujours nous demander conseil, c’est ainsi que ça se passait. C’était un homme bien. Parfois on pouvait voir qu’il souffrait mais il essayait de ne pas le montrer. Je pense qu’il a assuré. Il m’a toujours bien traité, tout ce genre d’anecdotes que ma femme a racontées, un désastre rapporté dans les livres, j’ai  du mal à croire que c’était ce genre d’homme. Je n'y crois pas, mais c’était un homme bien. N’ai-je pas l’air stupide ! (Jack s’est coiffé d’une casquette bleue) si ça

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    l’est tu peux l’enlever ! Oui, il y avait une raison, ça avait quelque chose avoir avec Eisenhower, ne portait-il pas une caquette bleue ou quelque chose de ce genre. Je ne le crois pas non plus mais ça avait quelque chose à voir avec ce dont tu parles, comme Willie Williams. Eh bien je le pense. Sa femme a été la cause  de son départ. Cliff dès le départ il n’avait pas l’intention de rester. Il était en congé. Eh bien, c’était un guitariste fabuleux. Je peux vous dire que beaucoup de gens ont essayé de l’imiter mais ils n’y sont pas parvenus. Tellement il était bon. Et moi aussi, quand tout, je veux dire quand le fric n’a plus été au rendez-vous je suis parti. Dickie a été le dernier à rester avec lui. Puis il est finalement parti et Gene est parti en Angleterre.

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    J’ai entendu dire qu’il était très populaire là-bas, en fait il était plus populaire là-bas qu’ici.  Pourquoi ? je ne sais pas. Ainsi ils pensent toujours qu’il est Dieu, mais il est devenu célèbre là-bas même une fois mort, il est devenu célèbre depuis le jour de notre départ. Je n’ai jamais eu de ses nouvelles, je ne l’ai jamais contacté. Je pense qu’une fois que tout cela a été fini il est parti en Angleterre, je ne sais pas si Dickie a gardé des contacts avec lui ou non. Je ne pense pas, oui ça m’a surpris qu’après 50 ans des gens comme vous continuent à faire un film sur ce sujet. Après 50 ans, oui ça me surprend, on aurait pu penser que tout cela disparaîtrait au bout de huit ans, mais je ne pense pas que ce sera le cas, peut-être que lorsque j’aurais 90 ans cela continuera encore.

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    Transcription : Damie Chad.

    Notes :

    Jack Neal né en 1930 nous a quittés le 27 septembre 2011.

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    Wilkin Show on Military Highway : peu d’indices sur ce Wilkin Show, par contre voici deux vues de la Military Highway la première de 1954, la seconde prise en 2015 ou 2018.

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    Commodore Theater à Norfolk, ouvert de 1945 à 1975. Aujourd’hui, voir notre photo, transformé en cinéma.

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    The Grand Hotel : sis à Norfolk, plus tard devenu le Continental Hotel. Puis fortement remanié et vendu sous forme d’appartements. La photo a été prise circa 1960.

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    Nags Head Casino, un des haut-lieux de distraction des Outer Banks, situé en Caroline du Nord. La salle de spectacle a reçu dans les années 40 tous les grands noms du jazz. Dans les années cinquante elle s’est ouverte au rock’n’roll, Platters, Fats Domino, Jerry Lee Lewis, Gene Vincent. Dans les années soixante elle s’est ouverte groupes de surf. Le complexe fut détruit en 1970.

    Perry Como Show : Gene participa à cette émission de télévision à New York le 26 juillet 1956.

    A suivre.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 701 : KR'TNT ! 701 : BLACK SABBATH / TÖ YÖ / WILD BILLY CHILDISH / ZEMENT / WHEELS / SNAKES IN THE BOOTS / MISS CALYPSO / THE CORALS / GENE VINCENT+ WANDA JACKSON

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 701

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    05 / 09 / 2025

     

     

    BLACK SABBATH / TÖ YÖ

    WILD BILLY CHILDISH / ZEMENT

    WHEELS / SNAKES IN THE BOOTS

    MISS CALYPSO / THE CORALS 

        GENE VINCENT + WANDA JACKSON

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 701

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    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Sabbath tous les records

    (Part One) 

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             On se doutait bien que l’histoire d’Ozz allait mal finir, mais la nouvelle de son cassage de pipe en bois nous a tout de même surpris. C’est arrivé quelques jours après l’ultime concert de reformation de Sab à Birmingham. Encore une page d’histoire qui se tourne. On va bientôt se retrouver seuls. Ils seront tous partis. Rien n’est pire que de voir partir ses amis et de se retrouver seul.

             On a tous été fans de Sabbath, sans doute parce qu’ils étaient fans des Beatles. Il ne faut jamais perdre ceci de vue : dans les années 60 et 70, les Beatles furent au cœur de la vie de tous les kids anglais : ils ont eu cette chance extraordinaire d’avoir eu comme modèle un groupe parfait. En France, on proposait aux kids un autre genre de modèle : Johnny Hallyday. C’est pas la même chose.  

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             Dans Mojo, Keith Cameron assiste pour nous aux préparatifs de l’ultime concert de Sabbath, prévu le 5 juillet 2025 au stade Villa Park de Birmingham, à côté duquel les quatre Sab ont grandi - We all lived around that Villa ground - Le concert porte le doux nom de ‘Back to the beginning’. L’Ozz a 76 ans. Il ne tient plus debout. Parkinson. Son dernier concert date de 2018. Un Ozzfest à Los Angeles.

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             Puis l’idée d’un concert d’adieu a commencé à germer dans les vieilles cervelles vermoulues des quatre Sab. L’Ozz a donné son accord et il a repris l’entraînement avec son équipe d’assistants : respiration, altères, on imagine le travail. L’obsession de l’Ozz est de dire adieu à tout le monde avec un seul big show. Sharon Osbourne : «Well why don’t we just do one big show and you can thank everybody? So we’ve been working on it for nearly two years. You know, Birmingham has given Ozzy so much, he’s so proud of where he was born. He’s working his little old arse off to get there.»

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             Ça n’a pas été simple de rassembler les quatre Sab originaux, surtout Bill Ward, qui avait quitté le groupe depuis belle lurette. Geez indique qu’Ozz l’a appelé pour lui proposer de «finir là où tout avait commencé», et Geez lui a répondu qu’il était d’accord si Tony et Bill donnaient eux aussi leur accord. Alors l’Ozz appelle Bill et lui propose le deal - I’m gonna do one last time. Do you want to come and play? - Bill accepte, mais Tony Io n’est pas très chaud. Il commence par dire non - To be honest, when it was first mentioned to me, I said no - Tony Io se demande surtout si les quatre Sab sont encore en état de monter sur scène, myself included - We need to be good. We’ve got a good legacy, and I didn’t want to destroy it by everything not being right - Et voilà, c’est the end of the End, comme il dit. Tony Io n’est pas beaucoup plus frais qu’Ozz : il s’est tapé un petit cancer, et fait pas mal d’allers et retours à l’hosto. C’est l’âge. 77 ans, la zone de tous les dangers. On vient de lui retirer un gros truc dans la gorge et crack, il s’est coincé un nerf dans le cou - When you get to our age, things just go wrong - Il craint surtout qu’un des quatre Sab ne se casse la gueule sur scène après deux cuts. C’est le risque qui pend au nez des vieux crabes quand ils montent sur scène à l’âge de 77 ans. Faut savoir ce qu’on veut dans la vie.

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             Geez n’est pas beaucoup plus frais. En 2022, il était trop malade pour grimper sur scène avec l’Ozz et Tony Io. Et comme dit Cameron, «he’s currently working hard on his flexibility». Il a des crampes dans les mains. Il craint que ça ne lui arrive sur scène. Devant les fans, il aurait l’air d’un con avec ses cramps. Quant à Bill, il fait du fitness avec son drum crew. Ils ont tous des crews. Ils ne parlent que de crews. C’est l’apanage des vieilles superstars. Un crew sinon rien ! Bill bosse son leg power pour driver «Sabbath’s massive double bass drum attack.» Vazy Bill, drive ! À son âge, Bill a encore des choses à prouver. Il a lui aussi 77 ans - that’s a whole other world, 77 and playing 26-inch bass drums. One could call it lunacy - Tu l’as dit, Billy !   

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             Justement, Bill donne une grosse interview dans Uncut. Dans son introduction, John Robinson parle d’une «incredible unity of purpose». C’est bien vu. Bill rappelle qu’il a fait une petite crise cardiaque en 2017, et donc, il a dû mettre la pédale douce. Et surtout retrouver la forme, grâce à son crew. Puis il raconte la formation de Sabbath à Birmingham et leurs premiers cuts, «Wicked World» et «Black Sabbath». Ils répètent chez Tony - We wrote it and we played it - Puis ce sont les tournées en Europe, le Star Club d’Hambourg, les putes, le premier album, et patati et patata. Puis Robinson le branche sur les farces de Sab : c’est vrai Bill qu’ils mettaient le feu à ta barbe ? - They were pranks - C’est Tony qui avait le briquet. Bill n’a pas grand-chose à raconter, mais il fait un petit retour sur la pochette de Sabotage. C’est lui qui porte les collants rouges de sa femme sur la pochette. Comme il ne porte rien en dessous, on voit ses balls, alors il demande à l’Ozz de lui prêter son calbut, «which he more than happily did». C’est pourquoi l’Ozz porte une robe.  

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             Luke la main froide n’en finit plus de loucher sur la pochette de Sabotage, «the most psychologically damaged record (just look at the sleeve)». Et il ajoute, emporté par son élan : «Le Midland death trip d’Ozzy culmine en 1975 avec l’album Sabotage qui depuis la pochette jusqu’au contenu est l’un des albums de rock les plus étranges jamais enregistrés. Les paroles sont pour la plupart signées by Brummie shaman Terry ‘Geezer’ Butler.» C’est l’album chouchou des fans de Sab, à cause de cette énormité qu’est «Hole In The Sky», un nouveau modèle de riff anglais sorti du cerveau de Tony Io. Il fabrique du Sab en permanence, et quand l’Ozz ramène son chat perché, ça fait l’identité de Sab, avec en plus derrière les deux cavemen qui allument sec. C’est dans «Symptom Of The Universe» qu’on entend cracher les haut-fourneaux de Birmingham. Dommage que les petits épisodes prog viennent perturber le bel équilibre. Il semble que Tony Io ne gratte que des séquences mythiques, comme ces espagnolades de fin de parcours. Et puis avec «Megalomania», ils se rapprochent du premier album, ils sont si heavy et si présents ! Ils disposent d’une science inégalée en matière de redémarrage en côte et se payent en plus le luxe d’un final épouvantable aux lueurs du génie sabbatique. L’autre hit de Sabotage est le dernier cut de la B, «The Writ», un heavy blues chanté au chat perché d’Ozz, sans doute le perché le plus perçant de tous. Ils ont du panache, le monde entier le sait, on ne fait pas l’impasse sur le Sab, on les connaît par cœur, ces beaux cuts de Sabotage, sans doute les a-t-on trop écoutés. Avec «Am I Going Insane», ils sonnent comme Syd Barrett. Tout est beau et puissant sur cet album. Tony Io fait exploser des bouquets fatals sur «The Thrill Of It All», il soigne ses fins de loup. «Supertzar» est le cut qui a dû impressionner le plus la main froide, car on y entend des voix surgies du passé. On se croirait dans un film d’Eisenstein, c’est exactement la même ampleur catégorielle.

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             Dans sa colonne infernale, Luke la main froide avait raison de se prosterner devant les six premiers Sabbath de la période Vertigo - Without doubt some of the greatest rock’n’roll ever made. These records fucking swing, man - Ils font partie des albums fondateurs de l’empire du rock anglais. Tony Io est l’un des grands guitaristes classiques du rock anglais, il fait partie de ceux qui ont tout inventé. Ah comme on a pu adorer ce Black Sabbath paru en 1970 ! Chaque fois qu’on le réécoute, il fonctionne comme une machine à remonter le temps. Tous les cuts de l’album sonnent comme des classiques, cette belle et étrange musicalité s’installe avec «Behind The Wall Of Sleep». Rien à voir avec l’hard-rock, c’est de l’heavy pop dotée d’une mélodie chant d’une indicible qualité. Le génie riffeur de Tony Io prend forme avec «NIB» et l’Ozz entre dans l’histoire avec son fameux Oh yeah ! Fabuleuse énergie ! Très beaux longings de Tony Io, il est fabuleux d’à-propos. Ils ouvrent leur bal de B avec «Evil Woman Don’t Play Your Games With Me», monté sur un riff classique bien contrebalancé par le bassmatic du Geez. Ces quatre Brummies fabriquent du rock classique, et cette fois c’est le Geez qui vole le show. Ils finissent en beauté avec «Warning» et l’Ozz revient au chant après une longue absence, une si longue absence.  

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             Paranoid paraît la même année. On imagine l’ado Luke dans sa cave, secouant ses petits cheveux blonds au son de «War Pigs». Heavy, baby ! Voilà d’où vient toute cette culture heavy. Ils jouent à la respiration interrompue, c’est un peu emprunté, mais c’est Sab, alors respect. Ils réussissent l’exploit de créer un monde à partir d’un riff, puis ça part en virée seventies. Voici venu le temps des classiques avec «Paranoid» et «Iron Man». Le riff de Parano est tellement classique qu’on dirait du Led Zep. Bravo Tony Io ! Stop to fuck my brain, gueule l’Ozz et pendant ce temps, Geez fait un carnage. «Iron Man» est aussi monté sur un riff classique, et Tony Io le ralentit pour l’alourdir. Tout l’heavy métal vient de là, de l’Iron. Et cette manie qu’ils ont de partir en virée ! En B, on trouve deux autres pièces palpitantes : «Electric Funeral», d’abord, plus tarabiscoté, même si c’est monté sur un riff funéraire du grand Tony Io, un riff d’une portée universelle, c’est dire la grandeur de sa hauteur. Puis voilà «Fairies Wear Boots», un titre qui a dû beaucoup plaire à la main froide, mais ça se présente comme une jam, with no direction home, perdue dans la pampa, avec une succession de thèmes impies, et l’Ozz entre dans l’ass de la danse à l’impromptu, il s’installe dans l’ambiance du power Sab, c’est très fairy witchy, il raconte son histoire d’une voix étrangement perçante.

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             Paru l’année suivante, Master Of Reality a dû mettre la jeune main froide sur la paille. On retrouve notre cher heavy Sab dès «Sweet Leaf». Tony Io joue du gras double, ils sont dans leur élément, c’est saturé d’heavyness ralentie, mais après un moment, ça se barre en vrille prog, et ils reviennent on ne sait comment en mode rouleau compresseur. Le Geez fait vrombir sa basse. Sur toute l’A, le Sab se montre déterminé à vaincre, il fait même du boogie rock anglais avec «Children Of The Grave». Pas d’hit sur cet album, mais une constance sabbatique, comme le montre encore «Lord Of The World», ils restent dans leur formule, pas de surprise, Tony Io se place en embuscade et malgré les apparences, le son reste très linéaire. Ils reviennent au big sound avec «Into The Void». Chez Sab, ce n’est pas le gros popotin, mais le gros patapouf qui a le vent en poupe. Il est tellement gros, le patapouf, qu’il a du mal à respirer... Si on cherche des aventures, il faut aller voir ailleurs. Les kids adorent le gros patapouf de Tony Io.

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             La jeune main froide a dû beaucoup admirer la pochette du Black Sabbath Vol. 4. Quel rocking artwork ! Et hop ça démarre avec du classic Sab monté sur une nouvelle trouvaille Ionique. Pas question de s’énerver, il joue son riff en retenue et miraculeusement, on échappe cette fois au petit développement prog de mi-parcours. Tous les cuts de Sab sont montés sur un riff de Tony Io. Alors pour l’Ozz, c’est du gâtö. Il peut enfourcher son canasson et chanter «Tomorrow’s Dream» au chat perché. Tony Io remplit le son à ras-bord. Il lui donne de l’ampleur. «Changes» pourrait être un balladif de Croz, car c’est assez océanique. Peut-être s’agit-il du meilleur sob de Sab. Pour boucler l’A, Tony Io charge la barque de «Supernaut». Il est l’un des plus gros démolisseurs d’Angleterre et l’Ozz s’élance comme un loup à l’assaut de la caravane, ça joue pour de vrai. Tony Io a plus de son qu’avant, on voit qu’ils enregistrent à Los Angeles. La B se tient bien elle aussi, «Snowblind» reste du classic Sab. L’Ozz ne change rien à sa méthode, il va droit sur son petit chat perché. Tony Io boucle ce valeureux Snowblind à l’embrasée de Birmingham. «Laguna Sunrise» montre qu’ils sont capables de climat lumineux et d’espagnolades, et ce gros mélange de riffing et d’orientalisme qu’est «St Vitus Dance» montre qu’ils adorent danser avec Saint-Guy. Cet album surprenant s’achève avec «Under The Sun», classic package de Sab monté comme un millefeuille, bien bourré de crème au beurre et concassé à tous les instants comme le corps d’un malheureux soumis au supplice de la roue.

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             Paru en 1973, Sabbath Bloody Sabbath n’est pas le meilleur Sab. C’est du classic Sab, bourré de climats, de cocotes et de chat perché. L’Ozz se veut criard, mais il n’est pas toujours juste. Ils amènent l’«A National Acrobat» au heavy Sab, mais ça vire troubled troubadour un peu proggy.  Tony Io a du mal à renouveler le cheptel. Ses compos peinent à jouir. C’est encore dans la délicatesse diaphane qu’il excelle le mieux («Fluff»). Il revient à son pré-carré et à ses vieilles racines de mandragore avec «Sabbra Cadabra», on se croirait sur le premier Sab, tellement c’est bien foutu. C’est même l’hit de ce bloody album. Le «Killing Yourself To Live» qui ouvre le bal de la B semble lui aussi sortir du premier Sab. Merci Tony Io de ce retour aux sources. L’Ozz s’en donne à cœur joie. Ils font de la petite pop bien intentionnée avec «Looking For Today» et pour «Spiral Architect», Tony Io pompe les accords des Who dans Tommy. Cette fois, ils tombent dans le n’importe quoi, et ça finit par devenir trop poli pour être honnête. 

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             Pourquoi diable a-t-on ramassé Paranoid: Black Days With Sabbath & Other Horror Stories chez Smith il y a plus de vingt ans ? Certainement pas à cause de la couve et de ce mélange visuel complètement sabbatique de croix et de seringue (attention, le book est reparu avec une couve encore pire : une cuillère pleine de poudre et une seringue). Certainement pas à cause du nom de l’auteur : on savait que Mick Wall drivait Kerrang!, cet hebdo ou bi-hebdo metal qu’on n’approchait qu’avec des pincettes (c’était le seul canard anglais qui consacrait des pages aux Wildhearts). Et pourtant on a fini par lire ce book de Mick Wall. Et on l’a adoré. Pour deux raisons : Mick Wall écrit comme un cake. Et son book est un fantastique hommage à l’Ozz. Et pour saluer le départ de l’Ozz, on l’a relu, car le souvenir du bon moment était un peu fané et les notes de lecture ne semblaient pas trop fiables. Dans ces cas-là, on relit.

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             Alors attention, ce n’est pas exactement un book sur Sabbath. Mick Wall raconte ses années de junkie et ça démarre comme ça : «J’ai pris la seringue et l’ai plantée right in my arm. Habituellement, on ne pique pas une veine du premier coup, mais cette fois ça a marché. La chance était avec moi et je vis, fasciné, le petite nuage de sang remplir la seringue.» Mick Wall écrit dans un style direct, et comme Nick Kent, il s’est forgé un langage : «We called our works ‘guns’. I slowly squeezed the trigger on mine and waited for the bullet to hit. ‘Go on you slag!’.»  Il donne absolument tous les détails, dans un style à l’emporte-pièce, il traîne son addiction pendant un bon bail puis finit par décrocher pour pouvoir faire ce qui l’intéresse : écrire. C’est donc l’autobio d’un pur écrivain rock. Dans Apathy For The Devil, Nick Kent raconte qu’il est passé par les mêmes travers. Ça faisait semble-t-il partie du jeu.

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             Wall vit en coloc avec un certain Mandy - Like Mandy, I loved heroin. As drugs go, it was the best. Booze, coke, dope, even acid, they were social drugs, party tricks, something you shared with a crowded room. La différence entre le trip à l’acide et le trip on smack était comme celle qui existe entre le dernier blockbuster d’Hollywood et un small art-house movie from Europe. (...) Smack was for the conoisseurs of the anti-social, the solo artists and mavericks who stood for nothing - Et il ajoute ça qui permet de comprendre la suite : «Smack was not a recreational drug, it was a vocation.» Puis il décrit le glissement de l’addiction, car le smack cesse d’être un «personal statement and becomes purely a matter of day-to-day survival.» Ça se passe entre 1979 et 1980, endless junk summer. Il associe le smack au jazz - Willfully perverse, unashamedly self-absorbed, insistently élisist (il met un é), jazz was the perfect junk soundtrack. Like punk and speed, reggae and dope, Hendrix and acid.

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             Mandy prétend que ce n’est pas l’hero qui tue les gens, c’est la télé - Every fix we took was like a big, beautiful fuck-off to the world - Wall et Mandy voient le rite de l’hero comme le summum de l’anticonformisme. Plus loin, il rend hommage à Lou Reed et à «Heroin», «because when the smack begins to flow, it’s true, you really don’t care any more. There was no science to it. It was pure and simple. Smack was just the baddest and the best. Total white-out.» Comme il est écrivain, il peut sortir ça : «Smack was whaterver you wanted it to be.» Les mots n’ont plus d’importance. Il donne aussi pas mal de détails sur la marchandise : «Strickly Iranian brown was our mainman. Après la chute du Shah, by the end of 1980, London was awash with cheap, strong Iranian smack.» Mandy et lui bossent dans le music biz à Londres, et chaque jour, Wall raconte qu’il disparaît un moment dans les gogues pour se faire un fix - One fix at a time - Il va bien sûr se faire repérer et se faire virer. Il donne pas mal d’autres détails, comme par exemple la constipation - Not shitting for weeks on end becomes the norm - Il explique qu’il faut s’accroupir et s’aider soi-même avec les doigts. Mais le pire, c’est l’aspect financier. On vend tout ce qu’on a, même ses disques rares. En une semaine, il a refourgué ses 200 albums collectionnés pendant trois ans. Puis il vend sa machine à écrire, sa montre, ses bagues, son tourne-disques, sa télé, sa radio, et tous ses books.

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    Mick Wall

             Ce qui rend Mick Wall infiniment crédible, c’est bien sûr la qualité de son style. Quand on lui propose une grosse ligne de coke, Wall s’extasie ainsi : «Just go with the flow, baby! Chop ‘em out, Charlie! I was the Jean Genie, letting myself go...», et bien sûr t’entends sonner les accords de Ronno. C’est ça, l’écriture rock, ça sonne. Et quand il n’aime pas quelqu’un, il devient une sorte de Léon Bloy rock. Il évoque le Live Aid et pouf, qui arrive dans son viseur ?, «Geldorf himself. Who would remember Bob now, oher than as the big-headed, mouthy twat from the crappy Boomtown Rats.» Et puisqu’il est en plein dans la daube de Live Aid, il cible U2, «particulary in America, where Bono’s down-on-one-knee histrionics went down a storm.» Quand il devient célèbre grâce à Kerrang!, il ne se rate pas : «I was a cover story writer now, the fattest fat frog in the murky green pond.»

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             Lorsqu’il vit à Los Angeles et qu’il devient riche et célèbre, Mick Wall s’aperçoit qu’il ne bande plus beaucoup, alors il s’en explique très bien : «Il y avait des nuits when I could no longer get it up, que ce soit mentalement ou physiquement. Somewhere along the line, I’d lost a few steps. Pas à cause du smack - pas besoin d’être un junkie pour être fatigué de la chasse. Too much sun and not enough time, that was my excuse.» Et plus loin, il précise : «D’une certaine façon, j’avais de nouveau atteint ce point. Pas à travers l’hero cette fois, mais à travers une drogue plus puissante que le junk. I was high on life, man. And it was slowly killing me. J’ai essayé d’arrêter ça plusieurs fois, mais je n’avais plus d’énergie. À partir d’un certain point, même l’argent n’a plus d’intérêt. Je savais que je ne deviendrais jamais un millionnaire, mais une fois le loyer payé, à quoi peut-on bien penser ?»

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             Ailleurs, il vole dans les plumes des années 80, «the most stupid decade since the ‘50s. Les gens, me semblait-il, étaient prêts à payer pour n’importe quoi, aussi longtemps que c’était bien habillé. And the more stupid, the better. Look at Duran Duran. Look at Bowie and ‘Let’s Dance’. Look at JR and Joan Collins and Margaret Thatcher and Ronald Reagan... What a vulgar, unconvincing bunch of arse-sucking stupidity.» Pourtant, ailleurs, il rend hommage à Bowie qu’il rencontre pour une interview - What a great interview he gave, too - sharp, witty, full of fun, full of stories (...) He was just on it like a motherfucker. He was an interview-killing machine - Wall rappelle qu’«après Ozzy, Ziggy was my mainman. Il venait du futur et j’ai grandi en pensant que Diamond Dogs and David Live were the greatest, most underrated albums of the ‘70s.»

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             En attendant, il rencontre pas mal de gens, dont bien sûr toute la faune de Kerrang!, les Motley Crüe, les Guns N’ Roses et tous ces machins là. Il rencontre aussi David Crosby qui s’apprête à partir au ballon pour 5 piges et qui a le look of the condemned man. Puis Jimmy Page, avec lequel il a un échange intéressant. Wall lui demande pourquoi il est gentil avec lui, alors que tout le monde raconte qu’ils se conduit comme un «complete bastard», et Jimmy lui répond que cette gentillesse «is the other side of the coin. C’est comme la guitare électrique et la guitare acoustique, les gens veulent entendre le bruit le plus fort, alors que d’autres veulent entendre the more gentle acoustic side out. You’ve only ever seen the acoustic side of me.» Wall est tellement impressionné par la classe de Jimmy Page qu’ils vont rester amis. Et bien sûr, Wall va consacrer à Led Zep ce chef-d’œuvre mémorable qu’est When Giants Walked the Earth: A Biography of Led Zeppelin.

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             L’autre géant que Wall salue dans Paranoia est bien sûr Phil Lynott : «Tall as a vampire and dressed from head to foot in black leather, his fingers, wrists anf throat wrapped in a cluter of expansive bejewelled baubles, his dark afro framing his long, sly face like a publicity shot, Philip Lynott played the most convincing rock star I ever met.» Et bien sûr, il le compare à Jimi Hendrix - Maybe Hendrix was the original and the best, but Jimi wasn’t around any more - Quand Wall lui demande pourquoi il porte sa basse si haut, si c’est pour mieux jouer, Phil grommelle : «Naw. It’s so’s da girlies can gedda good look at me bollocks.» Wall rappelle que les punks respectaient Lizzy et que les Pistols se trouvaient backstage aux Lizzy gigs. Un soir, Phil Lynott propose à Mick Wall du Fleetwood Mac. Wall ne pige pas. Alors Phil précise : smack. Ils se font un petit snort ensemble. Et là t’as deux pages absolument magnifiques de rock writing.

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             Autre chapitre déterminant : Dave Brock. Un Dave Brock qui prend l’histoire d’Hawkwind très au sérieux. Voici comment Mick Wall l’épingle : «Alors que certaines pop stars - Phil Collins, say - vous font penser à des chauffeurs de bus, something about the greasy unwashed hair, the stringy beard, the decade-old jeans and rancid-looking fingerless leather gloves always made me think of Dave Brock as a dustman. Chaque fois que je voyais Dave, c’est comme si je le voyais jeter des sacs poubelles à l’arrière d’un big truck.» Mick Wall accompagne Hawkwind en tournée et un matin, au lobby de l’hôtel, histoire de briser la glace, Mick lance à Dave : «The bins are around the back, mate.» - Je m’attendais à le voir rire, ou au moins sourire, mais il me regarda, «his expression as inscrutable as the cosmos his music purported to explore» - La chute ne fit pas attendre. «You’re fired», he said and walked off.

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             On croise aussi des pages extraordinairement captivantes sur les rock critics - À quelques exceptions près, la plupart des journalistes rock que j’ai rencontrés étaient des gens ordinaires et décevants, generally of less-than-average intelligence - Et il ajoute ça qui tue les mouches : «None of them seemed to have much idea of what rock’n’roll might actually be about.» Eh oui, c’est bien ça le problème, même dans la presse anglaise. Il n’en sauve qu’un, Nick Kent - The dark prince. What hadn’t he written, done, been, said, thought, lost, won that wasn’t great? Nothing I could think of. Tall, rakishly handsome in a thin, permanently stoned way, his black raven’s hair cut like Keef’s and streaked with cat-piss yellow, paint-chipped fingernails, badly applied make-up, chandelier earring, the whole bit, Nick Kent was the man who invented the term ‘elegantly wasted’, not just on the page but in real life - Après Bowie, Phil Lynott et Jimmy Page, c’est le quatrième grand hommage du book, juste avant l’Ozz. 

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             L’Ozz, c’est pour ça qu’on est là. Mais encore une fois, ce book n’est pas Ozzé à 100%. Mick Wall brasse assez large, et c’est ce brassage qui à l’époque nous intéressait. Et c’est la raison pour laquelle on a décidé de suivre l’auteur à la trace, même si ensuite, il proposait des monographies, au sens plus strict du terme, mais quelles monographies ! Led Zep, Hendrix, Lou Reed, Lemmy, John Peel, les Doors, des books qui sont devenus, mine de rien, des ouvrages de référence, et dont on a bien sûr causé, soit ici-même (Doors, Lou Reed, Peely, Hendrix), soit dans les Cent Contes Rock (Led Zep). On reviendra plus tard sur son Lemmy et son Sabbath.

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             En 1980, Wall est embauché comme agent de presse de Sabbath et accompagne le groupe en tournée américaine. L’Ozz n’est plus dans le groupe, il s’est fait virer 18 mois plus tôt par Tony Io qui en avait marre de ses ‘antics’. Ils ont embauché Ronnie James Dio pour le remplacer. Wall s’amuse bien avec les Sab qui ne volent pas haut. Voilà ce qu’il dit de Bill Ward : «Dark panda-eyes, hair like a Christmas tree, full alky beard, big beer belly hanging over his spangly rock star belt.» Wall ne sait rien des drogues que prennent les Sab, à cette époque. Ils n’en parlaient jamais ouvertement - I suspected Tony was a coke man - Ils prenaient de tout dans les années 60 et 70, «but by 1980, in the aftermath of Ozzy’s dismissal for being too out of it, anything like that which still went on was kept strickly under wrap.» Ils ne touchaient plus à rien. Mais pour Wall, le Sab a perdu tout son charme - They were the most miserable and difficult bunch of bastards I’d ever had to deal with. Tetchy uncommunicative, grim; Truly Sabbath were an enigma for me - Il les voit comme des middle-aged men qui ont une upside-down cross to bear.

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    Sharon + Ozzy

             Avec l’Ozz, c’est une autre histoire. Mick Wall aura même une relation privilégiée avec lui - J’avais découvert qu’au-delà du masque de sad clown, Ozzy était l’une des très rares rock stars qui disait toujours exactement ce qu’il pensait - L’Ozz se confie à Mick et lui raconte qu’après sa détox d’alcool, il a encore un bar à la maison, «except it’s got no booze in it.» Diet coke. Et ça l’afflige. C’est comme d’avoir une table de billard sans les boules. Puis il reconnaît qu’il n’est ni un grand songwriter ni un grand chanteur - With me, it’s all the orher stuff, the mad fucking stuff - mais l’Ozz n’est pas dupe. Il sait ce que les gens pensent de lui et il fait avec. Il dit aussi qu’il a eu du mal à s’extraire «of that fuckin’ mess with Sabbath». Quand Mick Wall le rencontre, l’Ozz vit dans un seedy, second-string hotel de West Hollywood, «working his way through the ninety thousand dollars the band had given him when they told him to fuck off.» C’est bien que ce soit Mick Wall qui le dise. Dans la foulée, Wall rencontre Sharon qui explique pourquoi elle s’est attachée à l’Ozz : «Ozzy had always bugged me. Because he was lazy, he was insecure and... dumb!»

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             Wall revient sur ses premières amours : «I still loved my old Sabbath albums lile Paranoid and Master Of Reality the way I would always love The Man Who Sold The World and the first New York Dolls album.» Il rappelle aussi que Diary Od A Madman: The Uncensored Memoirs Of Rock’s Greatest Rogue fut son «first little success», comme il dit - Some of the worst writing I ever did was in this book - Il y collectionne en effet les anecdotes : l’Ozz qui pisse sur Alamo, l’Ozz qui trippe à l’acide et qui raconte qu’«il entre dans un pré and started talking to this horse. That was all right. Then the horse started talking back to me and I knew I was in trouble.» Ah la rigolade ! Et Wall de conclure : «The only rock star I could really relate to was Ozzy. Not just because he was funny, but because he was real. He was the only one I’d ever known who really felt his luck.»

             C’est avec cette image qu’on referme une page d’histoire nommé Ozzy Osbourne. Merci Ozz d’avoir enchanté nos adolescences.

    Signé : Cazengler, Black Savate

    Ozzy Osbourne. Disparu le 22 juillet 2025

    Black Sabbath. Black Sabbath. Vertigo 1970

    Black Sabbath. Paranoid. Vertigo 1970

    Black Sabbath. Master Of Reality. Vertigo 1971

    Black Sabbath. Vol 4. Vertigo 1972

    Black Sabbath. Sabbath Bloody Sabbath. Vertigo 1973

    Black Sabbath. Sabotage. Vertigo 1975

    Mick Wall. Paranoid: Black Days With Sabbath & Other Horror Stories. Mainstream 1999

    John Robinson : After forever (Bill Ward gets heavy). Uncut # 340 - July 325

    Keith Cameron : Into The Void? Mojo # 381 - August 2025

     

     

    L’avenir du rock

    - Pas trop Tö, Yö

    (Part Two)

     

             Boule et Bill observent l’avenir du rock du coin de l’œil.

             — On te voit venir, avenir du froc, avec tes Tö Yö...

             — On t’a vu faire tes petites photottes de branleur...

             — Tu vas même nous refourguer l’illusse que t’as déjà utilisée y’a un an !

             — Tu vas encore nous torcher une kro à la mormoille, comme d’hab’ !

             — T’es d’un prévisible qui fout la trouille...

             — Tout le monde s’en branle de tes Tö Yö...

             — À voir ta gueule, on sait qu’t’es en train d’chercher ton titre...

             — Ouais, t’as la gueule d’une poule qu’a trouvé un couteau !

             — Comme on est gentils, on va t’donner un coup de main, avenir du broc !

             — Tö Yö Tä pas cent balles ? Quesse-t’en penses ? Pas mal hein ?

             — Tö Yö ! Tö Yö ! Ferme ta gueule répondit l’écho !

             — Et ça : Thirty Seconds Over Tö Yö !

             — Et pis ça : Tö Yö Yö Stuff !

             — Et ça : Tö Yä Yä Twist !

             — Et pis ça : c’est ton destin, Yö Yö !

             — Et ça : Tö Yö La Tengö !

             — Et pis ça : Tö Tö Yö Lariflette !

             — Et ça : Tö Yö Kö Onö !

             — Et pis ça : Tö Yä Kä faire ci Tö Yä Kä faire ça !

     

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             L’avenir du rock les laisse parler. À l’heure où tu lis ces quelques lignes, ils y sont encore.  Passons aux choses sérieuses.

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             Tö Yö ? Tyva ! Ou plutôt t’y retournes. T’y come back (baby come back). Sont déjà venus dans la cave. En juin, l’an passé. Comme déjà dit, ce fut un set psyché aux frontières de l’exotisme et des japoniaiseries chères à Mallarmé. Sont les quatre mêmes, mais le son n’est plus le même. Tö Yö chevauche désormais un dragon. Et là, amigo, si tu veux voyager dans le cosmos, c’est l’occasion en or. Pas besoin de te schtroumpher, le son te monte droit au cerveau, par vagues, les vagues d’Hokusai, celles qui s’élèvent dans l’éternité graphique d’un artiste visionnaire. Ça prend même parfois la dimension extravagante d’une tempête au Cap Horn, telle qu’on se l’imagine, t’as l’impression que la cave tangue, tellement ces quatre Japonais sont puissants. En fait, c’est ta pauvre cervelle qui tangue, mais t’aime bien l’idée du Cap Horn. Ils reprennent les choses exactement là où Dave Brock les a laissées voici 50 ans avec Space Ritual, et ils vont plus loin, beaucoup plus loin. Ils font ce que des tas de groupes ne savent pas faire : mettre la virtuosité au service du dragon. Car leur

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    son, c’est le dragon. Quand les deux guitaristes grattent leurs gammes avec une infinie délicatesse, le dragon crache des flammes, le dragon crame les colonnes du temple, le dragon embrase ton imaginaire, soudain, la vraie dimension est à portée de main, tu peux toucher le dragon, t’en reviens pas de voir ruisseler cette pluie de feu sonique, t’en reviens pas de voir ces deux guitaristes lever des tempêtes comme d’autres ramassent des betteraves, t’en reviens pas de voir ce batteur fouetter la peau des fesses psychédéliques avec une vélocité criante de swing véracitaire, t’en

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    reviens pas de voir ce bassiste remonter les flots à contre-courant sur sa cinq cordes, barrant des accords en forme de barrage contre le Pacifique, t’en reviens pas de tous ce blasting flash et de toutes ces interactions entre les deux virtuoses, t’as l’impression de voir le rock renaître de ses cendres à chaque instant, t’es sidéré de toute cette affabulation lysergique précipitée dans l’écume d’Hokusai, ces mecs redonnent vie à un genre qu’on croyait éculé par tant d’abus, et du coup, le psyché remonte à la pointe du progrès, plein de vie, gorgé de sens, hallucinant, en avance

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    sur tous les peine-à-jouir, loin devant, t’as pas idée. Rarement un groupe aura autant fasciné la cave, ils n’ont même pas besoin de chanter, le dragon suffit, on attend juste qu’il se manifeste, et on va le voir cracher du feu jusqu’au bout du set. Il fait une chaleur à crever et t’es complètement flabbergasted. Pas d’autre mot possible.

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             Tu ramasses leur nouvel album au merch, Yosuieiho - Tö Yö Live At Shindaita Fever. T’auras pas exactement le dragon sur ce live, mais un simili-dragon, c’est déjà pas mal. Deux longs cuts sur chaque face. Leur «Jam» monte lentement, comme toutes les bonnes jams. Ils se la jouent délicate, en attendant le passage du Cap Horn. C’est très dedicated to the followers of the hollow.   Les Japonais jamment dans la soie, puis ça vire Krakatoa au Cap Horn, et là tu dis quoi ? Tu dis oui, mille fois oui, car ça valse dans les bastingages, le psyché krakatoate à gogo, ça Tö-Yöte dans les tuyaux, t’en as pour ton billet de trente. S’ensuit la très belle tension psyché d’«Untitled #1». Dans leur genre, ce sont des cracks, ils bouffent le psyché tout cru, ça croque de l’électron. Ah comme elles sont belles, ces interactions de poux, nos deux gratteurs s’en donnent à cœur joie, ils génèrent de longues giclées éjaculatoires. Tu veilles, tu penses à tout rien, tu écris des vers de la prose, tu dois trafiquer quelque chose en attendant le jour qui vient, sachant bien que près du passé luisant, demain est incolore. Ils attaquent leur B avec la belle exotica de l’«Untitled #2», un Untitled un brin Kill Bill, doux et floconneux comme la Seine sous le Pont Mirabelle. Puis avec «Li Ma Li», ils s’en vont brasser l’écume des jours à gestes larges, ça bassmatique aux galères, sur un beat lourd et lent, il n’existe rien de plus psyché sur cette terre que cet Untitled, c’est même du psyché limande dont la platitude s’étend à l’infini. Puis, sans prévenir, ça vire thermonucléaire avec une plongée en abysse, t’as le meilleur psyché du coin, ça bouillonne d’énergie avec un beat rebondi qui n’en finit plus de t’uppercuter sous le menton, les spasmes chevauchent les vagues qui percutent les storms de plein fouet. Cette affaire-là va très loin. 

    Signé : Cazengler, Tö Tö l’haricöt.

    Tö Yö. Le Trois Pièces. Rouen (76). 16 juillet 2025

    Tö Yö. Yosuieiho - Tö Yö Live At Shindaita Fever. Not On Label 2025

    Concert Braincrushing

     

     

    Wizards & True Stars

    - Le rock à Billy

    (Part Seven)

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             Après l’épisode Headcoats, Wild Billy Chidish repart de plus belle avec les Buff Medways, c’est-à-dire Johnny Barker et Wolf Howard. Ils virent les casquettes Sherlock et revêtent des uniformes anglais de la guerre de 14. On verra même Wolf porter un casque à pointe, histoire de bien rigoler avec la paraphernalia militaire. Buff Medways, c’est 5 albums, entre 2001 et 2005. Big Billy entre avec Buff Medways dans sa période Who/Hendrix.

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             This Is This est sans le moindre doute le plus hendrixien des albums de Big Billy. «Cross Lines» est une fabuleuse resucée de «Crosstown Traffic». Il recrée littéralement le mythe. Il monte aussi «Don’t Hold Me Back» sur les accords de «Fire». Même fin en soi à coups de let me stand by your fire, et t’as même la plongée en enfer. Ils sont encore en pleine hendrixité des choses avec «Till The End Of Time» et ils font monter plus loin «Don’t Give Up On Love» à l’hendrixienne, les chorus sont du pur jus d’Are You Experienced. Dans «Till It’s Over», tu crois aussi entendre dans les ponts des échos de let me stand by your fire. C’est un son très chargé, Big Billy y case tous les riffs hendrixiens qu’il a pu choper. Et puis rien n’est plus in the face que ce «No Mercy» d’ouverture de bal. C’est du mayhem ultime. Itou pour «This Won’t Change», attaqué au riff de basse sixties, un véritable chef d’œuvre d’attaque frontale. Et dans le morceau titre qui boucle le bouclard, Big Billy réussit l’exploit de sonner comme Richard Hell dans Dim Stars.

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             On sent une nette poussée vers les Who dans Steady The Buffs. Ils reprennent d’ailleurs «Ivor», qui n’est autre qu’Ivor The Engine Driver, qu’on entend via The Ox dans «A Quick One While He’s Away». Alors Big Billy tape en plein dans l’œil de la cocarde, avec des chœurs de folles, de l’énergie foutraque, et le moonisme de Wolf, tout y est ! Summum du genre ! Encore plus Whoish que les Who - You are/ Forgiving - Explosif ! Encore du killer Whoish avec «Strood Lights». Big Billy a fait ça toute sa vie, alors pas de problème. Il tape ensuite le «Misty Water» des Kinks en mode Buzzcocks. Rien ne peut arrêter Big Billy sur le chemin de la grandeur marmoréenne. Son «Well Well» n’est autre que le vieux «Baby Please Don’t Go» et il s’adonne à la suite à l’une de ses spécialités, le super-blast, avec «You Piss Me Off». Et le «Toubled Mind» qui ouvre la balda n’est autre que le vieux «Trouble Times». Il le recycle. C’est de bonne guerre. Il ne rate pas l’occasion de pousser l’un des plus beaux wouahhhhh de l’histoire du rock, histoire d’introduire un killer solo flash d’antho à Toto. Johnny Barker bombarde tout ça de bassmatic impénitent. «Archive From 1959» est purement autobiographique - Started school/ In nineteen/ Sixty five - Punk rock baby ! Et puis «Sally Sensation» va t’en boucher un coin. Les Buff Medways sont alors le plus puissant power-trio britannique.

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             Encore un wild wild wild album des Buff Medways : 1914. Triple hommage aux Who avec «Unable To See The Good» (pas de pire explosivité ! Coup de génie faramineux), «Just 15» (monté sur un bassmatic exubérant) et «Saucy Jack» qui n’est autre qu’«Happy Jack». Avec ça, t’es calé, mais il y a encore de la viande à avaler, comme par exemple ce vieux «All My Feelings Denied» qui date des Headcoats, monté sur une carcasse des Sonics. Big Billy indique qu’«Evidence Against Myself» est recorded live in the front room - The song is about my nature: I find a speck of dirt in my heart and hold it up for all the world to see - Et puis t’as «Nurse Julie» - Nurse Julie/ please talk to me - Complètement dévastateur, avec un killer solo tranché dans le vif, puis dans le riff. Tu tombes plus loin sur «Barbara Wire», un shoot d’heavy British Punk, très Buzzcocks. Avec «You Are All Phoneys», il dénonce tout le bordel - Rock stars/ Are phoneys - Il se paye un killer solo d’étranglement convulsif sur «Caroline». C’est sa grande spécialité. Sur l’encart, Big Billy indique qu’il enregistre avec deux micros - We don’t hide behind volume or celebrity - Et il déclare ceci qui vaut son poids d’or du Rhin : «We are not a rock group, we are not an garage rock group, we just play rock n roll in the tradition of Link Wray, British r’n’b and early punk.» À quoi il ajoute : «We are just happy to be good at what we do, we don’t need celebrity or all that junk. The Buff’s don’t go to parties et ne fréquentent pas les gens qui pourraient nous aider, on ne veut pas que nos chansons soient utilisées pour la publicité de bagnoles inutiles ou de marques de fringues qui font travailler les gosses with no piss break. We’re anti cool and plan to remain nobodies. Go and tell your friends that you’ve heard a real rock n roll group. May all beings be happy.» L’anti-star Big Billy signe ça en 2003.

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             Medway Wheelers est encore plus Whoish que 1914. Le solo d’«A Distant Figure Of Jon» est du pur Pete Townshend, et le bassmatic dévorant du pur John Entwistle. Big Billy attaque «Medway Wheelers» à la pure Whoisherie, c’est complètement enroulé dans «Substitute» et Graham Day te bassmatique ça en profondeur. Ils attaquent «Private View» aux chœurs des Who, c’est réellement explosé de chœurs et de Wolfmania : Wolf bat exactement le même beurre que Moonie. Rrrraplaplapla Rrrataplac ! En fait, Big Billy mélange les Who avec des stances à la Johnny Rotten. Il recycle aussi son vieux «The Man I Am» et l’attaque cette fois au riff proto. Big Billy n’en démord plus. C’est le roi de l’attaque frontale. Avec «Karen With A C», on voit bien que Wolf bat comme Moonie. Rrrraplaplapla Rrrataplac ! Big Billy chante son «22 Weeks» comme un vieux punk qui aurait trop écouté les Who. C’est bien enfoncé du clou ! On entend les accords de «My Generation» dans «Dustbin Mod». Graham Day fait encore des étincelles en B avec «You’re Out The Band Sunshine». On croit entendre la basse des Equals. Il te cloue bien la chouette à la porte du beat. Et puis tu vas te pourlécher les babines de ce «Poundland Poets» monté sur le beat du fondamental «Last White Christmas» des Basement Five. Que peux-tu attendre de plus d’un album de rock ? Rien.  

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             Pas question de faire l’impasse sur The Xfm Sessions. Tu sais pourquoi ? Parce que tu y trouves la seuls version enregistrée du «Fire» de Jimi Hendrix, que Big Billy joua au temps d’avant au Nouveau Casino. C’est l’une des covers définitives de l’histoire des covers, comme si l’élève dépassait le maître, et quel maître ! Cet album live est complètement Whoish, tu y retrouves «Strood Lites» que lance Johnny Barker au big bass drive, t’as aussi une cover d’«ATV», Action!/ Time!/ And vison !, il s’amuse bien le vieux Billy ! Wolf te bat sec le vieux «Troubled Mind», et Graham Day prend la basse pour bombarder «What You Got» et ramener des chœurs Whoish. C’est encore lui qui bassmatique «David Wise» et «Fire». Ce concert au Nouveau Casino fait partie des meilleurs souvenirs de concerts, avec ceux des Who à la fête de l’Huma et des Heartbreakers au Bataclan.

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             Nouvel épisode de la saga childishienne avec les Spartan Dreggs. Big Billy garde Wolf dans l’équipe et s’adjoint les services de Nurse Juju et de l’excellent Neil Palmer, qui du coup prend le lead, chant et guitare. Big Billy passe à la basse. Alors autant le dire tout de suite : les quatre albums des Spartan Dreggs sont un fantastique hommage aux Who. 

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             Sur Forensic R’n’b, t’as 7 cuts qui pourraient figurer sur un album des early Who. Ça commence avec le morceau titre en ouverture de balda. Ça a le mérite d’être clair : en plein dans le full blown Whoish, les Dreggs poussent l’art des Who dans les orties, même les chœurs sont purs. Et derrière, tas le bassmatic de Big Billy qui pétarade comme ce n’est pas permis. Palmer qui baigne les golfes clairs passe un petit solo inverti dans «The Ocean River Runs Around The Edge» et ça repart en mode infiniment Whoish avec «Tower Block» - My baby lives in a crumbling tower block - Neil Palmer est un puissant leader. «The Fishing Tameraire» est le Temeraire des Singing Loins. Ça joue de partout. Neil Palmer is all over. Et ça ré-explose de plus belle avec «Our Strange Power Of Speech», éclatant d’attaque frontale, avec des rosaces de solace, Maximum Forensic R’n’B ! Fais gaffe, la B va t’envoyer au tapis. Boom dès «Intertidal Marshland». Un mec siffle à l’intro comme chez les Dolls et ça part en mode power-blast. Retour aux Who avec «The Charcoal Burners Lament», ils raccordent les cocotes de Ricken avec des solaces étiolées. C’est glorieux. On reste dans l’éclat des Who avec «Scout-A-Boo» et de fantastiques montées aux chœurs. Ils font du rock Quadrophoniaque. «Are You A Wally?» sonne comme un hit de 1965 : Maximum R’n’B au Marquee ! Wolf a l’intelligence du beurre de Moonie, il recrée toutes les dynamiques explosives et Big Billy, via son tugboat bass, recrée le ramdam de The Ox. Alors le tour est joué. 

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             Hélas, Deggradation n’est pas aussi bon que le Forensic R’n’B. Ils sont dans un trip plus héroïque. Don Craine des Downliners Sect signe un petit texte au dos de la pochette, histoire de rappeler l’importance des Tales of the heroic age - From the Iliad to the Irish Mythological Cycle 1 - Le son s’en ressent. Big Billy fait du prog héroïque et ça coince, même si on retrouve le power pur dans «Grimen Mire». Big Billy rentre dans le chou de l’heavy heroic prog. On sauve encore «The Goose Girl» en B, mais pour le reste, ceinture. Palmer chante tout à la surface des golfes pas très clairs, comme dirait Bashung.

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             Histoire de bien brouiller les pistes, Big Billy fout un avion sur la pochette de Coastal Command. Encore quatre hommages aux Who : «A Shropshire Lad» (bardé d’éclats étoilés), «Punk Before Chips» (Punk before chips/ On Radio Six/ We’re the Spartan Dreggs!), «Transcending Utter Deggradation» (en plein dans le mille de la cocarde) et «We’ve Written Our Song (And Done Our Duty)», avec tout le power et les chœurs de lads des Who. Les Spartan Dreggs sont sans doute le groupe le plus entreprenant de Big Billy. Il défonce les annales d’«Eli The Baker» à la basse fuzz. Power incommensurable ! Et en B, t’as le morceau titre qui fracasse le freakbeat, ça claque dans tous les coins, Big Billy n’a jamais été aussi flamboyant !  

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             Dernier spasme des Spartan Dreggs : Archaeopteryx Vs Coelacanth. Album complètement Whoish, et ce dès «The Fen Raft Spider», où Wolf ramène tout le ramdam de Moonie et t’as en prime tout l’éclat des chœurs de lads des Who. Pareil avec «The Drawing Down Of The Blinds», très Who Sell Out, puis «A Romance British Song» et «The Insulted Choir», pure pop de frustration sexuelle et de gros pif boutonneux à la Townshend. C’est délicieusement imparable. Sur «Oak» Nurse Juju fait de belles harmonies vocales par derrière. Cut confus, bien brouillé de la piste. «Cure Of Love» qui est plus Downliners opère un beau retour aux sources. 

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             Il existe un autre album des Spartan Dreggs, Tablets Of Linear B, mais il fallait découper les coupons de deux autres pochettes des Dreggs pour l’avoir, alors laisse tomber.

    Signé : Cazengler, Bluff mais ouais

    Buff Medways.

    This Is This. Vinyl JapanJapan2001                                                                          

    Buff Medways. Steady The Buffs. Transcopic 2002

    Buff Medways. 1914. Transcopic 2002

    Wild Billy Childish & The Buff Medways. Medway Wheelers. Damaged Goods 2005

    Wild Billy Childish & The Buff Medways. The Xfm Sessions. Damaged Goods 2007

    Wild Billy Childish & The Spartan Dreggs. Forensic R’n’b. Damaged Goods 2011

    Wild Billy Childish & The Spartan Dreggs. Deggregation. Damaged Goods 2012 

    Wild Billy Childish & The Spartan Dreggs. Coastal Command. Damaged Goods 2012

    Wild Billy Childish & The Spartan Dreggs. Archaeopteryx Vs Coelacanth. Squoodge Records 2015

     

     

    L’avenir du rock

     - Zement c’est dément

             L’avenir du rock s’est encore fait ramasser par la Gestapo. Ces ordures ont tout essayé sur lui, mais rien n’a marché, ni les coups de barre à mine sur la bite, ni l’arrachage des ongles à la pince becro, ni le rat lâché dans sa culotte, ni les pieds plongés dans la friteuse, ni l’accrochage au plafond par les oreilles, ni l’obligation de manger le caca de l’Oberführer avec du ketchup, rien ! On ne parle même pas de la baignoire, du chalumeau ou des prélèvements de peau au scalpel, soi-disant pour lui fabriquer un abat-jour en souvenir. Chaque fois qu’on lui demande s’il connaît le chef de la Résistance, l’avenir du rock dit non, alors l’Oberführer lui dit qu’il ment, et comme l’avenir du rock déteste se faire traiter de menteur, il glapit :

             — Zement pas !

             Alors les brutes redoublent d’ingéniosité. Ils lui tatouent des croix gammées sur le front, ils le marquent au fer rouge sur les joues, ils lui greffent des boulons rouillés sous la peau.

             — Zement pas !

             Ça finit par les écœurer. Si vous souhaitez écœurer des bourreaux, suivez la recette de l’avenir du rock :

             — Zement pas !

             Ils finiront par en avoir marre avant vous.

             Ils essayent une dernière fois. Ils font venir un taureau pour sodomiser l’avenir du rock, puis ils l’enferment à poil dans un congélateur pendant une nuit entière et le réveillent en lui balançant l’huile bouillante de la friteuse dans la gueule, puis ils lui cousent une fermeture éclair sur la bouche pour qu’il la ferme quand il dit «Zement pas», puis ils tentent de lui greffer des nibards pour faire honte à sa masculinité, mais rien n’y fait.

             — Zement pas ! 

     

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             Tout le monde l’a bien compris : l’avenir du rock est prêt à faire n’importe quoi pour assurer la postérité d’un groupe dément comme Zement.

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             C’est une soirée à la cave qui va te remonter le moral, après le désastre binicole : Zement, en première partie des petites coquines argentines de Fin Del Mundo. Nous les saluerons un peu plus tard. En attendant, parlons un peu de Zement : des Kraut allemands, deux Johnny casquettes et un gros bassiste qui joue très peu. Celui qui gratte ses poux derrière un immense synthé germanique s’appelle Philipp, et comme on dit, l’habit ne fait pas le moine. Quand il arrive sur scène derrière son gros synthé et sous sa casquette, tu ne lui accordes pas la moindre chance. Tu te dis chouette, on va aller siffler une jupi vite fait au bar. Te voilà pris une fois encore en flagrant délit d’apriorisme, car Philipp est un crack : (long) cut après (long) cut, il réinvente un

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    genre qu’on prend difficilement au sérieux, le kraut de bic, sauf quand c’est Can the Can. Quand il est bien joué, le kraut de bic peut te monter au cerveau, et dans le cas de Zement, c’est exactement ce qui se passe. C’est le genre musical le plus insidieux de tous. Tu ne te méfies pas et soudain te voilà baisé. C’est exactement la même chose lorsque tu traînes avec une nympho : tu ne fais pas gaffe et soudain, tu t’aperçois qu’elle a mis la main dans ta culotte. Et il est trop tard. Zement t’engloutit, Zement te laboure, Zement t’assimile, Zement t’éclate au Sénégal, Zement te colonise, Zement t’asservit, Zement t’embarque pour un aller simple, Zement crée son monde, ce mec Philipp devient a hero just for one day, il gratte des poux qui prennent feu, il tellurique ta mère, il fait des grimaces d’un hérétique qu’on charcute au tison, et à sa droite, son pote Christian Budel bat une sorte de beurre de jazz somptueusement désarticulé, qui prend une tournure hallucinante lorsque Philipp embouche un sax pour Coltraner son kraut de bic, et franchement, tu te demandes vraiment ce que font ces deux superstars, ici, au fond d’une cave, en plein mois d’août. Ce qui t’affole le plus, c’est de voir que très peu de gens profitent de tout ce talent. On doit être une

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    petite vingtaine d’happy few, alors que t’avais des milliers de personnes qui assistaient à l’étalage de la daube binicole. Par ici, on appelle ça le monde à l’envers. C’est la même chose que de faire passer Kim Salmon AVANT Cash Savage, au Petit Bain. On vit aujourd’hui dans ce monde. Le plus difficile est de s’habituer à cette idée du monde à l’envers. Pour certains, ça ne sera pas possible.

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             En attendant, écoutons le Passenger que Philipp était tellement fier de vendre l’autre soir. Une fois passé le cap des deux premiers cuts, t’arrives au paradis de Philipp : «Making A Living» sonne comme de l’exotica germanique, ça monte doucement en pression hypnotique. L’hypno, ça marche toujours. Philipp est un fieffé musicologue, il ramène du sax sans sa soupe. Il exhorte au take off dans «Journeys To A Beautiful Nowhere». C’est vraiment très insistant, il gratte ses poux derrière ses machines, il installe un Wall of Sound derrière les spoutnicks. Puis il se fâche avec «Back To My Looping Cave». Il gratte les poux du diable et là ça devint sérieux, il se révèle tel qu’on l’a vu sur scène, un vrai killer, il en fait des kilos et bascule dans l’hyper violence, avec toute la dynamique du back to/ My looping cave, et ses poux prennent feu. Là ça devient extrêmement sérieux, Philipp fout le feu au Kraut, ça prend une tournure apocalyptique, l’effarant Christian Budel pulse tout ça au beat hypnotique. C’est avec «The Night We Saw The Holy Ghost» qu’il sort le sax d’Ornette et derrière, Christian bat le beat désarticulé avec la classe d’un squelette des catacombes. C’est du free à la dérive astrale. Diable, comme ce mec est brillant, il lance sa machine et fait haleter le sax, il a tout compris. Ça respire intensément, en free form, il se laisse complètement aller et t’as le vrai truc, au-delà du kraut de bic et des étiquettes à la mormoille. Il monte son free form en neige et comme Ornette, il te drive ça dans la nuit.

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             Intrigué au plus haut point, tu fous le grappin sur l’album précédent, Rohstoff, paru en 2021. C’est un pur album d’hypno. Mise en bouche avec «Goa», Christian Budel te bat ça dru, alors Philipp développe sa petite ambiance ambivalente. Le Goa s’accroche à toi comme un gros cancrelat hypnotique. T’as un beau drive de basse sur le «Soil» qui suit. Wow, ça zoue chez Zement, Philipp agrémente son hypno d’ambiances synthétiques extrêmement persuasives. Tout se tient sur Rohstoff, «Seine» aussi. Tout s’aboutit en toute logique, l’hypno t’obsède, tout s’absout, tout s’étire, tout s’admet, tout s’y met, tout s’omet et tout s’amène. Ils font du bon Can dira-t-on avec «Entzucken». Même power hypno, c’est subtil et bien pensé. Il ne se passe rien en surface, tout se trame dans l’attitude de la latitude, pas facile à expliquer. C’est du big bersek. Philipp sait monter son hypno en neige. Il regagne la sortie avec «Atem», une belle petite cavalcade. Tout est bien sérié, bien calibré, bien en avant toutes, tout est soigneusement délibéré, bien à dada sur le bidet, bien sanglé de frais, libre de toute contrainte, enclin à l’enclume. La claquemure est totale.

    Signé : Cazengler, Zement comme un arracheur de dents

    Zement. Le Trois Pièces. Rouen (76). 5 août 2025

    Zement. Rohstoff. Crazysane Records 2021

    Zement. Passengen. Crazysane Records 2025   

    Concert Braincrushing

     

    Inside the goldmine

     - Wheels on fire

             Will était ce qu’on appelle un surexcité. Et quand on a dit ça, on n’a rien dit. Il semblait écumer en parlant. De grosses veines saillaient dans son cou. Il répétait plusieurs fois la même phrase, et souvent, il claquait la table du plat de la main pour appuyer le dernier mot, avant de repartir dans une autre diatribe. Il avait les manies d’un speed-freak, mais ces sautes d’humeur répétitives semblaient naturelles, chez lui. Il avait ce qu’on appelait autrefois un tempérament sanguin, mais avec quelque chose de profondément malsain en plus. Tu te demandais parfois s’il n’allait pas te frapper. Ses mains volaient en permanence et il te fixait d’un regard noir. Comme tu fréquentais sa belle-sœur, il indiquait d’un ton menaçant à peine voilé qu’il valait mieux «que ça se passe bien avec elle», t’avais presque envie de rigoler, mais en même temps, tu sentais qu’il valait mieux éviter, car il était tellement imprévisible qu’il pouvait mal le prendre. Pour bien compliquer les choses, il avait pris la fâcheuse habitude de se pointer en pleine nuit. Quand on entendait tambouriner à la porte, on savait que c’était lui. Il savait qu’on était là car il avait vu la bagnole en bas. Il entrait, allait directement dans la cuisine chercher des bières et s’installait dans le canapé. Tu savais que tu n’allais pas pouvoir retourner te coucher. Il valait mieux essayer de prendre les choses du bon côté et faire semblant de s’intéresser à ses vitupérations intempestives. Et pour corser l’affaire, il guettait le moindre signe de malaise chez les autres, histoire de balancer un truc du genre : «Vazy, dis-le si ma gueule te revient pas !», ce qu’il fallait bien sûr éviter, car l’agressivité montait d’un cran et on le voyait serrer les poings, ce qui n’était pas bon signe. Il ne cherchait qu’une chose, en réalité : un prétexte pour frapper les gens qu’il n’aimait pas. Et à part lui-même, il n’aimait personne.

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             Avoir Will dans ton salon peut poser un problème. C’est tout le contraire avec Wheels. Will et Wheels n’ont qu’un seul point commun : l’art de créer de la tension, mais pour le reste, c’est le jour et la nuit : on accueille Wheels à bras ouvert, alors qu’on pousse un soupir de soulagement lorsque Will quitte les lieux.

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             Si tu veux écouter les Wheels, le mieux est de rapatrier la compile Big Beat sortie en 2012, Road Block. L’album fait partie des passages obligés, c’est-à-dire des albums indispensables, si tu en pinces pour le raw. Au dos du Big Beat, Grant Forbes amène quelques infos datées de 1966 (?) sur les Wheels. Il rappelle que le groupe vient du même endroit que les Them, Belfast. Puis ils sont allés s’installer à Bristol pour tourner dans le Nord de l’Angleterre. Les Wheels doivent leur réputation sulfureuse à Rod Demick et à sa «fantastic blues voice». Le mec au crâne rasé sur la pochette est l’organiste Brian Rossi, qui voulait se distinguer des «hordes of would-be

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    long-hairs». Les Wheels signent sur Columbia et sortent un premier single qui est une cover de «Gloria». C’est dirons-nous la cover des Athéniens qui s’atteignirent. Ils sont en plein dedans ! Leur deuxième single sera «Road Block» qui donne son titre au Big Beat. Tu y retrouves la tension des Them et le big bass sound, c’est du hot as hell. De l’autre côté de ce deuxième single, t’as «Bad Little Woman», un chef-

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    d’œuvre protozozo inspiré par la transe de Gloria. C’est de la pure folie d’its alriiiiite. Forbes indique que le single circula aux États-Unis et qu’il tomba dans les pattes des Shadows Of Knight qui s’empressèrent de le reprendre sur Back Door

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    Men. Et pour leur troisième et dernier single, les Wheels tapent une cover du «Kicks» signé Mann & Weil et popularisé par Paul Revere & The Raiders. Bizarrement, les Wheels en font un version poppy popette. Sur le Big Beat, tu croises une autre horreur, l’«Im Leaving» d’Hooky, et ça retombe en plein dans les Them, le Rod y va au that’s my home !, avec un final en mode Them apocalyptique, c’est du pur proto-punk digne de «Crawdaddy Simone». Déterré aussi, voilà «Send Me Your Pillow» un shoot de British beat chauffé à coups d’harp. Ce Big Beat est un vrai must ! On y croise aussi une mouture poppy du «Call My Name» de James Royal. Quatre bombes, c’est déjà pas mal pour un Big Beat.  

    Signé : Cazengler, Vil

    Wheels. Road Block. Big Beat Records 2012

     

    *

    Je ne pouvais pas rater ce concert. Jusqu’à ce que n’apparaisse son affiche j’ignorais jusqu’à l’existence de ce groupe, mais son seul nom raviva en moi un souvenir frémissant de lecture, une scène sise en Le Spectre aux balles d’Or, la suite de La Mine de l’Allemand Perdu, le douzième épisode des aventures du Lieutenant Blueberry, un scénario qui aurait été inspiré à Jean-Michel Charlier et Jean Giraud par le film L’or de MacKenna, un beau western (1969), je vous recommande la version française (Part 1 & Part 2) du générique, chantée par Johnny Hallyday, l’un de ses meilleurs titres.  Autre source d’inspiration  Les Chasseurs de Loups et Les Chasseurs  d’or de James Oliver Curwood. Tant que l’on cause de Curwood, allez faire aussi un tour sur son chef d’œuvre : Le Piège d’Or.

    Je vous résume succinctement la scène : un crotale criminellement introduit au fond d’une botte… Vous ne vous étonnerez donc pas si le groupe se nomme :

    SNAKES IN THE BOOTS

    3B

    (Troyes - 08 / 08 / 2025)

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    Sont trois, placidement alignés au fond du bar, z’ont de l’espace, vu la chaleur quasi-caniculaire l’on se dit qu’ils ont de la chance, un de plus z’auraient été serrés comme dans une cocote minute. En fait c’est nous qui avons eu de la veine, un vrai filon d’or, mais comme ils n’avaient pas encore joué une note, on ne le savait pas. Guitare, rythmique, contrebasse. Chanteur ? Vous voulez rire. D’abord ils n’en ont pas besoin. Ensuite tout le monde sait que le rockabilly ne se chante pas. Ne commettez pas un raisonnement stupide, non ce n’est pas un groupe instrumental. Le rockabilly a juste besoin d’un interprète. Ils en ont un. S’appelle Thibaud Lefaix. En trois titres l’a mis les pendules du rockab à l’heure. L’on en a oublié que ses doigts couraient sur la rythmique. Idem pour ses deux acolytes qui le flanquaient, un sur sa droite, un sur sa gauche. Ne vous inquiétez pas, ils s’occuperont de nous tout à l’heure.

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    Le rockabilly man ne cherche pas à chanter, tout réside en la parfaite adéquation entre la voix et la volonté de cette voix qui ne s’enkyste  pas  dans la recherche stérilement abusive de  la note juste – ce qui ne veut pas dire que l’on se doit de rechercher la fausse.  Il s’agit de mimer non pas le sens des paroles mais de maintenir l’intention explosive de l’exposition du récit de ce qui est en train de fondre sur l’auditeur. Lefay ne chante pas, il monte, il descend, il dégringole, il tranche, il rassure, il entre en transe, il clapote, il serpente, il minaude, il gronde, il galope, il stoppe, il winchesterise, ii rebelote, il séminole, il vérolise, il bêle, il blatère, il baraque, bien plus encore, et tout cela chrono en main en deux minutes. Vous avez reçu entre les deux oreilles, un film d’action trépidant, un dessin animé déjanté, mais maintenant c’est fini. N’en demandez pas plus. D’ailleurs le groupe ne vous fait pas le coup de faire briller l’enjoliveur de la malle arrière. C’est fini, alors ils arrêtent de jouer. Vous surprennent à tous les coups. En moins d’une seconde l’instrumentation se met en grève. Plus rien. C’est ça le rockabilly, le petit Chaperon rouge n’a pas le temps de se promener, le méchant loup sort du bois et la croque illico sur un tapis de coquelicots. Pas le temps de vous remettre de vos émotions ou de pleurnicher, c’est Barbe Bleue qui prend la suite et trucide sa septième épouse d’un coup de poignard intrusif et définitif.

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    A la fin du deuxième morceau, l’on demande à Stéphane Ferlay de monter le son de sa double bass. On n’aurait pas dû, fairplay il s’exécute. C’était introduire le renard dans le poulailler, l’a maintenant a quadruplex bass entre les pognes. Quel boxeur ! Quel swingueur ! Quel tapageur ! Stéphane il ne picore pas, il chicore. Ouragan sur le Caine non-stop !  Les hordes d’Attila sont lâchées, là où elles passent les poils de vos oreilles ne repoussent pas, mais quel régal ! A lui tout seul il est les Percussions de Strasbourg. Il doit confondre les cordes de son instrument de douce torture avec celles qui délimitent les rings de boxe. Il tonne, attention il n’en fait pas des tonnes, il ne joue jamais au matou-vu perché sur le toit de l’église en feu, l’est tout comme Zeus tout en haut de l’Olympe, il domine le monde. Silence, le morceau est terminé. Oui mais lui il n’a pas fini. Non il ne touche plus à sa contrebasse. Celle qui tabasse. Alors il vous achève, de deux mots qui tuent. De rire. La réflexion qui flexionne vos zigomatiques. Un pince-sans-rire qui ne le vous fait pas dire. Géant débonnaire désopilant.

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    ( Photos : Régis Laine)

    Suite aux propos précédents, il semblerait que Mathieu  Clairvoy en soit réduit à la portion congrue. Pourtant l’on n’entend que lui. Et sa guitare d’or. Une midasienne, tout ce qu’elle touche elle le transforme en or sonore le plus pur. Pas le gars qui tire la couverture à lui. Toutefois il ne se passe pas deux secondes sans qu’il n’intervienne. Avec un tel à propos que ça ressemble à une intervention d’urgence. D’orgence devrais-je dire si vous acceptez ce  très mauvais jeu de mot. Je passerai sous silence ces soli au maximum de quinze secondes. Comment peut-il bouter le feu à la forêt hercynienne de nos sensations en si peu de temps ! C’est la stricte loi du rockab. Ou vous vous y pliez ou vous adoptez un autre style de musique. L’a un truc en plus. Les fioritures irremplaçables, la chantilly  à l’arsenic sur la glace aux marrons, ou la bouteille de champagne emplie de nitroglycérine pour baptiser le destroyer, l’a les doigts qui patinent dans le platine et les tubulures du cerveau qui carburent aux hydrocarbures de l’inventivité la plus pure, le mec vous fait pousser à la queue-leu-leu  des bao(rock)abs soniques dans votre ouïe, des clinquances fabuleuses, des ronronnements de dinosaure, des feulements de tigre mangeur d’hommes, méfiez-vous vous appartenez à cette triste espèce de bipèdes en voie de disparition, un styliste, pas de brouillon, aucune rature, en plus il vous sert la pâture sans esbrouffe, sans esclandre, à croire qu’il ne s’est pas aperçu de l’uppercut qu’il vient d’envoyer au public.

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    Trois sets. Le premier vous n’avez jamais entendu cela de votre vivant. Ou alors c’est que vous avez une belle collection sur vos étagères, du Johnny Burnette, du Don Woody, du Carl Perkins, du Sony Fischer, du Buddy Holly, pas du revival à la Stray Cats, pas à la revisitation Cramps, proximité authentique, mais rien de mortifère, d’académique, de naphtalinaire, ils ont saisi l’esprit et la racine, n’érigent pas de mausolée, insufflent de la vie, de l’entrain, de la joie, l’on sent qu’ils aiment ça, ne jouent pas au papier calque, ni du papier calcre. Pas de triche. Fontaine de jouvence.

    Deuxième set un peu similaire au premier, cependant une imperceptible différence, mais c’est en écoutant le troisième que l’on comprendra ce qu’il préfigurait. Poétiquement parlant, sont passés de l’octosyllabe à l’alexandrin.  N’ont pas chevillé des rallonges à la tablature, mais les résultantes harmoniques sont différentes. En mentant un max l’on dirait : ce fut un set instrumental. Bien sûr il n’en fut rien, du rockabilly sans voix c’est comme un baiser sans noire moustache et même plus grave sans Cadillac rouge. Simplement z’ont laissé les aller les abrupts chemins de traverse du rockab dans quelques sinuosités instrumentales, rien à voir avec les longueurs d’une symphonie, simplement laisser couler le flot torrentiel sur son aire pour jouir de la vitesse pure de son impétuosité natale.

    Bref une soirée d’autant plus inoubliable que les connaisseurs étaient nombreux dans le public. Béatrice la patronne sait choisir les serpents les plus sauvages. Faut avoir déjà été mordu pour apprécier les morsures à leur  démesure.

    Viennent de Bretagne. Géographiquement le renseignement est bon. Mais z’ont dû être transfusés avec de l’ADN des Appalaches.

    SNAKES IN THE BOOTS

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    Brown Eyed Handsome Man : c’est par ce morceau de Chuck Berry qu’ils ont débuté leur show au 3B, n’avaient pas le piano de Johnnie Johnson, alors ils ont plutôt regardé du côté de Buddy Holly et son magistral saupoudrage de guitare, oui les pionniers c’est bien bon, mais faut parfois les booster pour les adopter à notre époque trépidante qui fonce vers sa propre autodestruction. Alors ils vous envoient un missile qui se dirige vers vous et vous fait exploser le palpitant. Devaient avoir un rendez-vous après la séance studio car ils sont pressés. Rien de mieux qu’une bonne baffée de gifles pour vous réveiller et vous avertir que vous n’avez pas vu passer le premier titre de cet EP dévastateur. You’re Barking Up The Wrong Tree : l’existe une compilation de Don Woody chez Bear Family, le titre est sorti en sorti en 1957, oui mais depuis les chiens aboient plus fort : si vous mettez en doute mes assertions éthologiques sur le comportement animal écoutez ce morceau, une espèce de piétinements de mille loups affamés qui foncent sur vous, et le meneur de la horde qui aboie à la lune qu’ils viennent de croquer. How come it : sur ce titre George Jones tangue salement comme un navire que l’océan submerge, nos serpents quittent leurs bottes et jouent au Léviathan, détruisent tout sur leur passage, ‘’hystérie collective incompréhensible toutefois fortement répréhensible dans un studio’’ a dû noter le commissaire alerté par les voisins sur son rapport. Red Ants in my Pants : Un original, apparemment des reptiles dans leurs pantoufles ne leur suffisaient pas, nous racontent un beau bobard qu’ils auraient des fourmis rouges (turgescentes ?) dans leur pantalon, perso aux bruits juteux (néanmoins délicieux) qu’ils émettent j’opterais pour un troupeau de brontosaures dans leurs salles de bain. Wild Wild Lover : un bel hommage à Benny Joy rockabillyman hyper doué, qui aurait pu, qui aurait dû… Dernière malchance, la camarde peu camarade ne lui a pas permis de profiter de la reconnaissance qui a pointé son nez à l’aube des années 80 : les Snakes en font une version torride, mais l’aspect gloomy de l’original aura votre préférence.

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             Un EP sauvage. Abattez sans sommation toute personne qui s’approchera de votre exemplaire à moins de douze mètres. Il est des plaisirs égoïstes qui ne se partagent pas.

    Damie Chad.

    P.S. : les deux derniers titres sont aussi disponibles sur le 45 t Snakes In The Boots sur Spare Time Records (FRS 011)sorti en mai 2023.

     

    *

             La vie de Maya Angelou (1928 – 2014) est un long fleuve torrentueux. Elle en décrit le parcours dans son autobiographie de sept volumes. Elle fut une activiste, une militante pour les droits civiques, sa vie mouvementée croisa celle de Malcolm X, de Luther King, de James Baldwin… des noms que nous avons déjà rencontrés à plusieurs reprises dans nos livraisons.

             Née pauvre et noire elle connut misère et petits boulots, prête à saisir toutes les occasions pour survivre. Notamment entraîneuse, danseuse et, détail qui nous intéresse particulièrement, chanteuse. Dans cette chronique nous nous pencherons sur le tome de son autobiographie qui conte cette période de son existence mais aussi sur les circonstances qui conduisirent plus tard au seul album musical qu’elle ait enregistré.

    CHANTER, SWINGUER, FAIRE LA BRINGUE

    COMME A NOËL

    MAYA ANGELOU

    (Noir sur Blanc Editions / 2024)

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             Le titre est attirant, avis aux amateurs de livres grivois il ne correspond ni aux saturnales, ni aux bacchanales qu’il semble nous promettre. Les amateurs de rock’n’roll se jetteront sur le QR code final ajouté par l’éditeur qui vous renvoie à une centaine de titres cités dans le bouquin, je ne cite que deux noms Wynonie Harris, John Lee Hooker, beaucoup de jazz aussi…

             Au début du livre Maya se voit proposé du travail par la patronne d’un magasin de disques. Bien sûr, défile toute une série d’albums que vous aimeriez posséder, mais là n’est pas la problématique. Elle est noire et son employeuse blanche. Qui fait preuve d’une attitude très déstabilisante. Tout dans ses actes démontre qu’elle est indifférente à la couleur de peau des clients et de sa vendeuse. Elle ne s’intéresse qu’aux individus. Voilà de quoi déconcerter une très jeune fille noire déjà mère d’un enfant.

             Toute la problématique des noirs américains, nous sommes à l’orée des années cinquante, vous saute à la figure.  Aujourd’hui nous dirions que les noirs se sentent racisés, ce qui ne veut rien dire car si les noirs sont racisés les blancs par simple contre-coup le sont aussi. Angelou se contente de décrire les stratégies des noirs vis-à-vis des blancs. Le passif de l’esclavage, OK ! Le poids de la ségrégation OK ! Mais malgré la lourdeur de l'handicap, les noirs subissent la dominance sociale des blancs mais en compensation ils exercent à l’encontre de leur monde clôturé une  indifférence totale. L’apartheid du pauvre en quelque sorte.

             Maya Angelou possède sa base-arrière de résistance mentale. Sa famille sa grand-mère, et sa mère qui lui ont transmis les rudiments d’une bonne conduite : l’on ne rencontre pas de problème dans son existence, si quelque chose vous pose problème, le problème c’est vous. Qui ne savez pas vous en dépatouiller.  En d’autres termes plus cruellement réalistes : affrontez les difficultés sans vous plaindre ou pleurnicher. Corollaire de ce conseil : Nécessité fait loi.

             Maya Angelou rêve d’un amant, mais aussi d’un mari. Elle en trouve un. Parmi la clientèle. Un blanc. Non, un grec. Sachez faire la différence. Un homme sérieux, qui travaille, qui s’occupe de son gosse qui bientôt l’appelle papa. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Pas tout à fait. Elle finit par s’ennuyer dans son rôle de mère au foyer. Elle cherche un réconfort. Elle finit par le trouver. Non, pas un amant, Dieu en personne. Elle commence par fréquenter en cachette les diverses paroisses de son quartier. Une guerre idéologique couve dans le couple. Notre grec est athée. Pour elle retourner à l’Eglise, c’est retrouver une collectivité, du bruit, de la musique, du chant… mais surtout réintégrer l’ossature de la rédemption spirituelle du peuple noir. Les esclaves se sont assimilés au peuple hébreu de la Bible, prisonniers du pharaon ils n’ont pu traverser les aléas historiques que grâce à une fidélité exemplaire, à leur Dieu… Ce retour à la religion est d’autant plus curieux et symptomatique que Maya nous fait part de ses doutes quant à cette étrange mansuétude divine qui permet l’oppression de son peuple aimé…

             Une fois séparée de son mari la cellule familiale récupère le gamin pour qu’elle puisse travailler. Ce sera dans un cabaret, le Purple Onion, qui propose à sa clientèle des numéros chantés de striptease suggestif non intégral. Elle évitera ce genre d’attraction en proposant un numéro de danse. La direction insiste, en dehors de son passage sur scène elle devra se plier au rôle d’entraineuse. Question rémunération elle ne se plaint pas, toutefois pour un contrat en bonne et due forme elle devra adjoindre le chant à son attraction. Elle chante comme tout le monde mais ne sait pas placer sa voix, évidemment elle ne sait pas lire la musique… Le seul genre de musique sur laquelle  elle se sent capable, grâce à sa rythmique, de danser et de chanter lui paraît être le calypso. Elle sera présentée sous le nom de Miss Calypso.

             Le Purple Onion peut accueillir deux cents personnes. Elle parviendra à faire salle comble durant des mois… Nous devrions arrêter notre rapide résumé ici, car ensuite sa carrière se diversifie. On lui propose un rôle à New York dans une pièce de Truman Capote. Elle est acceptée mais elle refusera car elle est retenue pour la tournée européenne de Porgy and Bess l’opéra de George Gershwin (créé en 1935), la deuxième moitié du livre est consacrée à cette aventure intercontinentale, lecture passionnante pour tous ceux qui s’intéressent à la Musique américaine.

             La tournée s’achève, elle rompt son contrat avant les dernières représentations alertée par une lettre familiale : son fils âgé de neuf ans est gravement malade. Elle accourt à son chevet, maladie psychologique due à l’absence de sa mère. Elle lui promet de l’emmener partout avec lui. Le livre s’achève sur un contrat (très bien payé) qui spécifie un hébergement pour elle et son fils  à Hawaï. A croire que Maya Angelou est une vedette.

             Maya Angelou, est un véritable écrivain. Son récit est captivant. Peut-être en rajoute-t-elle un peu et en retranche-t-elle beaucoup… Mais en littérature tous les coups sont permis. Il suffit qu’ils soient exécutés avec style.

             Plus tard dans son existence elle partira en Afrique à la recherche des racines noires des noirs américains. Elle en reviendra dépitée mais convaincue que  la problématique du peuple noir des Etats-Unis ne pourra être surmontée que par le peuple noir d’Amérique, qui n’a plus trop rien à voir avec la situation des peuples noirs africains…

    MISS CALYPSO

    MAYA ANGELOU

    (Liberty  / 1956)

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             Soyons précis : Maya Angelou n’a-t-elle enregistré qu’un seul disque ? Oui et non. Parce qu’il existe une dizaine d’albums dans lesquels Maya Angelou lit ses poèmes. Elle est reconnue comme une des plus grandes poétesses d’Amérique.

              C’est vraisemblablement dans le tome suivant Chanter, swinguer, faire la bringue comme à Noël  qu’elle parle de l’enregistrement de son disque. Toujours est-il que la plupart des titres qu’elle cite lors de ces prestations au Purple Onion correspondent aux morceaux enregistrés sur cet album. Miss Calypso s’inscrit dans la lignée d’Harry Belafonte (né en 1927) surnommé King of Calypso qui sortit son album Calypso en 1956…

             La ressemblance des couvertures du livre et du disque est flagrante, celle du bouquin très classe, l’originale offre un décolleté davantage échancré…

    Maya Angelou : chant  / Al Bello : congas, bongos, drums / Johnny Tedesco : guitar.

    Run Joe : orchestration minimale, en comparant avec l’originale de Louis Jordan vous conviendrez que ce dépouillement permet surtout de mettre en valeur la voix de Maya Angelou mais avant tout de gommer l’aspect burlesque du morceau, certes ce n’est pas un drame shakespearien non plus, mais le vocal nous donne une sensation d’urgence inexistante chez son créateur. Oo-Dla-Ba-Doo : original de Maya, l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même, juste l’envie de dire n’importe quoi, avec des percus derrière qui vous drossent le feu au cul. Scandal in the family : depuis

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    ( Toutes les photos tirées du film Calypso Heat Wawe (1957)

     dans lequel nous retrouvons Maya Angelou)

    l’adaptation française de Sacha Distel l’on ne saurait écouter avec sérieux ce scandale familial. L’original est d’Harry Belafonte. Mambo in the Africa : encore une fois gymnastique vocale, guitare téléguidée en sourdine, et la percu qui percute en douceur, le refrain est expédié sans frein. Since My Man Done Gone and Went : surprenant ça ressemble à un véritable morceau avec un début, un milieu une fin, y a même une intro mémorable (mais pas immémoriale) et un petit pont de guitare-jazzy, Maya  semble nous dire que la chanson n’est pas un simple assemblage syllabique, qu’elle aurait même peut-être un sens. Polymon Bongo : bongo partout, la musique polymorphe est faite pour remuer son arrière-train sur le polygone de tir, un bongo à vous rendre mongolo. Peut-être même bongolo. Neighbour, Neighbour :

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    un soupçon d’espagnolade caribéenne, très belafontien dans l’esprit, un voisin un peu trop entreprenant, rien de plus pour tenir la chandelle du vocal, les papillons de nuit s’y brûleront les ailes. Donkey City : non, ah non, Maya n’anone pas les syllabes, elle chantonne, elle ne tronçonne pas, elle ne hache pas, elle suit une ligne mélodique, à tel point que le morceau atteint presque les trois minutes, les percus filent doux, de la guitare s’échappent en douce quelques trilles de notes. Stone Cold Dead in the Market : attention à la concurrence sur l’original vous avez le combo de Louis Jordan mais celle qui partage le vocal n’est pas n’importe qui, Ella la diva Fitzgerald en personne, l’est vrai que cette dernière, pardon cette première, se met au niveau de Jordan, et non Louis à la hauteur d’Ella, la voix tranchante de Maya surplombe

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    l’original, l’est sûr qu’elle vient de tuer son mari ce qui lui donne du peps. Calypso Blues : de tous les titres précédents c’est le meilleur, emprunté à Nat King Cole, oui mais là où le roi Cole vous colle une chansonnette gentillette (écoutez en contre- exemple Havana Moon de Chuck Berry) Maya abandonne le calypso pour vous faire entendre le blues. Tamo : de quoi qu’elle cause on s’en fout, il y a ce mot Tamo qu’elle prononce de haut gosier, toute la force sur la première syllabe, toute l’énergie sur la seconde, vous n’entendez que lui, vous n’attendez que lui, elle aurait dû bannir tous les autres. Peas and Recel : Maya n’a peur de rien, encore une fois elle se confronte à Ella, qui nous concocte recette de cuisine à la sud-américaine avec trompettes bien embouchées. Celle de Maya est comme épurée, elle lâche ses mots à la manière de petits pois qui rebondissent dans la casserole, je ne prends pas de risque, pas match nul, mais match plein entre nos deux cuisinières au fourneau.

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    Down to Mexico (‘’Flo and Joe’’) : encore un truc volé à Nat King Cole, y’a pas photo, la guitare de Tesdesco enfonce le piano du brave Cole et la voix de Maya moins suave, davantage astringente mérite la palme. Push Ka Pee Shee Pe : Jordan possède sa fanfare, Angelou se contente de sa guitare jazz, Angelou n’a pas de de chœurs, sa voix lui suffit, elle est la trapéziste tournoyante dans les airs suspendue à quinze mètres du sol, Louis fait le clown au bas de la piste pour faire rire les enfants avec ses grosses chaussures rouges rutilantes comme des camions de pompiers…

              Tout compte fait je préfère les morceaux courts du début, genre d’exercice de gymnastique aux barres asymétriques qui essaient de se donner l’air de grandes chansons, même qu’’ils s’avèrent très souvent supérieurs aux originaux. Cet album s’écoute avec plaisir, mais il n’apporte rien de bien novateur.

    Damie Chad.

     

     

    THE COMPLETE RECORDINGS (2)

    THE CORALS

    (Around The ShackRecords 2020)

    THE LAST BUT NOT THE LEAST

             En novembre 1985 les Corals se réunissent pour enregistrer leur deuxième trente-trois tours. Le disque ne verra pas le jour. Il ne porte aucun titre, celui que nous lui attribuons sort tout droit de notre maladive imagination. Les morceaux devaient être réenregistrés, bien que le terme ne soit employé qu’une fois dans le livret ce sont en quelque sorte des démos. De véritables témoignages d’une époque qui s’achève… L’appel du rockabilly sera le plus fort pour Hervé Loison.

    Pierre Picque : lead guitar / Hervé Loison : bass guitar / Michel Francomme : rhythm guitar / Hubert Letombe : drums.

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    Hobo Rock : un soupçon de shuffle, normal, les hoboes sont les vagabonds du rail passagers clandestins des trains qui leur permettaient de traverser à les USA à la recherche de boulots (introuvables) de saisonniers… Ce sont les temps de misère noire, de la Grande Dépression, des luttes menées par les IWW… tout un pan de l’histoire souterraine des Etats-Unis. Le morceau roule tout seul, calibré à la perfection, mais au vu du titre l’on s’attendrait à quelques déraillements. Tribute To The Diggers : historialement un bond de quarante ans, nous voici avec les Diggers d’Emmett Grogan (lire son livre Ringolevio qui rend compte de cette épopée sociale) organisation anarchisante qui multiplia  spectacles, distributions de nourriture, lieux d’échanges dans le but de venir en aide aux populations de jeunes hippies attirées à San Francisco par l’idée d’une vie différente… le morceau jouit de quelques ruptures salvatrices, mais il paraît  bien en deçà de l’esprit de révolte activiste des Diggers. Spanish Guitar : qui dit guitare pense à l’Espagne, une manière pour les Corals de quitter les précédentes évocations sociales pour les vertiges égotiques de l’art pour l’art. Entre nous soit dit la veine espagnole n’est pas vraiment marquée, mais le morceau est de toute beauté. Une réussite qui démontre à l’excès que le groupe maîtrise désormais parfaitement son sujet. Coral’s Theme : vous convaincront de la justesse de notre approbation avec ce morceau de présentation : vous offrent la quintessence de ce que doit être un instrumental : d’abord la résonnance des cordes qui se doit de ne jamais être démentie ne serait-ce que d’un quart de seconde, enfin la présence de la batterie, jamais de prépondérance de m’as-tu-vu, toujours cette délicatesse d’effraction de gentleman-cabrioleur sur son pur-sang. Surfin Days : ici le son équivaut à la beauté du geste du surfer qui chevauche une grosse lame le sourire aux lèvres, la guitare et l’écume, la batterie et le ressac. Quand vous écoutez vous ne pensez plus aux filles aux seins nus sur la plage. Frankeinstein Hop ! : après les jours d’innocence les hurlements des nuits de terreurs, de l’ambiance, de l’adrénaline, des frissons, après le rêve, le cauchemar, ils se sont beaucoup amusés, vous envoient des giclées d’épouvante, un véritable film, vous ne vous plaignez pas de l’absence d’images, la bande-son est amplement suffisante. The Bullfighter : notre taureau de combat trotte allègrement dans les plaines herbacées de la country, la bestiole n’éventre personne, mais prisonnière dans le coral elle donne une impression de force tranquille que vous n’avez nullement envie de déranger. De toutes les manières elle vaque à ses propres affaires, aux coups de reins qu’elle donne doit être en train de saillir un troupeau de longues horns. Twangy Guitar : hé ! dis ! passage obligatoire à la duane quand tu te veux instrumentiste, pas question de rester en deçà de la frontière de la ligne séparation qui sépare les gratteux d’occasion de ceux qui caracolent sur les hauts de gamme, se plient à l’exercice avec imagination, ça twangue un max, mais chacun glisse sa propre lettre à la poste, ne vous laissent pas avec le résonnateur à fond la caisse, l’éloignent de temps en temps de vos tympans pour qu’il revienne en lonely cowboy encore  plus fort. California Road : une route pleine d’inconnu, vous démarrez avec le cœur qui twangue à mort, mais par la suite y a des coups de freins à vomir votre quatre-heures et virages desserrés surprenants. Je ne sais pas ce qu’ils ont fumé mais font preuve d’une imagination peu commune pour un combo purement  instrumental. Space Dreams : encore un incontournable à dépasser, le Telstar des Tornados qui en 1962 imposèrent non pas un son venu de l’’espace mais de l’imagination créatrice de Joe Meek… vous pouvez rêver mais il semble que les Corals aient confondu l’espace interstellaire avec les grands espaces, américains certes, toutefois le morceau le moins novateur de l’album. Coral Power : une belle cavalcade menée par le tambour d’Hubert, bien enlevée mais brève comme un coup de tampon ou un fer brûlant apposé sur la cuisse d’un animal pour lui montrer qui est le maître. Un paraphe de signature pour ceux qui possèderaient une âme sensible. Normalement ce titre devait clôturer cet album. Mac Bouvrie  tenait à écarter deux morceaux qu’il jugeait trop rockabilly. Dans leur infinie mansuétude, les Corals les ont rajoutés pour notre plus grand bonheur. Crazy House Bop : c’est vrai que ce Bop sent un peu trop Gene Vincent et vous avez des effulgences de guitare qui semblent sortir tout droit de Buddy Holly, des cris en sourdine inspirés de Dickie Harrell, et un rythme échevelé qui laisse à penser que nos instrumentistes regardent un peu ailleurs… Superbop ! Hot Foot Boogie : traversent leur boogie à trop grand pas pour être honnêtes. Le morceau dépasse à peine les deux minutes, le dernier tiers est un peu redondant. Peut-être n’ont-ils pas osé passer le Rubicon du rockabilly. Ne vous inquiétez pas, cela viendra bien vite. L’Histoire des Corals s’arrête-là.  

             C’est en octobre 2020 que les Corals se reforment à l’occasion de la mise en piste de ce Complete Recordings. Deux titres seront enregistrés.

    Fantastic Mac : morceau dédié à Mac Bouvrie disparu en 2014, d’autant plus hommagial que la plupart des enregistrements de son label sont malheureusement perdus. Trente-cinq ans plus tard the Corals n’ont pas perdu le son original mais l’est vrai que l’on peut ressentir des bribes de sonorité des premiers Beatles qu’affectionnait Mac Bouvrie. The Corals Bow Out : le dernier feu d’artifice, un peu Shadows, les Apaches sont en embuscade, les Corals tirent leur révérence.

             Nous n’avons fait qu’écouter les disques, si vous pensez avec raison que c’est une manière trop désincarnée, procurez-vous le CD, le livret vous racontera toute l’histoire des Corals. Photos et documents d’époque mais surtout le récit de leurs apparitions publiques avec les rencontres marquantes comme celle de Cavan Grogan

             Notons qu’Hervé Loison n’est pas le seul membre du groupe à avoir continué dans la musique. Hubert Letombe qui possède son propre studio d’enregistrement a particulièrement veillé à la qualité sonore  de ce Complete Recordings.

             Cette démarche est particulièrement importante quand on sait que les enregistrements des premiers groupes français du début des années soixante ne sont guère accessibles en leur intégralité…

    Damie Chad.

     

    *

    Quand j’entends le nom de Wanda Jackson, je ne peux m’empêcher à Phil des Ghost Highway qui l’accompagnèrent sur scène lors de sa dernière tournée en France, et de sa voix émue lorsqu’il me raconta comment elle se confiait et se raccrochait à lui dans cet étrange pays qui est le nôtre…

    The Gene Vincent Files #7: Wanda Jackson talking about the early days of her career and Gene Vincent

    L’on n’attend plus que Wanda, son orchestre fin-prêt sur la scène, on l’annonce, on ne verra pas, mais la voici assise, elle répond aux questions qui sont omises sur la bande-son, pour une américaine elle possède une voix très compréhensible, elle parle sans ostentation, on sent qu’elle a envie d’exprimer clairement ce qu’elle veut nous transmettre.

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    Le rock’n’roll a tout bouleversé. Nous les artistes, avions toujours enregistré des chansons avec l’intention de les vendre aux adultes. Mais à partir de 1955 ou 1954 le cirque a commencé.  Nous avons dû alors  évoluer et commencer à faire des chansons pour les adolescents et les jeunes. Car quand Elvis est arrivé sur scène, ce sont les jeunes filles qui achetaient les disques. Nous avons donc dû suivre le mouvement. C’était une période frénétique et confuse. Les artistes ne savaient pas quoi enregistrer. Nous cherchions à nous adapter. J’étais jeune à l’époque aussi. Tout ce que je sais c’est que c’était si frais et si nouveau. Ces chansons parlaient ou traitaient dans leur contenu de choses auxquelles un teenager devait se confronter. Les choses qui nous préoccupaient, les rendez-vous, les balades en décapotables, tout ce genre de choses, aller au bal de promo, et ainsi nous pouvions nous identifier à ce genre de chanteurs country appelés hillbilly, aucun d’entre nous n’aimait ce terme, mais c’est

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     comme cela qu’on les nommait. Mais quand Elvis jouait de la guitare et faisait ce nouveau style de truc, rien d’autre que du rock’n’roll, on a commencé à comprendre. Donc si vous jouiez de la guitare et chantiez ces chansons, vous étiez rockabilly. Il n’y avait probablement pas une très grande différence entre les morceaux, peut-être juste l’artiste qui les interprétait au début. Puis, bien sûr cela a évolué vers les années 60, les sons de la Motown, dans les groupes  ça a commencé à changer avec des concerts comme le Big D Jamboree à Dallas, puis il y a eu le Louisiana Hayride en Louisiane, le Town Hall Party en Californie, ces spectacles sont encore parmi les plus populaires aujourd’hui. Si vous pouvez mettre la main sur les vidéos, vous adorerez. Ce n’était pas difficile de jouer là-bas parce que j’étais un artiste country et la plupart d’entre nous l’étaient. C’étaient toujours du pur country. J’ajouterais simplement que je chantais Hard Headed Woman ou Let’s have a party. Rockabilly et Country sont comme des cousins germains, on peut difficilement avoir l’un sans l’autre, donc ils se mélangent très bien et je ne crois pas qu’aucun de nous ait eu des problèmes. Elvis Presley et moi avons eu des problèmes avec la grande vieille tradition qui était presque morte dans la région du coton et qui était très différente de ce que nous faisions et donc ce n’était pas une bonne expérience pour aucun de nous au début. J’ai signé avec Decca Records au bout de deux ans. J’étais encore au lycée mais je travaillais beaucoup avec Hank Thompson, je le considérais comme mon idole, il est devenu mon mentor, il était sur Capitol Records, donc pour moi Capitol Records était le plus grand label du monde et donc après que mon contrat

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    avec Decca a expiré j’ai signé, Hank m’a beaucoup aidé à obtenir un contrat, avec Capitol Records, c’était comme la réalisation d’une une utopie. En ce qui concerne les enregistrements de Capitol Records, j’ai enregistré sur la côte Ouest dans la fameuse Tower, puis à Nashville aussi. Du mieux que je m’en souvienne j’étais alors en tournée dans l’Ouest, j’avais besoin d’enregistrer, nous les artistes enregistrions beaucoup à l’époque, parce que nous devions produire  quatre singles et deux albums par an. En fait j’enregistrais à l’endroit où je me trouvais, on n’hésitait pas parce que les studios étaient  aussi bons l’un que l’autre.   Dans les années soixante on a commencé à utiliser davantage Nashville, je l’ai fait parce que le son de Nashville  était davantage apprécié par le public. Toutefois j’enregistrais quand même sur la côte, pour moi c’était un peu égal, mais Ken Nelson doit être le gars le plus gentil du monde, je veux dire qu’à travailler avec lui il pouvait vous apporter tellement ! Je peux dire que tout ce que j’ai appris sur l’enregistrement je l’ai appris de Ken, un grand producteur, je pense que ce que j’aime tant chez Ken, c’est que si je voulais faire une certaine chanson ou un certain type de matériel et qu’il ne comprenait pas pourquoi, il me permettait de le faire, il me disait ‘’si c’est ce que tu veux on va essayer’’, je ne pense pas que beaucoup de producteurs  soient capables d’agir ainsi, non je ne le pense pas. Je me souviens de la première fois où j’ai rencontré Gene Vincent, on était à une convention de disk jockeys, un très gros évènement à Nashville une fois par an, c’était le début de CMA, on l’a appelé ainsi plus tard, c’était une convention de DJ de tout le pays qui venaient rencontrer les artistes pour obtenir leurs disques et tout le reste, on a joué. Donc Capitol Records ainsi que toutes les autres maisons de disques avaient leur stand, toutes les portes étaient ouvertes, on pouvait juste aller et venir, ils offraient des boissons ou peut-être de l’eau, et on pouvait faire des photos. Donc Gene Vincent et moi nous nous sommes retrouvés au stand Capitol, on s’est rencontrés là pour la première fois, il était déjà

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    une grande star et je pense qu’on a fait une photo  je crois celle-ci (qu’elle montre du doigt derrière elle) mais je n’ai jamais eu l’occasion de travailler avec Gene, je suis désolée de ne pas l’avoir fait, mais c’est ainsi, je pense qu’il était comme tout le monde, nous étions de vrais gamins, nous nous amusions comme des fous, on faisait ce qu’on aimait et on devenait  célèbres et populaires, c’était tellement excitant, il était très sympathique, c’était agréable de lui parler, je me souviens, oui je me souviens, tu sais parfois, je ne sais pas comment les histoires commencent, c’est au

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     sujet de Let’s have a party, un mot là-dessus, je suppose que le son rappelait aux gens le groupe de Gene Vincent, les Blue Caps, je ne sais pas pourquoi exactement, tout d’un coup, j’entendais et je lisais des articles selon lesquels j’avais enregistré avec les Blue Caps, mais non c’était avec mon groupe et quelques musiciens de studio, au Capitol Tower que j’ai enregistré, ce n’était pas les Blue Caps. Oui, quand je pense à Gene Vincent je ne peux m’empêcher de penser à la première fois que j’ai fait une tournée en France. Nous avons vu les publications du journal et ils annonçaient que l’ouragan Wanda frapperait la côte ouest de la France pour ma tournée. Par la suite ils me surnommaient ‘’la Gene Vincent féminine’’ dans tous les articles qui me concernaient.  Je me demandais pourquoi. Je n’aurais jamais accepté d’être appelée l’Elvis Presley au féminin, ou quelque chose comme ça. Et voilà c’était imprimé. Mais ensuite j’ai compris grâce aux fans et aux gens avec qui j’ai travaillé. Ils répétaient que c’était le plus grand compliment que l’on puisse recevoir. J’ai dit comment se fait-il que les Français ne se soucient même pas d’Elvis. ni de Little Richard, ni de Chuck Berry ? Pour eux c’est Gene Vincent, donc être comparé à lui était le plus grand compliment qu’ils pouvaient vous faire . Que pensez-vous du fait, que les Européens, je pense que c’est bien connu, ne varient pas très facilement dans leurs habitudes, en tout cas  certainement pas aussi vite que les Américains. Nous, nous sommes tous toujours à la recherche de la prochaine grande nouveauté comme on dit, mais en Europe, ils chérissent ces, comment dire plus les gens sont vieux, plus les bâtiments sont vieux, plus les voitures sont de vieux modèles, ils continuent à aimer encore et encore, ils entretiennent ces vieux bâtiments de 700 ans et tout le reste, nous avons séjourné, dans des hôtels de cent ans toujours entretenus, au moins la structure, donc ils ne sont pas tellement si prompts à laisser partir quelque chose s’ils l’aiment, donc c’est une aubaine pour les artistes de cette époque comme moi parce qu’il n’en reste pas beaucoup, mais ils estiment vraiment ceux qui sont encore là et qui travaillent toujours, Jerry et moi et Sleepy Labeef, et beaucoup d’entre eux

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    parcourent les festivals. Oui quand nous avons appris que Gene Vincent était mort, je me souviens avoir pensé que c’était impossible, c’était que seulement à 35 - 36 ans il ne pouvait pas, ça devait être une erreur, et c’était assez dévastateur, parce que nous avions tous à peu près le même âge, et nous pensions qui si cela pouvait arriver, ça pouvait arriver à n’importe lequel d’entre nous, ce qui d’ailleurs est arrivé à certains, mais ce fut une grande perte pour l’industrie de la musique c’est sûr, cependant il a laissé beaucoup de bons souvenirs à beaucoup de gens et nous a laissé toute cette bonne musique qu’il a faite. 

    Damie Chad.

    Hank Thompson (1925 –2007) chanteur de country, bien qu’il fût admirateur du Western Swing de Bob Wills, il en proposa tout le long de sa carrière (quelques jours avant sa mort il était encore sur scène) une version un peu moins abrupte. Le rock’n’roll doit beaucoup au Western Swing.

    CMA = Country Music Assocciation, aujourd’hui nommé : CMA FEST, festival de musique country.

    Sleepy Labeef (1935 – 2019), chanteur de country et de rock’n’roll, tombé pratiquement dans l’oubli, le rachat des disques Sun par Shelby Singleton lui permit de revenir et de participer plus tard au renouveau du rockabilly.

    Cette vidéo, ainsi que beaucoup d’autres, est en accès libre sur la chaîne YT de VanShots – Rocknroll Videos